24 janvier 2022- 24 mars 2022, deux mois, jour pour jour que le lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba est à la tête de l’Etat burkinabè suite à un putsch contre l’ex président Roch Kaboré. Pour justifier son coup, la junte militaire a évoqué l’incapacité du régime Kaboré à venir à bout du terrorisme. Boureima Drabo, président et membre fondateur du club Aurore « Think Thank » était l’invité de Lefaso.net pour faire le bilan des 60 jours de l’avènement du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), le lundi 28 mars 2022 à Ouagadougou. « Deux mois passés à la tête de l’Etat, nous avons une lecture tout autre que ce que nous avions eu aux premières heures de leur prise du pouvoir » déplore-t-il.
Lefaso.net : Comment avez-vous appris la nouvelle du coup d’Etat du 24 janvier ?
Boureima Drabo : Nous avons été mis devant les faits accomplis par un groupe de militaires qui auraient pris leurs responsabilités. Ils ont prétexté l’incapacité du régime démocratiquement élu du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) à venir à bout du phénomène de l’insécurité que traverse le Burkina Faso et d’autres pays de la sous-région. Les raisons évoquées par les putschistes étaient purement sécuritaires. Que des militaires justifient leur prise de pouvoir par la crise sécuritaire et affirment avoir la solution pour restaurer l’intégrité territoriale, c’était plutôt une bonne nouvelle. Mais il faut dire que dans les premiers temps, il y a eu ce temps de silence, d’observation pour méditer le sort de la nation. Nous nous sommes dit enfin, voilà des hommes qui vont travailler sur toute la chaîne de valeur de la question sécuritaire pour donner la paix au peuple burkinabè.
Certains ont condamné ce coup d’Etat. D’autres par contre l’ont approuvé et il y en a qui ont pris acte. Vous êtes de quel bord ?
Par principe et en tant que républicain, je n’approuve pas la prise du pouvoir par des armes car cela est antirépublicain. Je ne peux pas approuver cette manière d’arriver au pouvoir.
Sachant bien que ce sont des militaires eux-mêmes (FDS) qui sont sur le champ de bataille, pensez-vous qu’ils sont à même de remporter cette victoire contre les forces obscurantistes ?
Il y a de cela sept ou huit ans que j’avais déjà évoqué cette question que nous vivons au Burkina Faso, contrairement à d’autres pays qui le vivaient depuis bien longtemps. Le pouvoir de M. Roch Kaboré avait pris des mesures pour endiguer le terrorisme qui montait en puissance. Ce qui l’avait conduit à mettre à la tête de certains groupements armées de jeunes officiers très compétents et aussi à allouer un budget de près de 700 milliards de francs CFA pour permettre aux personnes déplacées, victimes de ces attaques, de rejoindre leurs terres et notamment permettre à nos enfants de reprendre gaiement et fièrement le chemin de l’école. Deux mois après l’avènement du MPSR, nous avons une lecture tout autre que celle que nous avions eue aux premières heures.
Nous avons constaté de façon factuelle que le phénomène des attaques s’est accru. Près de 278 écoles fermées, plus de 100 000 élèves et environ 17 000 enseignants touchés par cette crise sécuritaire. Donc, cela nous fait douter, d’autant plus que nous observons actuellement que sur le terrain politique, il y a la mise en place d’un certain nombre d’institutions, des tractations au niveau du palais présidentiel et autre. Là où nous attendons le MPSR, c’est surtout sur la question de la sécurité.
Qu’attendiez-vous concrètement d’eux ?
Nous attendions les militaires sur la question sécuritaire à 90% et nous souhaitions que les militaires puissent jouer le rôle qui est le leur, celui de défendre le territoire national afin de permettre au peuple de vaquer librement à ses occupations. Ils doivent laisser le cirque politique et reprendre le territoire national des mains des terroristes. L’action du MPSR est inscrite dans le temps (36 mois) donc ils doivent travailler à entrer dans l’histoire en s’occupant prioritairement de la question sécuritaire et en laissant les questions politiques à la société politique.
