A la suite de l’explosion sur le site d’orpaillage de Gongombiro, village de la commune rurale de Gbomblora à une quinzaine de kilomètres de Gaoua dans la région du Sud-Ouest, le directeur général de l’Agence nationale d’encadrement des exploitations minières artisanales et semi-mécanisées (ANEEMAS), Jacob ouédraogo, a accordé un entretien à Sidwaya, le vendredi 25 février 2022. Il est notamment revenu sur le drame et les conditions d’exploitation, de sécurisation et d’encadrement des sites d’or artisanaux au Burkina Faso.
Sidwaya (S) : Le lundi 21 février dernier, le secteur minier a connu un drame sur le site de Gongombiro dans la commune rurale de Gbomblora faisant une soixantaine de morts. Que s’est-il exactement passé ?
Jacob Ouédraogo (J.O.) : Comme vous l’avez si bien dit, c’est un drame qui a eu lieu, le lundi 21 février 2022, aux environs de 14 heures et quart. Nous avons été alertés le même jour dans l’après-midi. Rapidement, nous avons dépêché notre représentant au niveau local à Gaoua sur les lieux et celui-ci nous a rapporté un certain nombre d’éléments d’information. De ces informations, il ressort qu’il s’agit d’une explosion sur le site qui a été occasionnée, selon les premiers témoignages, par un incendie qui a commencé à proximité de la boutique où étaient stockés ces engins explosifs. Vous auriez remarqué que sur un rayon de plus de 30 mètres, la déflagration a presque tout ravagé.
S : Quel sort est-il désormais réservé à ce site ?
J.O. : Pour ce site, je pense que l’autorité locale a déjà pris ses responsabilités en prenant un arrêté de fermeture. Ce qui est assez normal. En collaboration avec ces autorités, nous allons attendre avant de décider quand ce site sera rouvert et dans quelles conditions. Pour le moment, il est strictement interdit de poursuivre des activités sur ce site.
S : Le site avait-il un permis d’exploitation ?
J.O. : En notre connaissance, non. Ce site ne dispose pas d’un permis d’exploitation, selon les informations que nous avons avec les autres structures. C’est un site artisanal, malheureusement qui n’a pas encore reçu l’accompagnement de l’ANEEMAS. Lorsqu’il y a un site artisanal, les responsables devront prendre attache avec notre structure pour demander un accompagnement afin d’organiser le site parce que nous avons des textes qui encadrent l’organisation des exploitations artisanales au Burkina Faso.
Et c’est sur ces référentiels que nous, en tant que structure d’encadrement, accompagnons les différents bénéficiaires ou les acteurs miniers. Ce site avait déjà bénéficié de sensibilisation de notre part à l’issue de laquelle les premiers responsables s’étaient engagés à aller vers l’organisation du site. Nous leur avions prodigué des conseils dans ce sens.
Le processus leur avait été aussi expliqué, mais malheureusement, c’est dans cette situation que le drame est intervenu sans que le site n’ait un permis d’exploitation. Cela montre pourquoi il est impératif que les différents sites soient organisés et accompagnés par les techniciens que nous avons au niveau local.
Pour nous, ce drame vient encore mettre à nu la faiblesse que nous avons tous dans la chaine d’organisation de ces sites d’exploitation artisanale minière. Cela nous interpelle tous et nous allons davantage, avec l’appui des autorités, voir dans quelle mesure nous pouvons mieux accompagner ces exploitants miniers à pouvoir s’organiser pour que nous puissions déployer le dispositif d’encadrement sur ces sites d’exploitation.
C’est tout le défi. Aujourd’hui, la difficulté majeure de l’organisation des sites, c’est l’accord de principe que l’ANEEMAS doit négocier avec les détenteurs de permis. Pour ce site, nous n’avons pas encore eu cet accord. Alors qu’il faut cet accord pour engager l’encadrement et organiser le site selon les dispositions de l’arrêté du décret 2017. Cet arrêté recommande que pour un site d’orpaillage, nous puissions avoir trois zones distinctes.
