Vente de livres au Burkina : « Librairies conventionnelles et librairies par terre ne sont pas toujours rivales »
Livres, brochures, kits et matériels scolaires, etc., voilà ce que l’on retrouve facilement dans toute librairie de la place au Burkina Faso. Si à la base, il n’existait que des librairies conventionnelles où l’on ne pouvait trouver que du neuf, entre 2000 et 2005 s’est développée au Burkina Faso l’activité des librairies par terre afin de combler les besoins des populations qui éprouvaient quelques difficultés quant à l’obtention de certains produits.
Si pour certains les libraires « conventionnelles » restent les meilleures, d’autres amateurs de livres par contre ne jurent que par les « par terre ». Cette dernière catégorie propose bien souvent des ouvrages pédagogiques, scientifiques, des romans, journaux, dictionnaires, bandes dessinées de seconde main. Mais comment sont organisées ces librairies et quelles sont leurs sources d’approvisionnement ?
Quelle est la contribution de chacune d’elles dans la satisfaction des parents d’élèves ? Quelles appréhensions les travailleurs des librairies conventionnelles ont des librairies par terre et vice versa ? Bref, quel rapport peut-on établir entre les librairies par terre et les librairies conventionnelles ? Voilà autant de questions auxquelles les acteurs concernés ont daigné apporter quelques éclaircissements.
« L’école intègre l’homme dans la communauté humaine, elle fait de l’individu une personne. C’est elle qui le fait exister dans les échanges qu’il vit avec les autres », disait Albert Jacquard. Toutes ces vertus que l’on attribue à l’école sont connues de mémoire par les parents d’élèves qui, chaque année, s’évertuent à inscrire leurs enfants à l’école en nourrissant l’espoir qu’ils deviennent des hommes meilleurs. Cependant tout comme les ingrédients sont un impératif pour la cuisson, toute entame de l’année scolaire nécessite un kit conséquent. Pour satisfaire ce besoin, les librairies, qu’elles soient conventionnelles ou par terre, proposent leurs produits aux parents d’élèves pour la réussite scolaire de leurs enfants.
Approvisionnement des librairies
Pour satisfaire la clientèle, les librairies, qu’elles soient conventionnelles ou par terre s’équipent au mieux afin d’avoir une diversité de produits. Pour ce qui est des librairies conventionnelles, « le matériel que nous avons nous vient directement des maisons d’édition. Ce sont elles qui nous approvisionnent. Ici, tout le matériel est neuf », confie Moussa Yoda, responsable à la librairie Bon Berger à Ouagadougou. Quant aux librairies par terre, leur mode d’approvisionnement est divers car avec le temps, les choses ont changé. « Il y a très longtemps les livres nous venaient de pays comme la Côte d’Ivoire, le Mali et même de la Guinée », rappelle El Hadj Mahamadi Ouédraogo.
Cependant, avec les réformes engagées par l’Etat dans le système éducatif où certains programmes ont connu des mutations, les documents venant de l’extérieur ne constituent plus les premiers choix de ces libraires. Désormais, ils se rabattent sur les documents produits au Burkina Faso pour être en conformité avec les programmes scolaires et fidéliser leurs clientèles. « Comme les programmes ont changé, il y a certains livres qu’on ne peut plus vendre. Quand on revient de voyages avec certains livres, les clients ne s’y intéressent pas parce que ce n’est pas ce que les enfants étudient en classe. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup évolué. Certains de nos professeurs conçoivent maintenant des annales en fonction des nouveaux programmes pour faciliter le suivi scolaire des enfants. Finalement, c’est auprès de ces derniers que nous achetons nos livres. Quant aux cahiers, stylos et autres fournitures scolaires, nous les achetons chez les grossistes de la place », nous a-t-il confié.
Que préfèrent les clients ?
