A la suite de la décision de la CEDEAO de suspendre le Burkina Faso de ses instances, en réponse au coup d’Etat du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) contre le pouvoir du président Roch Marc Christian Kaboré, Sidwaya s’est entretenu avec Ousseni Illy, professeur agrégé en droit public. Dans cette interview, l’universitaire burkinabè, spécialiste des questions d’intégration régionale, analyse cette organisation sous régionale et appelle de tous ses vœux à sa refondation.
Sidwaya (S) : Lors du sommet extraordinaire de la CEDEAO consacré au Burkina Faso, tenu le vendredi 28 janvier 2022, les chefs d’Etat de la région ont suspendu le Burkina Faso de toutes les instances de ladite organisation. En tant que spécialiste des questions d’intégration régionale, quel est votre commentaire ?
Ousseni Illy (O.I.) : Cette suspension est logique et conforme à la pratique de la CEDEAO en la matière. Les coups d’Etat sont proscrits par le protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance que le Burkina a ratifié et il fallait donc s’attendre à cette suspension.
S : Avec cette décision que certains qualifient de sanction à minima, peut-on conclure que la CEDEAO a fait preuve d’indulgence vis-à-vis du Burkina Faso ? Si oui, qu’est-ce qui peut expliquer ou justifier cette indulgence ?
O.I. : Oui, on pourrait dire qu’elle a fait preuve d’indulgence. Parce que quand vous prenez le coup d’Etat de 2020 au Mali, les premières sanctions sont allées jusqu’à la fermeture des frontières et à l’embargo commercial. Je pense que la CEDEAO commence à tirer leçon de ses erreurs. Malgré les sanctions contre le Mali et la Guinée, un troisième coup d’Etat est arrivé en l’espace de deux ans dans la région. Les chefs d’Etat commencent peut-être à comprendre qu’au lieu de se focaliser sur les conséquences, mieux vaut s’attaquer aux causes.
S : Pour le moment, contrairement au Mali, le Burkina Faso échappe donc aux lourdes sanctions économiques et financières, ainsi qu’aux sanctions ciblées pour les nouvelles autorités. Faut-il en conclure que le Burkina Faso a définitivement échappé au marteau de la CEDEAO ou faut-il craindre que les jours ou les mois à venir, elle durcisse le ton vis-à-vis du pays des Hommes intègres ?
O.I. : Je pense que la suite va dépendre de l’attitude des nouvelles autorités et de la feuille de route pour un retour à l’ordre constitutionnel normal. Mais il est clair qu’il faudra s’attendre à un durcissement des sanctions, même si je crois que, tirant leçon de ce qui s’est passé au Mali, l’Organisation va être beaucoup plus précautionneuse. Comme au Mali, nous avons là un coup d’Etat qui arrive dans un pays déjà en proie à une crise sécuritaire sans précédent, et en plus, un coup d’Etat qui a reçu et continue de recevoir un soutien populaire important, y compris la classe politique, toutes tendances confondues. Dès lors, des sanctions lourdes contre le Burkina ne feront qu’aggraver la crise de légitimité que traverse la CEDEAO.
S : Qu’est-ce qui pourrait amener la CEDEAO à sortir cette artillerie lourde contre le Burkina Faso ?
O.I. : Comme vous le savez, la CEDEAO est opposée par principe aux transitions militaires. Mais sur ce terrain, je pense que le précédent malien peut servir de couverture pour le Burkina, puisqu’elle a avalisé le deuxième coup qui a eu lieu dans ce pays et qui a consacré le colonel Assmi Goïta comme président de la Transition. Les tensions vont peut-être se cristalliser sur la durée de la Transition. Comme vous le savez, la CEDEAO veut des transitions courtes ; alors que la situation actuelle du Burkina appelle plutôt, à mon avis et je ne suis pas le seul à le penser, une Transition plus ou moins longue ; pas peut-être cinq ans comme les Maliens l’ont demandé mais en tout cas pas un an non plus. Donc, il faut s’attendre à des tiraillements à ce niveau. Mais l’avantage que nous avons aujourd’hui, c’est que nous ne nous serons pas seuls sur la table des discussions. Nos amis maliens et guinéens sont là et il y aura certainement une synergie d’actions à ce niveau.
S : Quelles dispositions les nouvelles autorités burkinabè pourraient prendre pour éviter ces lourdes sanctions qui pourraient asphyxier le pays ?