Une zone pour l’extraction du minerai, une autre pour le traitement et enfin la troisième zone pour les habitations et les activités diverses. Ce qui s’est passé à Gongombiro, c’est sur une zone d’habitation et d’activités diverses. Et malheureusement, ces produits à base de l’explosion ne devraient pas y être. Donc au regard des textes, nous ne pouvons pas déployer le dispositif sur ce site.
S : A vous entendre, les acteurs n’avaient pas les documents nécessaires pour le dépôt des explosifs qui sont à l’origine de ce carnage ?
J.O. : C’est vrai que les enquêtes sont en cours, mais jusque-là nous n’avons pas connaissance d’une autorisation pour le stockage et la vente d’explosifs sur le site de Gongombiro. Du reste, cela nous étonnerait qu’il y ait une autorisation parce que pour qu’il y ait autorisation, il y a des conditions à remplir. Il s’agit du respect de la loi 051 de 2017 qui encadre et qui fixe le régime des substances des explosifs à usage civil.
Lorsque vous regardez cette loi, il y a même des sanctions qui sont prévues pour les acteurs qui utiliseraient ou qui vendraient des produits explosifs sur des sites artisanaux. Pour dire qu’on peut affirmer sans se tromper qu’il n’y avait pas d’autorisation de stockage et de vente des explosifs sur ce site, objet du drame du lundi 21 février dernier.
S : Le site, au-delà de l’organisation, disposait-il d’un dispositif de sécurisation ?
J.O. : La problématique de la sécurisation des sites miniers est un défi majeur pour la sécurisation des acteurs. Nous avons l’Office national des sites miniers (ONASIM) qui tente à sa façon de se mettre en place, mais nous avons besoin de sous-secteurs. Au niveau sécuritaire, il a manqué du contrôle, du suivi, pour que nous puissions parvenir à de telles situations.
Mais qu’à cela ne tienne, nous, en tant que société d’encadrement, notre rôle c’est de pouvoir sensibiliser et former les acteurs pour qu’ils comprennent que dans l’activité minière artisanale, cela est interdit, mais il y a des conditions dans lesquelles on peut les accompagner pour pouvoir répondre à leurs besoins. A travers les formations, nous pouvons également leur montrer la dangerosité de ces produits et tous les effets néfastes que ces explosifs peuvent avoir tant bien sur l’environnement que sur les hommes.
Ce sont plusieurs acteurs qui doivent concourir à la sécurisation des sites miniers et nous pensons que cet évènement vient interpeller tous les acteurs. A partir de là, j’espère que chacun prendra ses responsabilités pour que de telles situations ne puissent jamais arriver sur les sites d’exploitation minière artisanaux au Burkina Faso.
S : Justement, lors d’une conférence de presse, le mercredi 24 février 2022, les artisans miniers indexent le manque d’encadrement dans le secteur. Que leur répondez-vous ?
J.O. : Il ne s’agit pas d’un manque de formation et d’encadrement, mais peut-être d’une insuffisance dans l’encadrement. Il faut être honnête pour le dire parce que nous ne sommes pas encore suffisamment installés sur l’ensemble du territoire. Il faut toutefois accepter que quelque chose soit fait.
Par exemple, rien qu’en novembre 2021, il y a eu une formation à Gaoua sur la question des substances explosives pour expliquer aux artisans miniers, ce que la loi dit, mais aussi leur montrer la dangerosité de ces substances sur la vie de l’homme et sur l’environnement. On ne peut donc pas nous dire qu’il y a manque de formation et de sensibilisation. Nos agents vont régulièrement sur les sites pour faire des sensibilisations. Le site de Gongombiro dont il est question a reçu des formations, des sensibilisations et il était sur le point d’être organisé.
