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Exactions terroristes : des chocs difficiles à surmonter

La plupart des Personnes déplacées internes (PDI) sont victimes de traumatismes consécutifs aux exactions commises par des groupes armés terroristes. Au-delà du vécu de ces atrocités qui affectent la stabilité mentale des PDI, les conditions d’accueil sont aussi un autre vecteur de choc moral.

La veuve A. S Awa Sebgo ne s’est toujours pas remise de son stress psychologique.

P.S., 35 ans, est une rescapée de la barbarie des groupes armés terroristes. Durant 30 mois, elle a subi toutes sortes de violences sexuelles de ses ravisseurs. De cette exploitation sexuelle, elle donne naissance à un bébé. Elle et ses deux fillettes (5 ans et 13 ans) ont été enlevées, dans la soirée du dimanche 3 juin 2018, dans la cour familiale du pasteur de Belhoudé (Arbinda), Pierre Boina, par huit assaillants. Parmi les otages, figurent également le pasteur Boina, ses trois enfants (6 ans, 11 ans et 13 ans) et sa belle-fille. Le pasteur fut relâché après trois mois de captivité. Quant à sa belle-fille, elle décède dans les mains de ses ravisseurs au moment de l’accouchement de son bébé issu de l’exploitation sexuelle.

Une fois dans « l’inconnu », en territoire malien, le quotidien des otages, selon P.S., est la lecture du Coran et l’apprentissage de la prière musulmane. « Un jour, ils vont vous dire de vous marier, parce que vous ne retournerez plus dans vos familles. C’est ainsi qu’on m’a imposé un combattant burkinabè », raconte-t-elle. Durant tout son séjour, P.S. subit toutes sortes de violences : injures, châtiments, viols, etc. « La vie était très difficile. Nous dormons sous les arbres. Et, lorsqu’il pleut, nous nous couvrons avec des bâches bleues. Parfois, nous déchirons des morceaux de pagnes pour boucher nos oreilles, afin d’éviter que l’eau de pluie n’y pénètre », se remémore-t-elle, tout amer. La vie de P.S. et celles de ses fillettes ne tiennent sont plus tenues qu’à un fil. « Il ne se passe pas un jour sans que des otages ne meurent de crise cardiaque ou d’autres maladies, ou, deviennent fous de folie ou de maladie. Le regard menaçant des terroristes amène certains à s’évanouir et à succomber d’anxiété.

Ceux qui tentent de fuir tombent seuls et meurent sans être abattus », déplore P.S., sous forte émotion. Et de poursuivre : « A un certain moment, ma prière était d’être abattue par ces terroristes afin d’alléger ma souffrance. Parce que, j’étais comme une mort vivante ». Après avoir passé deux ans, six mois et sept jours dans cet « enfer », elle réussit à s’évader, nuitamment, avec ses trois fillettes, dont son nourrisson d’un mois, le 10 novembre 2020. Après cinq jours de marche dure traversée du désert, nocturne et diurne, à la merci des reptiles venimeux, mines artisanales…, la elle multipare parvient à rejoindre Déou-centre, dans la province de l’Oudalan, région du Sahel. Elles embarquent dans un véhicule de transport en commun en partance pour Ouagadougou, le 15 novembre 2020. « J’avais économisé au moins 35 mille francs CFA que j’ai reçus des bonnes volontés, de connivence avec les terroristes, qui venaient volontairement soutenir les otages », souligne P.S. Cette douloureuse expérience de vie a laissé des séquelles psychiques dans l’esprit de la trentenaire.

Près de trois 3 ans de captivité

En dépit des soins traditionnels reçus, durant un an, auprès de son géniteur, elle est victime de stress post-traumatique. Maladive, elle a trouvé refuge dans une autre ville au secteur 4 de Kaya, depuis le 27 décembre 2021. L’air méfiant et le regard perdu dans le vide, P.S. sombre dans la dépression. « Je suis revenue sans une tête. Je peux passer toute une journée à regarder sans rien voir. Mon cœur, ma tête et tout mon corps me font mal. Mes yeux ont tendance à vouloir s’éclater. Si une moto ou un véhicule passe, j’ai envie de fuir. Je suis devenue comme une folle », se lamente-t-elle. Tenir un bébé (17 mois) issu de son exploitation sexuelle et de surcroît appartenant à un de ses bourreaux est une autre source de choc moral. «J’avais décidé de l’abandonner en cours de route, dans la forêt. Mais, j’ai dominé mon cœur. Sinon, il y a eu des moments où son visage m’a fait beaucoup souffrir », souligne-t-elle. Les crépitements quotidiens des armes aux alentours de la ville Kaya plonge P.S. dans la perplexité.

