Le soumbala ou soumbara, encore appelé la caroube d’Afrique, fabriqué à base de graines de néré (Parkia Biglobosa), est une épice beaucoup utilisée dans la cuisine en Afrique de l’Ouest. Au Burkina Faso, surtout en pays gourounsi, ces graines fermentées fraiches, assaisonnées, se mangent uniquement avec du tô. A Ténado, localité située à une vingtaine de kilomètres de Koudougou, dans la région du Centre-Ouest, ce plat, accompagné de poulet flambé, attire des convives de divers horizons dans le maquis de André Bamouni. Dégustation !
Samedi 16 avril 2022 à Ténado, dans la province du Sanguié. A cette veille de la célébration de la résurrection de Jésus- Christ, une pluie bienfaisante arrose toute la localité. Les fidèles chrétiens s’activent dans les préparatifs. A l’entrée de la ville, des commerçants de légumes, sur des vélos ou sur des motos et des jeunes, avec un ou deux boucs attachés sur des engins de marque SANYA, se dirigent vers le marché à la recherche de derniers clients.
A 12h15mn, l’équipe de Sidwaya est au ‘’ maquis resto espace vert ‘’. L’affluence n’est pas au rendez-vous, car des gouttelettes d’eau se font toujours sentir sur les crânes. Néanmoins, quelques clients venus de Ouagadougou et de Koudougou, assis sous un hangar, devisent en attendant leurs poulets flambés et de tô au soumbala frais. Quelque temps après, un autre client, Dominique Bassolé, accompagné de deux dames, fait également sa commande, non pas pour manger sur place, mais pour emporter. Il confie qu’il adore ce plat délicieux, ainsi que ses enfants et à chaque fois qu’il est de passage à Ténado, il faut qu’il y fasse un tour.
« J’ai vu du poulet au soumbala ailleurs, mais jamais de ce goût », s’enthousiasme-t-il. Jean-Baptiste Zongo, habitué du coin, réside à Ténado. Il souligne que sa sauce préférée est le gombo, mais celle au soumbala frais est ancrée dans ses habitudes alimentaires, qu’il ne peut se la priver, parce qu’à son avis, elle est préparée naturellement et sans bouillons cubes. « La majorité des gourounsi sont robustes. Depuis que j’ai découvert que c’est le tô au soumbala leur secret, j’emboite leur pas.
C’est un mets vraiment nourrissant », avoue-t-il, tout taquin. Au ‘’maquis resto espace vert’’, consommer local prend tout son sens. Cette spécialité gourounsi qui attire autant de convives est une initiative de André Bamouni, agent de bureau à la perception de Ténado, polygame et père de sept enfants. Ce maquis, dit-il, il l’a ouvert en 2016, pour sa première épouse ménagère. La deuxième femme est enseignante de profession. Cet espace est une entreprise familiale qui permet, selon M. Bamouni, de payer la scolarité de ses enfants qui sont toujours à sa charge. « Au départ, mes femmes étaient contre cette idée d’ouvrir un maquis qui n’apportera rien, selon elles.
Je me suis entêté, en essayant avec un premier endroit qui n’a pas abouti. Mais aujourd’hui, ce ‘’petit et grand coin’’ porte ses fruits », relate-t-il, tout sourire. Le natif de Ténado souligne que le menu principal était le poulet au soumbala frais, apprécié des clients. La viande est assaisonnée uniquement à l’ail, persil et au sel. « Quand j’étais petit, j’ai remarqué que pendant les fêtes, les parents cotisaient de l’argent pour acheter des porcs et du riz. Une fois qu’ils mangeaient ce repas et l’associaient à l’alcool, ils rendaient toute leur nourriture.
Mais si c’est avec le tô, le problème ne se pose pas. J’ai alors conclu que le tô est compatible avec l’alcool. Raison pour laquelle j’ai préféré l’accompagner au poulet avec le soumbala frais que le riz. Chez nous, le soumbala remplace le piment», justifie t-il. M. Bamouni fait savoir que dans la tradition gourounsi, avec un petit morceau de viande, on peut facilement terminer un plat de tô.
Bien que le coût du sac de maïs reste élevé, la boule de tô est toujours
vendue à 25 francs.