Malheureusement, avec certaines contraintes, notamment le respect des textes en matière de prérogatives de l’ANEEMAS comme le décret de 2018 qui encadre l’exploitation artisanale de l’or et qui précise que pour que l’ANEEMAS organise un site artisanal, il faut nécessairement que nous ayons un accord avec les détenteurs de permis d’exploitation du site.
Aujourd’hui, la réalité est que 90% de nos requêtes envers ces détenteurs de permis se sont soldées par un refus. Cela constitue du coup, un blocus pour l’ANEEMAS d’organiser un certain nombre de sites. Il y a donc la nécessité de réformer nos textes pour permettre à notre structure d’opérer et d’organiser ces sites.
S : Une enquête a été ouverte par le procureur du Faso près le TGI de Gaoua. Quelles sont les sanctions auxquelles s’expose le tenancier de l’entrepôt d’explosifs ?
J.O. : La loi 051 de 2017 a prévu des sanctions pécuniaires et des sanctions préventives de liberté. Au titre des sanctions pécuniaires, il est prévu une amende allant de 10 000 000 à 100 000 000 F CFA. Pour les peines privatives de liberté, la durée est de 5 à 10 ans ferme pour toute personne qui utiliserait, ou qui commercialiserait des substances explosives sur des sites d’exploitation minière artisanale. Toutefois, les enquêtes sont en cours et les contrevenants devront répondre devant les juridictions.
S : Quelles sont les dispositions prises par vos services pour éviter que de telles situations ne se reproduisent à l’avenir ?
J.O. : Nous avons la lourde tâche d’appuyer, de conseiller et d’assister ces artisans miniers. Pour éviter de telles situations, nous devons conscientiser les acteurs, les mettre face à leurs responsabilités, leur montrer les effets pervers et néfastes de ces produits prohibés que nous avons interdits sur les sites.
C’est également prendre attache avec tous les autres acteurs qui concourent à cette activité, notamment l’ONASIM, les autorités locales, pour qu’ensemble nous puissions nous donner la main pour accompagner les acteurs. Au niveau local, on a par exemple la mairie qui joue un rôle important. Selon le décret 10-17 de 2018, les zones d’habitations devraient être organisées et suivies en collaboration avec l’ANEEMAS.
Donc, les mairies ont des rôles centraux à jouer pour que ces zones puissent être assainies et qu’on puisse dénoncer tout comportement pouvant mettre à risque tout usager de ces sites d’exploitation minière. Nous continuerons à travailler, à sensibiliser et à collaborer avec les différents acteurs pour que les exploitants puissent prendre conscience.
S : Comment se déploie votre dispositif d’encadrement sur les sites ?
J.O. : Le déploiement du dispositif d’encadrement va d’abord de l’identification du site. Depuis 2018, nous avons fait une cartographie des sites au Burkina Faso qui nous a révélé un peu plus de 800 sites. Sur cette base, nous déployons nos bureaux d’encadrement dans les zones de fortes activités.
C’est pour cela que dans la région du Sud-Ouest nous avons 4 bureaux sur les 10 que, nous avons, preuve que cette région est assez stratégique pour nous, mais du fait aussi que, près de 60% de la production d’or artisanale provient du Sud-Ouest. Après l’identification du site, nous procédons à l’identification des responsables parce que toute activité qui n’a pas de responsable est vouée à l’échec.
Le responsable sera ainsi le répondant du site et peut être une personne physique acceptée des artisans miniers ou une société coopérative créée par ces artisans miniers. Après cette étape, nous procédons à la formalisation du site. C’est-à-dire qu’avec les concertations que nous aurons avec les artisans, les propriétaires terriens, la commune et les services administratifs comme l’environnement, nous pouvons décider et présenter les cahiers des charges pour la gestion du site.
Après cela, nous signons une convention de gestion du site pour dire que désormais, l’ANEEMAS qui devrait être présente pour gérer le site et l’encadrer, donne pouvoir au comité ou à cette personne physique de traduire concrètement l’encadrement technique contenu dans les cahiers de charges. S’en suit un travail d’appui-conseil, de suivi, de formation et de sensibilisation.