« Je préfère me réfugier à Ouagadougou avec ma famille, parce que je tiens leur enfant…», opte- t-elle. A entendre P.S., son époux souffre de schizophrénie. En dépit des agressions sexuelles subies, la rescapée a été accueillie à bras ouverts par sa belle-famille. « Si après près de trois années de captivité, P.S. accepte revenir avec nos enfants, nous devons lui la traduire toute notre reconnaissance, parce qu’on n’y croyait plus. Elle a déjà subi des violences. Elle ne doit plus être victime d’injures ou de tortures. J’ai été mandaté à vivre auprès d’eux pour qu’en cas de conflit entre elle et son mari, que je puisse intervenir », promet son beau-frère, O. S Ousséni Sawadogo alias Sidiki. Les sévices des groupes armés terroristes sur leurs victimes provoquent des chocs morauxl. A. S Awa Sebgo revit quotidiennement le lynchage de son conjoint, H. ZHamado Zabré, en avril 2020. Reparti dans son village à la recherche de quelques effets, son mari est pris au piège par une centaine d’hommes armés. Capturé vivant, il Hamado Zabré est égorgé les bras ligotés dans le dos. Deux autres hommes subissent la même sentence. Leurs corps sans vie sont ensuite superposés au bord de la voie. Un acte effroyable pour A. S Awa Sebgo et sa progéniture. Originaire de Hambaré, village de la commune de Bouroum, dans la province du Namentenga, région du Centre-Nord, la quadra-génaire peine à reprendre ses esprits. Elle a trouvé refuge dans la cour familiale de son neveu, le pasteur Daniel Zabré, sise au quartier Koumkouili, au secteur 6 de Kaya dans une autre ville.

La reviviscence des attaques meurtrières

La voix peu audible et l’air méfiant, A. S dame Sebgo a élu domicile dans les centres de santé. « Elle est régulièrement hospitalisée. Mais, sa santé mentale ne s’améliore pas. Elle passe des nuits blanches à pleurer. Il fut un bon moment où elle fuyait nuitamment dans la brousse à cause de la peur », témoigne son hôte D. ZDaniel Zabré. D’un ton calme et respectueux, elle fustige la méthode utilisée pour exterminer son conjoint. « Comment peut-on égorger son un semblable comme un mouton ? », s’interroge-t-elle, désespérément. Collier bleu-blanc au cou et un foulard jaune portant à l’effigie de l’église des Assemblées de Dieu (AD) solidement noué à la tête, A. S Awa Sebgo crie aussi au secours, afin de retrouver sa santé mentale. Les âmes sensibles supportent difficilement les scènes horribles commises par les forces du Mal. Le choc subi est souvent si intense que certaines Personnes déplacées internes (PDI) frôlent même la démence. J. S Justine Sawadogo est plongée dans la reviviscence de l’attaque meurtrière de l’église évangélique de Sirgadji, commune de Tongomaël, dans la province du Soum, région du Sahel. Le dimanche 28 avril 2019, aux environs de 13 heures, six binômes armés motorisés ont fait irruption dans ledit sanctuaire. Dans l’assassinat ciblé, le pasteur Pierre Ouédraogo, en service depuis 35 ans dans ladite église et cinq autres fidèles, dont son fils Wend-Kouni Ouédraogo et le diacre Zoéyandé Sawadogo sont froidement exécutés.

Le Dr Yacouba Ouédraogo : « il ne se passe pas une seule journée sans que mes services n’accueillent entre 3 et 7 personnes en situation de prise en charge psychologique ».

Une 7e victime grièvement blessée a survécu miraculeusement à sa blessure. Les femmes y compris J. SJustine, elles, reçoivent des coups de fouet infligés par quatre autres bourreaux. Le pupitre de l’église a été incendié par les forces du Mal. Des biens sont emportés. « Ils ont emmené ma valise, mes ustensiles de cuisine et mes pièces d’identité que j’avais amenés à l’église pour bénédiction, parce que je préparais mon mariage », se lamente J. Sdame Sawadogo. Témoin de ce massacre, elle Justine Sawadogo n’arrive plus à dompter sa peur. C’est une PDI visiblement abattue. qui vit dans la hantise dans la zone non lotie de Dassassogo, quartier du secteur 7 de Kaya. «Si je rentre en ville et que j’aperçois des soldats armés, je fais demi-tour. Je crains qu’ils ne viennent me tuer», confie-t-elle. Les yeux rougis et l’air angoisséeant, la primipare de 26 ans est convalescente. « Je viens de recevoir trois poches de sérum. Parfois, ma tête me fait mal durant deux à trois jours consécutifs. J’ai l’impression que mon cœur veut s’arracher…», s’inquiète-t-elle. Désespéré, son époux D. S Daouda Sawadogo ne sait plus à quel saint se vouer. «Ma femme ne dort plus la nuit. Elle peut passer aussi toute une journée sans dire un mot à quelqu’un. Elle fuit quotidiennement les bruits de d’une motos ou d’une de voitures. Chaque jour, elle me dit de regarder à droite, à gauche, derrière ou devant que les terroristes arrivent pour nous tuer», se lamente-t-il.

