En Guinée, il ne fait pas bon de critiquer la junte militaire au pouvoir, dirigée par le colonel Mamady Doumbouya. A plus forte raison, s’opposer à elle. Qui s’y frotte s’y pique, dit l’expression populaire. Le Front national pour la défense de la constitution (FNDC), importante coalition de partis, syndicats et organisations de la société civile, qui défie les nouveaux patrons du pays depuis des mois, l’a appris à ses dépens. Ce mouvement, créé en avril 2019 pour protester contre un 3e mandat de l’ex-président Alpha Condé, a été dissous par le gouvernement de Transition. Un arrêté a été pris à cet effet, le week-end écoulé, par le ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, Mory Condé. Il est reproché au FNDC de « se structurer par des actions violentes au cours de manifestations interdites et des actions ciblées contre les forces de l’ordre » et de « provoquer des manifestations armées sur les voies et lieux publics, ayant les agissements d’un groupe de combats et de milices privées ». En réalité, le péché du FNDC, c’est de dénoncer, manifestations à l’appui, la « gestion unilatérale de la Transition » par le colonel Doumbouya et ses frères d’armes. Aussi, cette entité demande-t-elle le départ du chef de la junte du pouvoir.
Le FNDC avait organisé, les 28 et 29 juillet 2022, des manifestations interdites par les autorités. Celles-ci avaient occasionné la mort de cinq manifestants, fait plusieurs blessés civils et militaires et des dégâts matériels. Déterminé comme à son habitude, le FNDC devait revenir à la charge, avec une nouvelle manifestation, le 17 août prochain, quand la décision de sa dissolution est tombée comme un couperet. Manifestement, le colonel Doumbouya veut faire taire le FNDC, dans sa dynamique de casser les politiques et la société civile, prompts à critiquer ses actions. De quoi surprendre les défenseurs de la démocratie et des libertés individuelles et collectives qui voyaient d’un bon œil, l’après Alpha Condé, considéré comme un dictateur à son passage au sommet de l’Etat. D’ailleurs, ce sont les problèmes de mal gouvernance, accumulés sous le régime d’Alpha Condé, qui avaient amené le colonel Doumbouya à le déposer, en septembre 2021.
Mais à voir ce qui se passe actuellement en Guinée, on se demande si le tombeur de l’ancien président vaut mieux que lui. On assiste malheureusement aux mêmes scènes que sous Alpha Condé, sinon pire. Des Guinéens avaient été aussi tués, entre 2019 et 2021, pour s’être dressés contre Alpha Condé, en manifestant contre son nouveau projet de bail présidentiel. Les réalités n’ont visiblement pas changé : la répression a toujours cours au pays de Sékou Touré. Dans ces conditions, on ne peut pas affirmer sans ambages, que la Guinée avance. La conduite de la Transition et il faut en convenir avec le FNDC, n’est pas si consensuelle qu’elle en donne l’air. Le maitre du jeu est bel et bien le colonel Doumbouya qui distribue les cartes à son bon vouloir. Le chef de la junte doit pourtant être à l’écoute de tous les Guinéens, même ceux qui ne sont pas d’avis avec lui sur certaines questions. Il ne doit pas tomber dans les mêmes travers qu’Alpha Condé. Les temps ont changé en Afrique et particulièrement dans la sous-région ouest-africaine, où un fort vent de démocratie souffle ces dix dernières années. Vouloir coûte que coûte réduire au silence les voix discordantes, dans un tel contexte, est une mission quasi impossible. Il faut tenir le gouvernail, en faisant avec les contestations qui ne manquent jamais dans la gestion des affaires publiques. Le colonel Doumbouya qui n’ignore pas ces réalités, gagnerait à être un démocrate en treillis, pour le bien de son pays.
Kader Patrick KARANTAO
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