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Lu pour vous : La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr, un pur talent littéraire

Déjà auteur à succès avec ses trois premiers romans, De purs hommes, Silence du cœur et Terre ceinte, Mohamed Mbougar Sarr détonne une fois de plus avec La plus secrète mémoire des hommes publié en 2021 et auquel a été décerné le prestigieux Prix Goncourt 2021. Avec ce roman, l’auteur sénégalais exprime l’étendue de son talent et son amour pour la littérature.

Que pourrions-nous ajouter de plus au florilège d’éloges qu’a reçu le roman La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr à sa parution en 2021 aux Editions Philippe Rey et Jimsaan ? L’on dira simplement que ce livre est le couronnement d’une ambition, celle d’engendrer une œuvre majeure. La plus secrète mémoire des hommes est littéralement un hapax. Chaque mot, chaque phrase transpirent de l’appétit de dire qui a étreint l’auteur dans sa rédaction. Dans ce roman, Mohamed Mbougarr Sarr déploie à la fois l’immensité du talent d’un enquêteur acharné, d’un biographe fouineur et d’un sociologue méticuleux. Dans la construction de cette œuvre magistrale, l’auteur a vidé son cœur et ses tripes. Mohamed Mbougar Sarr tutoie à la limite les cimes d’une érudition insoupçonnée. La maîtrise de la langue, le choix des mots et leur agencement sont un hymne à la littérature.

La plus secrète mémoire des hommes est un roman qui étreint, éreinte et bouleverse tant l’intrigue est ficelée avec maestria. Au cœur du livre, l’histoire d’un autre roman et de son auteur, Le labyrinthe de l’inhumain de T. C. Elimane. A la lecture de ce livre qui tient comme le dit Mohamed Mbougar Sarr « de la cathédrale et de l’arène », Diégane Latyr Faye, qui porte la figure du narrateur, est séduit non seulement par la qualité de son écriture, mais aussi intrigué par la polémique qui a accompagné sa parution et le mystère de son auteur. Salué à sa parution par la critique, Le labyrinthe de l’inhumain est aussitôt cloué au pilori pour une histoire de plagiat qui chamboule tout. Certains critiques sont allés jusqu’à douter que l’auteur fût un Africain.

« Rimbaud nègre »

La malice de certains, conjuguée à des préjugés éculés, se met en branle pour descendre T. C. Elimane qu’un critique avait qualifié de « Rimbaud nègre » à la parution de Le labyrinthe de l’inhumain en 1938. Des histoires inventées de toutes pièces contribuent à salir la réputation du roman. Devant la critique gonflante, les éditeurs retirent les exemplaires de l’ouvrage et les détruisent. L’auteur, T. C. Elimane accuse le coup, décide de répondre par le silence et l’indifférence contre cette vague nauséeuse de critiques qui ont décidé sa perte. C’est autour de cette histoire insolite que Diégane Latyr Faye décide d’aller au-delà des lieux communs pour découvrir le fond du problème. Entre les archives et sa rencontre avec la secrète écrivaine Siga D., une cousine de T. C. Elimane, l’auteur de La plus secrète mémoire des hommes traque les moindres détails de la vie du mystérieux écrivain, à travers la France, l’Amérique latine et le Sénégal, la terre qui l’a vu naitre. Aux derniers moments de son enquête, Diégane découvre que T. C. Elimane avait confié à une de ses proches intimes, Maam Dib, sa venue dans son village après sa mort. « Il savait que tu viendrais, dit Maam Dib, jugeant qu’elle pouvait reprendre.

Il savait aussi que vous ne vous verriez pas. Il me l’a dit. Il m’a dit avant de mourir qu’un jeune homme inconnu viendrait un soir pour lui. J’ai tout de suite su que c’était toi. Je ne vais pas dire que je t’attendais ce soir. Mais je savais que tu arriverais ici bientôt. Il t’avait vu depuis longtemps » (p434), lui confie Maam Dib. Cette dernière est l’une des épouses du frère jumeau du père de T. C. Elimane, Ousseynou Koumakh Diouf, celui-là même qui s’est occupé de lui jusqu’à ce qu’il s’en aille en France pour poursuivre ses études. Ce séjour de Diégane dans le village de T. C. Elimane va l’édifier davantage sur sa vie. Après sa pérégrination à travers le monde, T. C. Elimane s’est retiré loin du brouhaha suscité par son livre, Le labyrinthe de l’inhumain. Devenu mystique et guérisseur, il consacre le restant de sa vie à prodiguer des soins aux habitants de son village et des environs, et à prier pour les siens.

Hommage à Yambo Ouologuem

Derrière cette fiction menée de main de maître par Mohamed Mbogar Sarr, c’est un vibrant hommage qui est rendu à l’écrivain malien Yambo Ouologuem, du moins une réhabilitation de son roman, Le devoir de violence qui connut le même sort que Le labyrinthe de l’inhumain. En somme, se trouve au cœur de La plus secrète mémoire des hommes, un grand questionnement autour de la littérature même. Diégane Latyr Faye et ses autres amis écrivains africains Musimbwa, Faustin Sanza et Béatrice Nanga en débattent chaque jour lors de leurs retrouvailles. La plus secrète mémoire des hommes raconte aussi en filigrane la délicate histoire d’amour entre le personnage principal Diégane Latyr Faye et l’insaisissable photojournaliste Aïda. Ce roman est aussi une sorte d’introspection du personnage principal lui-même sur sa personnalité qui frise un brin l’autobiographie. « Tu n’assumes jamais ce que tu penses.

Tu parles toujours de nuance, de complexité. Tu crois que c’est ça, être intelligent, être mûr, avoir une pensée ? Sur les sujets les plus graves comme sur les plus ordinaires, ta pensée est un balancement permanent. Tu veux. Et la seconde d’après, tu ne veux plus. Tu crois et tu doutes dans la même phrase. Une vie de peut-être ! C’est ce que tu veux ? On ne sait jamais ce que tu penses. Le monde pour toi est une fine ligne de crête entre deux abîmes » (p113), lui martèle la camerounaise Béatrice Nanga. Certains passages du roman sont à la fois bouleversants et révélateurs de la bêtise humaine. Comme la lettre de Musimbwa où il confie le drame qui a bouleversé sa vie à huit ans dans son pays le Zaïre et s’interroge sur ce que la colonisation a fait des Africains. « La colonisation sème chez les colonisés la désolation, la mort, le chaos. Mais elle sème aussi en eux et c’est ça sa réussite la plus diabolique le désir de devenir ce qui les détruit », (p422), assène Musimbwa. Par ce roman, Mohamed Mbougar Sarr, l’ancien enfant de troupe du Prytanée militaire de Saint-Louis, signe en lettres d’or son nom au panthéon des lettres africaines. De la littérature tout court !

Il mérite bien d’être lu et relu.

 Karim BADOLO

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