Depuis le dernier trimestre 2021, la presse fait état d’un projet du milliardaire français de se retirer d’Afrique, notamment de se libérer de sa filiale Africa Logistics qui est la source de ses ennuis judiciaires en France et au Burkina. Africa Logistics a une petite fille qui s’appelle Sitarail, la société des chemins de fer qui va du port d’Abidjan à Kaya. Le patron du groupe Bolloré peut vendre ce qui lui appartient, c’est son bien, il en fait ce qu’il veut. Mais peut-il vendre ce qui appartient aux peuples ivoirien et burkinabè ?
Peut-on vendre une concession de services publics ? Les deux États ouest africains avaient menacé de retirer à Sitarail cette concession lors des travaux du dernier Traité d’amitié et de coopération(TAC) entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire tenu à Abidjan en juillet 2021. Pourquoi du côté d’Abidjan et de Ouagadougou c’est un silence assourdissant après les communiqués menaçants et puis surtout rien depuis trois mois que le groupe Bolloré veut vendre les ports et les chemins de fer qu’il détiendrait en Afrique à l’armateur suisse MSC ?
Pourquoi parler de chemins de fer alors qu’il y a des sujets plus chauds, particulièrement dans ce pays dit des hommes intègres. Peut-être parce qu’on a envie de voyage, de partir, de s’échapper de ce pays qui imperceptiblement, glisse et s’enfonce chaque jour davantage dans le vaste gouffre des États faillis. Un pays qui présente un collier de perles d’échecs et d’insuccès, qui vous donne envie de prendre le train et de vous en aller vers un ailleurs meilleur, quand bien même, que l’on sait que partir n’est pas la solution. Non en fait de s’évader, cette question de la vente de Sitarail nous ramène à la dure réalité des problèmes qui impactent notre vie et ne la rendent pas belle.
L’histoire du chemin de fer c’est l’histoire des travaux forcés, car ce rail a été posé aussi par une main d’œuvre corvéable à merci lors de son lancement durant la colonisation en 1903. La ligne n’arrive à Bobo-Dioulasso qu’en 1933 et Ouagadougou seulement en 1955, cinq ans avant les indépendances. Cet investissement devait permettre d’emmener au port les matières premières pour le transfert par voie maritime en métropole. Conçu avec cette volonté coloniale, le chemin de fer après les indépendances ne se développera pas mais la RAN était tout de même une société viable jusqu’en 1980 où la crise liée à la concurrence de la route, la mauvaise gestion et les relations non équitables entre les deux pays dans la gestion de la régie du chemin de fer Abidjan Niger, plonge celle-ci dans la crise.
Les frustrations burkinabè et les problèmes de gestion et d’effectifs pléthoriques contribueront à la gestion séparée en 1987. Auparavant le Burkina avait lancé en 1985 la prolongation de la voie ferrée vers Kaya longue de 110 Km qui va faire de tout le parcours un chemin de 1260 km. Le FMI et la Banque mondiale vont emmener les deux pays à la privatisation et à reprendre une gestion commune via la Sitarail qui va obtenir pour la première fois en septembre 1995 une concession dans un consortium où Bolloré était présent avec Maersk.
Dès la première année d’exercice, le trafic marchandises va presque doubler, mais Sitarail ne fera pas les investissements prévus et réclamera la fermeture des gares rurales dans les deux pays qui étaient des poumons économiques des zones traversées par la voie pour vendre leurs productions. Le premier contrat prévoyait une concession de 15 ans, mais la crise ivoirienne et la fermeture de la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Burkina en 2002 durera un an, ce qui emmène Sitarail à réclamer des révisions du contrat sans s’acquitter de ses obligations. Mais les États finiront par lui accorder ce contrat révisé en 2016 après avoir cédé sur trois avenants en 1995 dès la signature en 2001 et en 2004. Le contrat révisé augmente la durée du contrat qui va doubler avec bien d’autres avantages pour le groupe Bolloré.
C’est en désespoir de cause que le 9e TAC, tenu en juillet 2021 à Abidjan, va donner un ultimatum dont le délai est passé.
Le silence des États est lourd de conséquences
Mais la Côte d’Ivoire et le Burkina n’ont pas résilié le contrat de concession. Alors que les juristes disent que même si les clauses du contrat ne prévoient pas la résiliation, les autorités concédantes peuvent le faire sans faute du concessionnaire. Dans le cas de Sitarail les manquements étaient nombreux et nos pays n’ont rien fait pour mettre fin au contrat. La vente sera bientôt actée au mois de mars 2022. Avec le coup d’État au Burkina et la proximité du président ivoirien avec la famille Bolloré, on doute qu’une action soit entreprise dans le sens de préserver les intérêts des deux peuples.
La vente est un transfert de propriété contre de l’argent. Le groupe Bolloré ne vend pas la concession mais vend la société concessionnaire qui détient les avantages que les États lui ont accordés. Si MSC (Mediterranean Shipping Company) rachète Sitarail, reconnaîtra-t-elle les manquements du groupe Bolloré ? Pourquoi le contrat de concession n’a-t-il pas été résilié depuis septembre 2021 ? Ce manquement des deux administrations est condamnable, elles sont fautives de ne pas préserver les intérêts des pays. On se retrouve avec une société privée qui a exploité pendant 27 ans le chemin de fer de deux pays sans faire tous les investissements promis et sans payer les droits aux États et qui va vendre sa société et prendre son bénéfice et nous laisser avec les problèmes. Les investissements en Afrique sont pour la famille Bolloré la machine à cash, une source importante de profits obtenus dans des conditions douteuses.
Sana Guy
Lefaso.net
Comments
comments