Avant tout propos, que celui qui n’a jamais mordu dans un fruit défendu froisse cette chronique et nous la jette en pleine figure. Avant de commencer, que celle qui n’a jamais cédé ou concédé tourne cette maudite page. Parlons à présent droit dans les yeux. On peut avoir un « deuxième bureau » et des « succursales » dans toutes les régions du pays, on ne doit pas donner dos à celle qui nous a lavé le dos. On peut avoir toute une pépinière de crudités verdoyantes et pimentées, on ne doit pas mettre en jachère le champ de nos ères austères. Regardez ce que mon voisin a encore fait : il a construit une villa pour une « femme de seconde main », dehors. Pourtant, il vit en location comme moi, dans une chambre salon sans confort ni renfort. C’est incroyable, mais il l’a fait. Les mauvaises langues racontent qu’il a tété au biberon de philtre d’amour et qu’il était possédé par la féline prédatrice. C’est triste, mais l’illusionné amoureux aux allures d’adolescent inconscient ne sait même pas qu’il court vers sa propre perte.
Ce qui est dommage, c’est quand je vois son troupeau de rejetons errer dans le quartier. Ça fait pitié ! Son premier fils a été renvoyé de l’école, faute de moyen et non de moyenne. Pendant ce temps, il paie près de 150 000 F CFA pour la maternelle du bambin frelaté de sa fraude conjugale. Combien de fois a-t-il donné un « congé de mariage » à sa légale épouse pour aller se sucrer chez la ventouse fatale ? Combien de fois sa titulaire téméraire est allée pilonner les positions de l’envahissante assaillante, au cœur de son palais ? Mais toutes les déclarations de guerre de la sublime légitime n’ont pas fait capituler le mari qui barrit. Elle a fini par signer l’armistice l’arme au pied, face à une adversaire armée jusqu’aux fesses, sans escarmouche. Moi aussi j’ai déjà succombé à la tentation du fruit défendu. J’en ai mordu et j’ai failli en devenir un mordu. Nous avons tous succombé d’ailleurs à cette sensation fébrile de gouter au miel d’une autre ruche. Pourtant, nous en avons toute une cruche à la maison.
Je suis tombé quand même, comme une bûche. Dans le trou de la tentation, il n’y a pas que délices et épices, il y a aussi les sévices et le supplice des caprices de l’impératrice qui nous pisse dessus. Et on en ressort toujours avec des cicatrices qui crissent au moindre attouchement de madame. Parfois, quand la conscience nous réveille, on se rend compte qu’on a déjà offert le poulet flambé, emballé dans des liasses de mille. A la maison, on n’a rien déposé pour la popote. On préfère tout donner à la cocotte qui nous menotte et se froisser comme une cocotte en papier. Pauvres hommes ! Où irons-nous avec toutes ces jupettes à perpète qui trimballent et nous emballent dans les dédales du mal ? Pour quel trophée, nous nous battons à tâtons avec notre bâton, accrochés au bout du pagne ? En vérité, il n’y a rien dedans, mais pourquoi diantre, nous nous cassons toujours les dents, sans pouvoir nous en démarquer ? Mon voisin a fini par perdre la face sans laisser de trace. Sa « femme de feu » l’a remercié et rétrocédé à sa femme de peu pour insuffisance de résultat. Et depuis sa chute, il marche comme un veuf neuf, la tête baissée entre honte et remords. Finis les poulets flambés, les soirées VIP, assorties de « 2Kpi » au lit. L’infortuné marche comme une canne, appauvri et démuni, plein de crédits. Il ne peut même pas s’offrir une sauterelle grillée.
Il vient de perdre son emploi pour avoir grignoté un peu trop dans la caisse publique. Au-dessus de la barre de la cinquantaine, il a pulvérisé sa carrière en l’air et compromis l’avenir de ses enfants. Le deuxième bureau, c’est comme la prison de Guantanamo ; une fois dedans, tu ne vois plus dehors, tes chances de liberté s’amenuisent, pire, s’estompent à vie. Alors méfiez-vous des bureaux hantés qui s’ouvrent et attirent, ce sont les trous noirs de l’univers conjugal. Mais comment savoir marcher sans tomber dans un « bureau perdu », surtout quand ils sont tous bien meublés et équipés de « balcon » et de « canon » ? Que chacun fasse sa prière, parce que quand un bureau se referme, plusieurs autres s’ouvrent. Heureusement et malheureusement, c’est nous qui avons la clé.
Clément ZONGO
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