Depuis l’avènement des militaires au pouvoir, l’usage du terme « restauration » est devenu problématique. Certains pensent que restaurer, c’est réhabiliter les anciens du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) de Blaise Compaoré et les placer aux postes stratégiques de l’Etat, comme c’est le cas de Yéro Boly. Quelle analyse faites-vous ?
Le régime en place doit se focaliser essentiellement sur les questions sécuritaires parce que c’est là que le peuple l’attend. Pour ce faire, Il doit s’écarter de la politique. Il faut se rappeler que le MPSR, on l’a connu que de nom. Nous ne connaissons pas les personnalités qui constituent ce régime. Il n’y a pas eu de liste ou une cartographie des membres de ce régime. Donc, c’est au fil du temps que nous découvrons d’autres acteurs civils comme militaires. De ce point de vue, le MPSR laisse penser que la « restauration » c’est de faire revenir l’ancien régime CDP aux commandes et cela se confirme davantage avec la nomination de M. Yéro Boly, un cacique du CDP, comme ministre en charge de la réconciliation nationale. Aussi, ce monsieur est très proche de Blaise Compaoré et des membres très influents du parti. Cela laisse libre cours à toutes sortes d’interprétations. Des gens pensent que ce régime s’est accaparé du pouvoir dans l’unique but de restaurer le CDP et ses instruments tel que le Régiment de sécurité présidentielle (RSP).
« La restauration se fera avec tout le monde », disait le lieutenant-colonel Paul Damiba. Quelle solution miracle avez-vous à lui proposer pour chasser l’hydre terroriste du Burkina ?
Lors de la désignation des personnalités pour rédiger la charte de la transition, nous avions apporté une contribution en tant qu’intellectuels et personnes averties de certaines questions. Nous avons fait suivre certaines propositions. Ce que nous avons comme proposition, c’est d’inviter le régime Damiba à ne pas trop s’élaguer et à rester focus sur la sécurité. Pour moi, les indicateurs doivent être la reconquête du territoire. Et dans les points mensuels des opérations qu’ils font, nous devrons voir les superficies de terres reconquises et le nombre de déplacées qui ont regagné leurs localités, le nombre d’enseignants qui ont retrouvé leurs classes fermées. Ce sont ces indicateurs que nous voulons suivre et non des actions militaires sporadiques.
Que pensez-vous de la nomination de certaines personnalités publiques dans le gouvernement tels Bassolma Bazié et Lionel Bilgo ?
Pour moi, contribuer à quelque niveau que ce soit dans la construction de son Etat n’est pas mauvais en soi. M. Bassolma occupe le portefeuille du ministère de la Fonction publique. Qui est plus éclairé sur les problèmes que vivent les travailleurs au Burkina que Bassolma Bazié ? M. Bilgo quant à lui, a une vision très approfondie de ce que doit être l’école burkinabè. Je pense qu’on leur permet aujourd’hui de mettre leurs connaissances au profit de la nation burkinabè. Ce sont des Burkinabè qui ont décidé de contribuer et on ne peut que leur souhaiter une bonne mission.
Comment avez-vous suivi le choix des représentants du peuple devant siéger à l’Assemblée législative de transition ?
J’ai suivi avec intérêt la mise en place des institutions, à savoir les délégations spéciales qui, de mon point de vue, n’ont pas connu de succès. La société est stratifiée par des groupes de métiers et de compétences. Il y a la société religieuse, coutumière, politique et il y a des organes de l’Etat qui sont le fait des sociétés politiques. Quand on n’est pas de cette société et qu’on essaye de les faire fonctionner, cela fait naître des dysfonctionnements. Malheureusement, c’est ce qui a été constaté lors de l’installation des représentants : des personnes désignées par des groupes pour voter les lois qui vont engager notre pays.
Nous avons vu une liste majoritairement présentée par le lieutenant-colonel Paul Damiba et sur laquelle certains noms posaient problème, notamment le premier sur la liste du président qui était celui d’un avocat inconnu de l’Ordre des avocats du Burkina. En plus, il nous a été donné de voir que la secrétaire parlementaire de l’ALT est une élève de 27 ans. Je pense que les gens tentent de banaliser le métier de secrétariat dans ce pays. Là je fais un clin d’œil au ministre de l’éducation nationale, Lionel Bilgo, pour lui dire que ce n’est pas ce modèle d’éducation que nous voulons au Burkina Faso. Qu’à 27 ans nous soyons toujours des élèves. Qu’à cela ne tienne, nous devons toujours présenter ce qu’est l’éducation burkinabè, connue mondialement pour la qualité de son enseignement.