Sur les 12 sites où nous avons des conventions, il y a moins de difficultés et de risques de ce genre, parce que la responsabilité de ceux qui ont été désignés est en jeu.
S : De façon générale, quelles sont les difficultés qui entravent l’atteinte des missions de l’ANEMAS ?
J.O. : Les textes constituent aujourd’hui un frein pour l’ANEEMAS dans l’encadrement de ces sites, car on dit que les titres miniers et les autorisations ne sont superposables que sur accord du détenteur de permis préexistant. Alors qu’on dit également que cet accord peut être négocié par l’ANEEMAS. Du coup, lorsque l’ANEEMAS n’a pas l’accord du détenteur de permis, il ne peut même pas se déployer sur le site, encore moins l’organiser.
Nous avons enregistré autour de 110 demandes de conventions, nous avons fait des requêtes auprès des détenteurs de permis, mais à ce jour, nous sommes autour de 12 conventions signées. Cela veut dire que la quasi-totalité des demandes sont restées sans suite. Soit que les détenteurs de permis n’ont pas répondu, soit qu’ils ont catégoriquement refusé.
Nous sommes donc impuissants. Pour une région comme le Sud-Ouest, qui est pratiquement sous permis de recherche, il est difficile d’avoir une zone neutre ou nous avons des sites pour encadrer. Nous avons eu des rencontres d’échanges avec le ministère de tutelle pour engager des réformes et voir comment nous pouvons régler certaines failles afin de permettre à la structure d’aller rapidement dans un processus d’encadrement de cette activité qui emploie plus de 2 millions de personnes de façon directe.
Si cette activité est bien encadrée, elle pourra contribuer fortement à l’économie nationale. Nous demandons l’accompagnement du gouvernement pour résoudre cette difficulté de taille, afin que les détenteurs de permis nous accordent cette facilité d’assister nos artisans miniers sur leurs sites. On constate souvent que les artisans miniers ont commencé leur activité avant que ces détenteurs de permis obtiennent leurs documents.
Donc, il y a un problème de légitimité qui se pose sur le terrain et qui crée beaucoup de difficultés. Nous sommes obligés de résoudre ces questions qui, en réalité, prennent du temps inutilement.
S : Quel appel avez-vous à lancer aux acteurs ?
J.O. : Nous avons un appel fort à lancer à tous les acteurs, en particulier aux artisans miniers. L’’Etat a créé l’ANEEMAS pour valoriser l’activité minière artisanale. C’est une avancée qu’il faut noter. Le Burkina Faso est un exemple à apprécier dans la sous-région. Et nous devons en être fiers en tant qu’artisans miniers. Il faut nécessairement que l’on accepte d’appliquer les textes pris, car cela y va de la santé et de la sécurité des acteurs. Il n’y a pas de textes qui sont pris pour empêcher la réalisation de l’activité, mais c’est pour empêcher les difficultés, comme ce qui s’est passé à Gongombiro, de se reproduire.
Il faut que les artisans miniers suivent les conseils que donnent nos encadreurs. Aussi, c’est pour que la sécurité des acteurs puisse être mise en avant, ainsi que la limitation des risques sur l’environnement, que ce soit dans la phase d’extraction ou toute autre. Pour cela, il faudra que chacun joue pleinement son rôle.
Cette situation nous interpelle sur comment ces substances sont produites, transportées et acheminées sur un site d’orpaillage. C’est toute une chaine d’acteurs qui interviennent et chacun se reconnait dans ses responsabilités. Nous souhaitons l’accompagnement de tous, afin qu’on donne un nouveau visage à l’exploitation minière qui est aussi une activité importante.
Interview réalisée en ligne par Fayama KAMELE
L’article Utilisation des substances explosives : « Les artisans miniers du site de Gongombiro ont pourtant été formés » Jacob Ouédraogo, DG/ANEEMAS est apparu en premier sur Quotidien Sidwaya.