A ‘’espace vert’’, pas question de se voir servi uniquement du tô au soumbala sans le poulet. « Si le client est régulier, il peut arriver des fois qu’il ne dispose pas de 4000 F CFA pour le poulet. En ce moment, il peut être servi sans la viande », explique André Bamouni. Boubié Bado, commerçant à Ténado, est fidèle à ce maquis-resto. Son plat est souvent consommé sur place ou emporté pour la famille. Il dit être bien connu du responsable et de tous les employés, à telle enseigne que le jour où il est ‘’fauché’’, ce mets lui est servi à crédit.
Un secret familial
Pélagie Bamouni, la 2e épouse de M. Bamouni, consacre les jours fériés et les vacances au maquis. Elle aide sa coépouse dans la préparation de la sauce et du tô à base de tamarin, qui peut être conservé pendant une semaine. La boule est vendue à 25 F CFA. Elle indique qu’avec la période morte, le sac de 100 kilogrammes de maïs acheté peut faire 14 jours, sinon en temps normal, il n’excède pas une semaine. Le soumbala, c’est le frais qui est souhaité pour la préparation, avec du piment frais et de l’oignon.
A entendre Mme Bamouni, il y a un congélateur solaire, juste pour la conservation du soumbala. Deux vieilles dames dans les villages environnants de Ténado leur livrent cette épice à tour de rôle, tous les six jours pour 60 000 F CFA. Quant aux poulets, ils viennent de Tchériba dans la région de la Boucle du Mouhoun. Son époux révèle qu’ils sont suivis par les agents de santé sur le plan de l’hygiène et les services vétérinaires. « Nous avons aménagé un endroit à la maison où nous stockons les poulets.
Quel que soit le nombre demandé par le client, il sera servi », rassure M. Bamouni. La préparation de la sauce soumbala, à son avis, est une recette de ‘’grand-mère’’ et tout le monde ne la maitrise pas. Pélagie Bamouni de renchérir que c’est un secret familial. « Pour réussir cette sauce, il faut bien frire les oignons avec les autres condiments et un peu de sel. Le soumbala est cuit au feu, avec un peu d’eau, avant le mélange. Toute la cuisson peut prendre au maximum une heure », explique-t-elle, toute confiante.
Elle se souvient qu’une de ses belles-sœurs, spécialiste dans les services traiteurs à Ouagadougou, l’a une fois suppliée de lui montrer la préparation de cette sauce, afin qu’elle puisse se faire aussi des clients. « Malheureusement, elle a échoué et elle a laissé tomber », déplore-t-elle. Dans ce maquis, le riz au soumbala est également cuisiné, mais c’est le tô qui est le plus prisé des clients. Dame Bamouni affirme que les débuts n’ont pas été faciles, parce que les autres ethnies n’ayant jamais goûté ce plat se moquaient d’eux en ces termes : « Comment peut-on manger du tô avec de la viande et du soumbala? ».
Elle indique que ces derniers qui ont essayé avec une boule de tô dès le départ, terminent plusieurs boules de nos jours. Les convives du ‘’petit et grand coin’’ viennent de divers horizons, Dédougou, Bobo-Dioulasso, Nouna, Ouagadougou, Koudougou… Les jours ouvrables, les recettes oscillent entre 125 000 FCFA à 150 000 FCFA. Les week-ends, tous les cinq hangars ne désemplissent pas. « Nous pouvons encaisser environ 400 000 F CFA », se réjouit le natif de Ténado.
Le maquis reçoit des commandes de tô de plus de 30 000 F CFA, avec 100 mille F CFA de sauce, pour des cérémonies de mariages, anniversaires, baptêmes, réceptions et funérailles. Pour cette fête pascale 2022, plus de 130 poulets ont été commandés et Pélagie Bamouni précise, qu’il faut que tout le monde, y compris son mari, mette la main à la pâte, pour que les clients soient satisfaits. D’autres commandes, de plus de 100 poulets, sont attendues ce mois de mai 2022 .
Le tô est payant
Le propriétaire du maquis ‘’resto espace vert’’, André Bamouni :
« chez les gourounsi, le tô est comme le pain. Si on sait manger la viande avec le pain, c’est pareil aussi avec le tô ».