2 349 cas de violences

Maçon de profession, D. S M. Sawadogo est contraint de réduire ses activités pas pour rester auprès de sa dulcinée. « Je ne peux plus aller sortir sur un chantier de construction », confie-t-il l’air écœuré. Son souhait le plus ardent est que sa compagne recouvre la retrouve sa santé mentale. A l’instar de P.S., A. S, J. S Awa Sebgo, Justine Sawadogo, la majorité des de nombreuses PDI souffrent de troubles mentaux consécutifs aux exactions des groupes d’hommes armés. Selon le Directeur régional (DR) en charge de l’action humanitaire du Centre-Nord, Yacouba Ouédraogo, de janvier à décembre 2021, les services en charge de l’action humanitaire ont dénombré 2 349 cas de violences de nature morale et psychologique sur 2 713 cas de Violences basées sur le genre (VBG), soit un taux de 86,58%. Des données qui sont loin de la réalité, d’autant plus qu’une bonne partie des PDI ne se signale pas auprès des services administratifs. Le nombre va d’ailleurs croissant grandissant au jour le jour, au regard du traumatisme que les PDI ont subi, révèle Yacouba Ouédraogo. « Avec cette crise, il ne se passe pas une seule journée sans que mes services n’accueillent entre 3 et 7 personnes qui se trouvent dans une situation de prise en charge psychologique», déplore M. Ouédraogo.

A la date du 31 mars 2022, selon les données du Secrétariat permanent du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (SP / CONASUR), la région du Centre-Nord enregistre 655 891 PDI, soit 35,44% du taux national (1 850 293 PDI), dont 411 426 (62,73%) enfants et 149 979 (22,87%) femmes. « Du fait du nombre croissant des PDI, nous sommes souvent surpris par le nombre de cas de celles PDI victimes de traumatisme », souligne Yacouba Ouédraogo. Outre les symboles étatiques, les églises chrétiennes sont également des cibles privilégiées des groupes armés terroristes. Des responsables religieux et leurs suppléants tombent parfois sous les balles assassines des « fous de Dieu » laissant ainsi leurs épouses dans le désarroi. Salomon Bamogo était est le diacre de l’église des AD de Bollé (Foubé). Il a été assassiné par une trentaine de terroristes, le dimanche 28 avril 2019, aux environs de 15 heures. Sa conjointe N. B Naomi Bamogo qui a trouvé refuge à Pousmiougou, quartier du secteur 4 de Kaya, est toujours sous le choc. Calme et l’air méfiant, la mère multipare de neuf enfants a perdu tout espoir. « Depuis le décès de mon mari, je ne ferme plus l’œil. La nuit, je m’assois au fond de la maisonnette jusqu’au petit matin, les larmes aux yeux. Actuellement, je n’arrive plus à faire la différence entre le jour et la nuit. Parfois, je passe trois jours consécutifs sans manger », lâche-t-elle, accompagnée d’une goutte de des larmes aux yeux.

Des séquelles psychologiques

Très discrète, son traumatisme la morfond davantage. « Si c’était en 2019 que vous étiez venus, vous auriez eu des difficultés pour lui arracher un seul mot. Elle était devenue comme une folle. Tellement qu’elle est traumatisée, elle se méfie des gens. Beaucoup d’ONG sont passées pour échanger avec elle, mais elles n’ont pas pu lui arracher un seul mot », témoigne notre guide S. N Samuel Nabaloum. Naomi Bamogo N. B a frôlé de justesse le pire. «A un certain moment, j’avais décidé de me suicider, parce que je trouvais que ma vie n’avait plus de sens. Mais, à cause de grâce à mes enfants, j’ai finalement renoncé à ce projet fatal », confesse- t-elle, la tête baissée et les mains « enfouies » entre les jambes. Habillée en tee-shirt, de couleur orange portant l’effigie des AD, N. B Naomi dit avoir confié son sort au Seigneur Jésus Christ.

