Burkina : « Depuis le 24 janvier 2022, nous avons reculé d’une décennie par rapport aux problèmes du pays », Newton Ahmed Barry
Le président Thomas Sankara disait que : « Devant des situations inextricables, quand le désespoir semble s’installer s’élève la victoire des persévérants ». C’est dans cet esprit qu’est né le 19 mai dernier le « Forum Ditanyè ». Ce nouveau-né a pour vocation de créer les conditions d’une réflexion profonde sur la meilleure façon de doter le Burkina Faso d’institutions politiques et d’une démocratie qui règlent les problèmes des citoyens afin qu’ils s’érigent en gardiens intrépides de ces instances. Les grandes lignes de ce nouvel « arbre à palabre » ont été dévoilées officiellement, ce mardi 24 mai 2022 à Ouagadoudou au cours d’une conférence de presse.
La nouvelle intrusion de l’armée dans la vie politique a créé plus que les autres fois, un dilemme, a soutenu le comité de pilotage du Forum Ditanyè d’entrée de jeu. Dans son discours, Dr Guy Yogo a indiqué qu’ « après les turpitudes des six années du gouvernement de Roch Kaboré, les Burkinabé dans leur grande majorité en étaient venus à souhaiter la fin de ce pouvoir qui avait vendangé leur grand rêve de l’après insurrection ». En clair, la démocratie dont ils avaient rêvé se révélait plus décevante que les difficiles années de Blaise Compaoré.
A l’entendre, l’amélioration, qu’ils avaient espérée, de leur condition de vie n’a pas été au rendez-vous. Pire, regrette-il, plusieurs millions d’entre eux se sont retrouvés à être des réfugiés dans leur propre pays à cause d’un terrorisme dont ils croyaient qu’il n’arrivait qu’aux voisins.
Dr Guy Yogo, porte-parole du comité de pilotage du « Forum Ditanyè »
Selon le comité, il est clair qu’un peuple déçu peut faire des choix incompréhensibles et parfois paradoxaux sinon comment comprendre que le même peuple qui, en 2015 a risqué tout pour contrer un coup d’Etat militaire peut, en l’intervalle de six ans, se montrer indiffèrent à un putsch militaire, celui du MPSR ? Depuis 60 ans, constate Dr Yogo, l’avènement des politiciens tout comme des militaires au pouvoir s’est toujours terminé dans la déception faisant tourner le peuple en rond. A quand la fin de cet éternel recommencement s’interroge le comité de pilotage du Forum Ditanyè
De son côté, l’ex président de la CENI (Commission électorale nationale et indépendante), Newton Ahmad Barry, a déclaré que « les 100 premiers jours du pouvoir des lieutenants-colonels, les Burkinabé, déboussolés se demandent s’ils n’ont pas abandonné le cholera pour la peste. »
Selon M. Barry, les expériences acquises dans ses postes de responsabilités lui ont appris une chose importante, ce qui lui permet d’affirmer sans risque de se tromper : « Il ne suffit pas d’être aux affaires pour changer les choses, c’est faux ! (Cette affirmation est en lien avec une question posée par un journaliste sur son passage à la tête de la CENI). La force du changement ce sont des idées et la preuve est que chaque fois qu’un régime politique arrive sans un idéal au pouvoir, il échoue lamentablement. A défaut, ils passent leur temps à se partager l’argent parce que c’est tout ce qu’ils savent faire car pour eux, il n’y a pas d’autres valeurs que le matériel. Quand on n’a pas d’idée on réveille des mauvais sentiments des citoyens (ethnique, communautaire etc.). En absence d’idée toute personne succombe à ces écueils (l’argent, les plaisirs bassement primaires…) »
Participants
« La pire des choses pour un pays, c’est l’instabilité politique. Depuis le 24 janvier 2022, nous avons reculé d’une décennie par rapport aux problèmes du pays », a déclaré Newton Ahmed Barry. De l’avis de l’ex patron de la CENI, ce ne sont pas des dieux qui viendront nous gouverner, mais plutôt des humains. Et comme dit-il, il n’existe pas d’humain qui soit parfait, c’est pourquoi la première urgence serait d’engager des réflexions, d’imaginer des institutions et des garde-fous pour qu’un responsable défaillant puisse être mis de côté pour éviter l’instabilité politique permanente. A l’en croire, ce serait un échec collectif, une insulte des consciences que de laisser le sort de la patrie des hommes intègres entre les mains de quelques individus dépourvus des valeurs d’intégrités.
Dans l’immédiat, précise-t-il avec insistance, « nous devons réfléchir sur les institutions et notre démocratie pour qu’elles s’adaptent aux Burkinabè, non plus que les Burkinabè soient obligés de s’adapter à une démocratie et aux institutions copiées collées. Nous devons engager de larges concertations pour la constitution d’un Front démocratique pour constituer une veille démocratique autour de la présente transition, pour qu’elle ne s’écarte pas de sa vision qui est celle de la restauration du territoire national et le retour des PDI dans leur village respectif… »
En rappel « Forum Ditanyè » regroupe des Burkinabè connus et reconnus pour leur patriotisme et leur engagement au service de la nation. Aussi, il organise sa première conférence publique le 31 mai prochain à 14h dans l’enceinte de l’université Joseph Ki-Zerbo sous le thème : « Regard critique sur les rendez-vous manqués de la démocratie : Comment construire des institutions qui répondent aux aspirations des Burkinabè ? »
Dofinitta Augustin Khan
Lefaso.net