O.I. : Fixer une transition d’une durée raisonnable ; parce que comme je l’ai dit, c’est à ce niveau que les choses risquent de coincer ; et en rappel, c’est ce qui a valu les lourdes sanctions contre le Mali.
S : Dans un contexte régional marqué par l’hydre terroriste, qui est en train de migrer des pays du Sahel vers ceux côtiers, la CEDEAO n’a-t-elle pas intérêt à éviter des sanctions qui pourraient handicaper la coopération sous régionale ?
O.I. : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Ces sanctions ne font qu’exacerber les tensions entre les pays, ce qui est préjudiciable à la coopération régionale, indispensable pour une meilleure lutte contre le terrorisme.
S : Après le Mali, la CEDEAO a-t-elle encore intérêt à avoir le Burkina Faso sur le dos ?
O.I. : Pas du tout. D’autant plus que comme au Mali, il s’agit d’un coup d’Etat qui a un fort soutien populaire comme je l’ai dit précédemment. Imposer les mêmes sanctions que celles du Mali au Burkina ne fera que creuser davantage le fossé qu’il y a entre les dirigeants de la CEDEAO et les populations.
S : Malgré ses sanctions, les coups d’Etat se multiplient dans la sous-région ouest-africaine et apparaissent même comme un pied de nez à cette instance communautaire. N’est-il peut-être pas temps pour la CEDEAO, que certains considèrent comme un arbitre qui siffle toujours en retard, de revoir sa copie ?
O.I. : Il est clair que la CEDEAO doit revoir entièrement sa politique. L’une de ses missions est d’assurer la paix et la sécurité dans la région. Et aujourd’hui, le terrorisme constitue la plus grande menace contre la paix et la sécurité dans la région sans pour autant que l’on voie la CEDEAO déployer une quelconque action contre celui-ci. Par ailleurs, on voit cette organisation très peu sur les terrains de la transparence des élections et de la bonne gouvernance, qui font pourtant également partie de ses missions. On ne la voit que lorsqu’il s’agit de sanctionner des auteurs de coups d’Etat, coups d’Etat qui, le plus souvent, sont perpétrés pour remédier les dysfonctionnements de la démocratie. Il est donc temps pour cette organisation de se refonder sans quoi elle risque de perdre complètement toute crédibilité.
S : Avec ses sanctions de plus en plus impopulaires, contestées par les populations de la région, la CEDEAO risque donc de devenir l’ombre d’elle-même…
O.I. : Absolument, la CEDEAO court à sa perte si elle ne se réforme pas. Ce qui devrait être au cœur de l’intégration régionale, c’est la solidarité entre nations. C’est d’ailleurs tout le fondement de ce processus inventé par les Européens dans les années 1950. Mais en Afrique, on se rend compte que les organisations régionales sont créées pour servir les intérêts des seuls chefs d’Etat, devenant ainsi des syndicats de chefs d’Etat, comme on le dit souvent. Où est la CEDEAO par exemple depuis que le Mali, le Niger, le Nigéria, le Burkina, etc. sont confrontés au phénomène terroriste ? S’il s’agissait d’une vraie intégration, des moyens allaient être mutualisés et on avait terminé avec ce phénomène il y a bien longtemps. Les pays en proie au terrorisme ont attendu le soutien de la CEDEAO en vain et étaient obligés de créer une nouvelle organisation, le G5 Sahel. Ce qui constitue un énorme gâchis et des charges supplémentaires pour eux.
S : L’une des décisions du dernier sommet extraordinaire de la CEDEAO est d’ailleurs l’envoi des chefs d’état-major des pays membres au Burkina Faso, pour évaluer la situation sécuritaire. La première fois alors que le pays est en proie aux attaques terroristes depuis six ans…
O.I. : Cette mission militaire devait, en effet, venir il y a six ans de cela. Puisque comme vous le dites, cela fait six ans que le Burkina est confronté au terrorisme, mais nul n’a jamais vu une mission militaire de la CEDEAO ici ou ailleurs. Nous osons espérer qu’il s’agit là d’un début de prise de conscience. Au lieu de condamner les coups d’Etat et sanctionner leurs auteurs, il vaudra mieux aider les pays à sortir des crises, ce qui enlèverait toute raison aux militaires de prendre le pouvoir.
Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO Windmad76@gmail.com
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