« Je participe à des séances de moralisation deux fois par semaine auprès des responsables de l’église protestante », déclare-t-elle. M. Z Madeleine Zemba a trouvé refuge dans la cour familiale de son beau-fils, le pasteur B. S Boureima Sawadogo, sise au quartier Kouim-kouli du secteur 6 de Kaya. Elle continue d’essuyer les larmes du deuil de son époux, le défunt pasteur de l’église des AD de Boukouma (Arbinda), Elie Zoré, exécuté en avril 2019, par une centaine de terroristes. Une situation tragique qui laisse des séquelles psychologiques dans le mental de la veuve. « Lorsque j’ai appris la nouvelle, je me suis évanouie. J’ai passé par la suite trois nuits sans fermer l’œil et ou sans manger », se rappelle-t-elle. Depuis lors, elle peine à reprendre ses esprits. Maladive, sa santé mentale a pris un coup est assez criante. «Le simple bruit d’une boîte lui la fait peur. Elle n’a plus l’esprit tranquille. Lorsqu’elle entre en ville et elle voit un soldat armé, elle rebrousse chemin », témoigne son hôte B. S Boureima Sawadogo. Filiforme avec des scarifications au et visage bien cicatrisé, la quadragénaire avoue avoir effectué des va-et-vient, à maintes reprises, aux services de l’Action humanitaire sans avoir une oreille attentive à l’écouter. « Je suis allée plusieurs fois expliquer aux agents de l’action sociale que j’ai tout le temps peur et que je ne dors plus la nuit, mais je n’ai jamais été écoutée », regrette-t-elle, le regard rivé au sol. En attendant que son cri du cœur soit entendu, Madeleine Zemba M. Z bénéficie, de nuit comme de jour, des prières de son beau-fils, le pasteur Boureima Sawadogo.

L’oisiveté est la mère des vices

La psychologue clinicienne et psychopathologue, Sarh Mariama Kaboré : « pour une meilleure prise en charge psychologique, il faut d’abord satisfaire les besoins physiologiques des PDI ».

Au-delà du vécu des atrocités qui affectent la stabilité mentale des PDI, les conditions d’accueil sont aussi un autre vecteur de choc moral, estime le président du Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des du peuples (MBDHP)/Sanmatenga, Issaka Ouédraogo. Pour lui, le manque de suivi psychologique des PDI est une atteinte grave aux droits fondamentaux de l’Homme. « Lorsqu’un droit est violé, cela va se répercuter sur les autres droits », s’inquiète- t-il. La région du Centre-Nord compte 72 sites d’accueil temporaires, où sont érigées des milliers de tentes de fortune exiguës. Cette promiscuité, selon le Dr Ouédraogo, peut être également une autre source de dépression. « L’individu a besoin d’un certain espace pour s’exprimer ou se retrouver en intimité avec ses proches. Ce qui n’est pas souvent le cas dans nos sites d’accueil temporaires. Même ceux qui se trouvent dans une certaine normalité (familles d’accueil) peuvent se retrouver du jour au lendemain dans un choc psychologique pouvant les conduire au suicide…», explique Yacouba Ouédraogo. Un autre vice susceptible de porter atteinte à la santé mentale des PDI, selon la psychologue clinicienne et psycho-pathologue, Sarah Mariama Kaboré, est l’oisiveté qui est la mère des vices.

« Les PDI restent toute la journée, voire des mois ou années sans rien faire. Ce qui les amène à se morfondre et à sombrer davantage dans le stress psychologique. De ce fait, toute idée négative qui survient peut être mise en exécution », avertit la psychopathologue. A l’écouter, de façon générale, une victime de traumatisme qui ne bénéficie pas de soins psychologiques peut développer plusieurs troubles psychiatriques pouvant perturber sa vie, sa santé mentale, voire sa santé organique. La facilitatrice des guérisons de traumatisme, Noëlie Sorgho, souligne que, sans assistance médico-psychologique, les PDI victimes de traumatisme courent le risque soit de tomber dans la démence, soit de succomber à leur stress posttraumatiquepost-traumatique. Les PDI désespérées, poursuit Mme Sorgho, peuvent se donnent la mort, soit par suicide, soit par noyade ou encore par tout autre s les moyens dont elles disposent. Pour les aider donc ceux les PDI aujourd’hui en état de choc psychologique à surmonter leurs difficultés, le défenseur des droits de l’Homme, la facilitatrice des guérisons de traumatisme, la spécialiste en charge de la santé mentale et le DRr en charge de l’action humanitaire du Centre-Nord conviennent tous qu’il faut renforcer le suivi. Ils esquissent aussi des solutions appropriées telles que la création des centres d’écoute et d’accompagne-ment, la mise en place des services des urgences médico-psychologiques accessibles aux PDI, la formation en quantité et en qualité de spécialistes en psychologie et en santé mentale et la mise à disposition gratuite des molécules psychotropes au profit des PDI victimes de traumatisme.

Emil SEGDA

Segda9emil@gmail.com

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