Ici, il s’agit de questions législatives ou il faut parler et voter des lois. Je pense que cela suppose des prérequis. Il faut avoir un minimum de bagage intellectuel pour pouvoir construire un bon discours, être capable de faire un certain parallélisme pour pouvoir voter des lois. Nous pensons qu’il y avait mieux à faire dans le choix des hommes.
Contrairement au CNT de 2014, quelle doit être la particularité de cette ALT de 2022 ?
Je suis de ceux qui ne comparent pas 2014 et maintenant parce que ce n’est pas la même configuration. Aussi, je trouve que c’est un abus de dire que ceux qui siègent sont des « représentants du peuple ». Je ne pense pas qu’il y ait un seul dans cet hémicycle qui connaît les problématiques du Sourou, des hameaux de culture de la Boucle du Mouhoun. Là, nous sommes dans un format où il faut respecter la composition de l’Etat démocratique avec certains organes afin d’avoir des mains libres pour discuter avec des bailleurs de fonds et donner une image démocratique de la transition. Je pense que ces élus doivent travailler d’arrache-pied pour mettre en place des lois qui puissent mettre notre pays rapidement sur les rails. Ils doivent voter des lois pour le plus grand bien du peuple burkinabè, c’est ça leur principale mission.
Deux mois du MPSR à la tête de l’Etat burkinabè. Quelle lecture faites-vous ? Est-ce qu’il est tôt de dire que le pouvoir actuel est un échec ?
Deux mois après la prise du pouvoir, le MPSR continue d’émerveiller les populations. Mais je pars toujours du premier discours du président Damiba ou toute la classe politique était remise au rebut pour réfléchir sur la centralité de l’Etat. Aujourd’hui, nous sentons un manque de fermeté dans le contrôle même de ceux qui vont représenter le peuple à l’Assemblée législative. On ne peut pas prévoir que c’est un fiasco parce qu’un fiasco ce serait un échec pour tous les Burkinabè. Il faut qu’on se débarrasse de tout ce carcan administratif et se focalise sur le volet sécurité. Un gouvernement de combat, une ALT de combat. Il faut que le pouvoir se recentre sur la sécurité. L’armée burkinabè est très républicaine et ceux qui sont aux affaires aujourd’hui, on connaît leur parcours militaire. De ce fait, ils n’ont qu’à se ressaisir pendant qu’il est encore temps car en voulant faire ce qui ne relève pas de leur domaine, ils risquent de se perdre.
Le procès Thomas Sankara sera bientôt terminé. Quel est votre avis sur son déroulement ?
Nous voulons que ce procès puisse avoir un dénouement pour que ceux qui ont fauté puissent répondre de leurs actes afin d’apaiser les familles. Nous prônons la citoyenneté comme valeur unique pour que le Burkinabè puisse retrouver ses valeurs d’antan.
La scène politique est en pleine mutation caractérisée par des vagues de démissions enregistrées dans des partis tels que le MPP (environ 104 départs) ces derniers jours. Quelle analyse faites-vous de cela ?
Effectivement la scène politique est en pleine ébullition après une longue période d’observation. Cela me fait penser aux propos du Dr Emile Paré qui disait que « si les politiciens sont silencieux, soit ils ont peur, soit ils sont en train de calculer ». Je pense qu’ils ont fini de calculer et la peur également est finie. Les mutations ou le transfert de certains politiciens d’un parti A à un parti B est le fonctionnement classique du monde politique parce que certains sont dans des partis politiques pour des idéaux et d’autres pour des objectifs bien précis. Et dès lors que ce but est atteint, quoi de plus normal qu’ils changent de veste ?
Interview réalisée par :
Dofinitta Augustin Khan
Erwan Compaoré (Stagiaire)
Ange August Paré (Monteur)
Lefaso.net
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