Les législatives du dimanche 31 juillet 2022 au Sénégal, qui consacrent l’élection des 165 députés appelés à siéger au Parlement, se sont déroulées dans le calme. La bonne tenue du scrutin dans la plupart des 15 196 bureaux est à saluer, mais il faut craindre pour les jours d’après, à voir l’ambiance qui règne déjà dans le pays. La Commission nationale électorale autonome (CENA), qui a en charge l’organisation du scrutin, n’a pas encore livré les résultats provisoires, que les parties prenantes revendiquent, de part et d’autre, la victoire. Quelques heures après la fermeture des bureaux de vote, la coalition présidentielle Benno Bokk Yaakaar est montée au créneau pour annoncer sa victoire.
« Nous avons gagné 30 départements sur les 46 que compte le Sénégal et des circonscriptions à l’étranger. Ceci nous donne incontestablement une majorité à l’Assemblée nationale », a affirmé sa tête de liste, Aminata Touré, face à la presse. Le camp d’en-face, l’alliance de l’opposition, Yewwi Askan Wi, dirigée par Ousmane Sonko, n’a pas tardé à contester ces affirmations, dénonçant un « vulgaire mensonge » et une « majorité préfabriquée ». Plus qu’une contestation, l’opposition aussi réclame la victoire, certains de ses leaders et partisans ayant commencé à parader dans les rues de Dakar et de Ziguinchor pour fêter. Si les esprits s’excitent au « pays de la Teranga », c’est parce que ces législatives constituent un véritable test pour les deux tendances politiques. Le président, Macky Sall, qui n’a pas encore officiellement renoncé à briguer un troisième mandat, ne semble pas aspirer à une retraite.
Il aurait bien l’intention de « poursuivre ses chantiers », comme certains de ses pairs l’ont prétexté pour se maintenir aux affaires. Si sa famille politique remporte la majorité des 165 sièges à pourvoir, le chef de l’Etat sénégalais sera en bonne posture, pour prétendre à un nouveau bail. Un projet qu’il ne saurait conduire à terme, sans passer par le sport favori des prétendants au 3e mandat : modifier la Constitution. Dans le cas contraire, l’horizon va s’obscurcir pour Macky Sall, qui perd manifestement en confiance auprès de ses compatriotes, avec l’instrumentalisation de la justice et la politique de musellement des opposants. Pour sa part, l’opposition sénégalaise voit en ces législatives, une occasion de porter un coup dur à Macky Sall en le contraignant à la cohabitation. Surtout que le nouveau Premier ministre, poste supprimé et rétabli en décembre 2021, sera issu du camp des vainqueurs. L’opposition sénégalaise a raison de rêver grand, puisqu’elle monte en puissance dans l’opinion, à cause des problèmes de gouvernance, dans un pays réputé pourtant être un exemple de démocratie en Afrique de l’Ouest. Il ne faut pas oublier que l’opposition a gagné dans de grandes villes comme Dakar, Ziguinchor et Thiès, aux élections locales de janvier dernier. C’est un signe de progression incontestable sur le terrain politique. Les rêves et les ambitions des uns et des autres peuvent s’expliquer, mais encore faut-il éviter de placer les intérêts égoïstes au-dessus de ceux de la nation sénégalaise. Sur ce point, l’on n’a aucune garantie, si bien qu’il faut craindre des lendemains sombres. Les acteurs de la scène sénégalaise doivent se tenir à carreau, en attendant la proclamation des résultats, pour ne pas pourrir l’atmosphère. Au Sénégal, et c’est un secret de polichinelle, la rue ne tarde pas à s’embraser, comme on a pu le constater à plusieurs occasions. Mais force doit rester à la loi électorale qui veut qu’on ait un vainqueur et un perdant à l’issue d’une élection. Le plaignant doit se plier au verdict des urnes qu’il le veuille ou pas. Ce principe vaut aussi bien au Sénégal que dans n’importe quel autre Etat démocratique au monde.
Kader Patrick KARANTAO
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