La clientèle dans les librairies n’est pas partout la même. De la qualité au prix en passant par le professionnalisme, tous les arguments sont bons pour justifier ses préférences. « Je fréquente les librairies par terre depuis maintenant onze ans. En 2011, j’ai pris un livre pour un élève en classe de 3e. Son petit frère dont il est plus âgé de sept ans a utilisé le même livre à son tour. Il est vrai que ces livres sont quelques fois chiffonnés de l’extérieur mais l’intérieur reste intact. Et même si je constate après qu’il y a des pages manquantes, je reviens échanger contre un autre livre. C’est vrai que c’est un va et viens mais de l’autre côté, les prix sont très abordables. On a la possibilité de marchander et de débattre sur les prix des produits. Mais je vous assure que le même livre qu’on achète à 2500 francs CFA dans une librairie par terre coûte cinq fois plus cher dans les grandes librairies où c’est à prendre ou à laisser. On peut aussi échanger les livres moyennant une somme compensatrice. Tout le monde veut aller dans les grandes librairies mais comme on le dit souvent, à défaut de la maman, on tète la grand-mère ».
Pour les clients des librairies conventionnelles, on peut taxer les librairies conventionnelles d’avoir des prix léonins, mais quoiqu’on dise, le prix s’oublie, la qualité reste. Pour Boris Tiendrébéogo qui achète parfois les fournitures scolaires de ses frères et sœurs, « les grandes librairies restent nettement meilleures pour la qualité de leurs produits. Tu peux acheter un stylo dans une librairie par terre qui n’écrit pas. Alors que dans les grandes librairies, il y a des produits de grandes marques. Pour ne pas perdre du crédit face aux clients, la qualité est toujours de mise et on y sort rarement déçu. Aussi, dans les grandes librairies, il y a une large gamme de produits qui contribuent à l’apprentissage et à l’épanouissement des enfants. Pas seulement ce qui est au programme, mais des produits qui éveillent l’esprit de l’enfant comme les bandes dessinées de tous les genres. Alors que dans les librairies par terre, on ne trouve pas tout ça nécessairement là-bas. Tu n’achètes que ce que tu vois. Tu ne prends que ce qui est disponible. Tu n’as pas le choix entre une marque de qualité moyenne et une autre de qualité supérieure ». En réponse à ceux qui dénoncent la cherté des produits dans les grandes librairies, il dira que « la qualité n’a pas de prix. Lorsqu’il s’agit de l’éducation des enfants, aucun objet n’est de trop grande valeur ».
Les appréhensions qu’ont chacune de l’autre
Les librairies conventionnelles et les librairies par terre font toutes le même métier, « mettre à la disposition des parents les produits nécessaires pour la rentrée scolaire » a laissé entendre Fatimata Ouédraogo, employée à la librairie Jeunesse d’Afrique. « Personnellement, je n’ai rien contre les librairies par terre. Vous les voyez devant la porte. Je pense qu’eux aussi recherchent leur pitance ».
Pour Moussa Yoda, responsable de la librairie Bon berger, ces deux types de librairies ne se tirent pas la bourre comme le pensent certains. Au contraire, les deux travaillent souvent ensemble et ce, pour la même cause. Il dira à ce propos que « chacune cherche à s’auto suffire. Je ne peux pas dire que quelqu’un qui se lève le matin, va travailler pour trouver de quoi nourrir sa famille, fait quelque chose de mal. Et même que ces librairies par terre aident certains parents qui n’ont pas les moyens de venir dans les grandes librairies. Leur travail ne nuit pas à nos activités dans la mesure où souvent ils achètent chez nous pour revendre ».
Toutefois, à entendre les libraires par terre, on comprend tout de suite que le langage n’est pas forcément le même. Pour Pascal Kaboré, « ceux qui vont dans les grandes librairies font le malin. Comme ce sont des gens qui ont l’argent qui y vont, ils ne veulent pas s’arrêter ici pour payer. C’est comme si c’était une honte pour eux. Sinon le matériel est le même et ici c’est moins cher. C’est à la dernière minute quand les grandes librairies sont vides qu’ils reviennent vers nous. Ici nous avons toutes sortes de livres, même ceux qu’on ne retrouve plus couramment. C’est quand ils recherchent ce genre de livres après avoir fouillé dans les grandes librairies, qu’ils se rappellent que nous sommes là ». dit-il.
Erwan Compaoré
Lefaso.net