Trois clients, après avoir fini de manger leur plat, s’en prennent au grilleur, parce qu’ils n’ont pas retrouvé les têtes et les pattes des poulets. Ce jeune, désemparé, balbutie en mooré : ‘’ ka Yawoto ‘’, qui signifie ‘’ici c’est comme ça’’ pour dire que le poulet se vend ici sans ces parties. Mme Bamouni fait savoir que les clients, dans leur majorité, ne veulent pas les têtes et les pattes, à moins qu’ils ne les réclament.
« Il y a des enfants qui paient leur scolarité avec l’argent de ces deux parties. Ne pouvant pas les prendre tous en charge, ils viennent aider à déplumer les poulets et ils vendent la tête et les deux pattes à 100 FCFA à une vieille qui fait de la soupe qu’elle revend dans des cabarets à 200 F CFA », justifie-t-elle. Elle souligne que certains clients se plaignent également du prix du poulet et d’autres pensent qu’ils ont droit au tô gratuitement. Ils ne savent pas qu’il est payant. « Le poulet se vendait entre 3 000 et 3 500 F CFA.
S’il est passé à 4 000 F CFA, c’est parce que les prix ont aussi flambé sur le marché », atteste dame Bamouni. La sauce soumbala est vendue à 3 000 FCFA dans la grosse boîte vide de mayonnaise ‘’Bama’’, aux clients qui veulent consommer et non à ceux qui veulent la revendre avec d’autres mets. « Quelquefois, des clients veulent nous jouer de sales tours, nous faisant croire qu’ils veulent consommer, mais si le nombre dépasse trois boîtes, nous refusons. Nous avons déjà été victimes et nous sommes très vigilants », prévient-elle. Par ailleurs, si Koudougou n’est pas une zone touchée par les attaques terroristes, la situation sociopolitique actuelle, selon André Bamouni, empiète sur son chiffre d’affaires. Il explique d’une part, que le prix des denrées a connu une hausse.
La boîte de la sauce de soumbala frais est vendue à 3 000 F CFA,
uniquement aux clients qui veulent consommer.
D’autre part, il regrette le manque d’ateliers et de séminaires dans la cité du Cavalier rouge qui fait que les clients se font rares, car beaucoup de missionnaires faisaient un tour au ‘’petit et grand coin’’. Il a fait savoir que l’objectif visé dans cette activité, ce n’est pas de se faire des millions. « Le fait que les clients apprécient ce mets nous encourage et nous galvanise davantage. Sinon, acheter un poulet à 3750 F CFA, le griller et le revendre à 4000 F CFA, ce n’est pas l’argent que nous cherchons. Si nous avions la possibilité de leur servir gratuitement, nous le ferions », affirme-t-il.
De multiples vertus
Utilisé généralement pour relever le goût des repas, le succès du soumbala n’est plus à démontrer chez André Bamouni. Malgré sa forte odeur jugée repoussante, la sauce soumbala offre un bon goût aux papilles gustatives des clients à Ténado. Cette épice, encore appelée moutarde d’Afrique, recèlerait pour certaines personnes, des vertus thérapeutiques, de maintien de bonne santé et serait efficace pour stabiliser la tension artérielle trop élevée. Les spécialistes soutiennent qu’il est une importante source de protéines dans l’alimentation.
Selon une étude de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 100 g de soumbala sec apportent à l’organisme 432 calories et contiennent 36,5 mg de protides, 28,8 g de lipides et 378 mg de fer. De l’avis du nutritionniste en charge de la fortification et de la sécurité sanitaire des aliments, Abdoulaye Gueye, le soumbala contient de la vitamine B2 et PP. « Sa composition en minéraux, c’est sa teneur en calcium, fer et en phosphore », ajoute-t-il.
Pour lui, la consommation du soumbala favorise l’activité cardiaque, améliore le fonctionnement du cerveau, aide à combattre l’apparition du goitre, réduit l’anémie et renforce les défenses immunitaires, particulièrement la prévention du cancer. « Une soupe de soumbala pure ou additionnée de légumes légèrement cuits, vous débarrasse des grandes fatigues », se convainc le nutritionniste. André Bamouni estime que si ‘’espace vert’’ est fréquenté, c’est parce que nombreuses sont les personnes convaincues que le soumbala soigne beaucoup de maux et en plus, il est préparé naturellement.
Afsétou SAWADOGO
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