« La politique est une passion sérieuse comme l’amour qui prend tout le temps et toutes les forces de celui qui s’y livre », disait le défunt écrivain français, , dans son ouvrage, “La grenade et le suppositoire”, paru en février 2008. Cette assertion illustre la situation de l’ex-Première dame de Côte d’Ivoire, Simone Gbagbo, qui, en revenant au-devant de la scène, démontre son attachement sans fin à la politique. En effet, cette femme de poigne de 73 ans a transformé son Mouvement des générations capables (MGC) en un parti politique, lors d’une Assemblée générale (AG), tenue les 19 et 20 août 2022, à Abidjan en Côte d’Ivoire. La mue du MGC ne s’est pas faite sans raison.
Le président du comité d’organisation de l’AG, Ben Monhessea Dekpeya, a livré l’explication suivante : « Les militants ont estimé que la politique constituait un levier fort qui peut transformer le pays. La société civile a montré ses limites. Il faut aller plus loin, être audacieux ». Engagé dans l’opposition, le MGC se veut un parti humaniste et progressiste, fortement ancré dans la social-démocratie, avec pour ambition de « transformer qualitativement les mentalités pour construite une Côte d’Ivoire nouvelle et moderne ». Le chemin est tout tracé. Il fallait être naïf pour croire que la présidente du MGC, très influente sous le règne de son mari, Laurent Gbagbo, de 2000 à 2011, allait se contenter de rester dans la société civile, à critiquer la gestion des affaires publiques. Elle jouit d’une trop grande expérience de l’appareil d’Etat et de la politique pour ne pas prétendre aussi jouer les premiers rôles en Côte d’Ivoire, les années à venir. Après tout, Simone Gbagbo s’est tirée de ses ennuis judiciaires, de même que son époux, récemment gracié par le président Alassane Ouattara.
Elle peut rêver de lendemains radieux, ce qui est légitime. Arrêtée en même temps que Laurent Gbagbo en 2011, au terme de la crise postélectorale qui avait fait plus de 3 000 morts, la « Dame de fer » a également bénéficié des faveurs présidentielles. Condamnée par la justice ivoirienne en 2015 à 20 ans de prison pour atteinte à l’autorité et à la sûreté de l’Etat, Simone Gbagbo a recouvré la liberté en 2018, à la suite d’une loi d’amnistie signée par l’actuel chef de l’Etat. Si elle avait relativement marqué une pause, la patronne du MGC renoue sans ménagement avec l’arène politique qu’elle connait depuis 40 ans. Elle n’est pas née de la dernière pluie, comme dirait l’autre. L’ex-Première dame de Côte d’Ivoire a d’abord été une syndicaliste active dans les années 70 et 80, qui a connu la prison, pour son combat pour le multipartisme. Elle a d’ailleurs mené cette lutte aux côtés de son mari, pour finir par co-fonder avec lui dans la clandestinité, le Front populaire ivoirien (FPI) en 1982. Ce parti bien évidemment avait été légalisé par la suite et compte parmi les grandes formations politiques en terre ivoirienne, malgré les clivages. Si Simone et Laurent formaient un redoutable tandem, la crise postélectorale de 2010-2011 les a éloignés, physiquement et politiquement. En lançant la machine MGC, la native de Grand-Bassam, en instance de divorce avec son époux, a pris ses distances avec lui sur le plan politique. L’ancienne Première dame de Côte d’Ivoire a décidé de voler de ses propres ailes et espère des vents favorables. Elle a en ligne de mire, les élections locales de 2023 et la présidentielle de 2025, selon certaines indiscrétions. Il reste à savoir si la patronne du MGC fera un tabac au sein des populations, elle qui traine une image de diablesse. Jusqu’à preuve du contraire, elle est perçue, à tort ou à raison, comme celle qui avait poussé Laurent Gbagbo à ne pas reconnaitre sa défaite à la présidentielle de 2010.
Un entêtement qui avait été à l’origine de troubles sanglants dans le pays. Simone Gbagbo, croient également savoir certains Ivoiriens, était l’instigatrice des « escadrons de la mort » pendant la crise postélectorale, même si elle s’en est toujours défendue. « Je n’étais en contact avec aucun escadron de la mort. Je n’aime pas les armes. Je n’ai pas une âme de guerrière. Les combats que j’ai menés, c’est avec ma bouche», avait-elle lancé face à la justice ivoirienne. Elle apparait également, aux yeux de nombreux Abidjanais, comme le principal commanditaire de la répression sanglante des femmes du quartier d’Abobo, acquis à Alassane Ouattara. Quoi qu’il en soit, Simone Gbagbo va devoir se défaire de sa réputation de « va-en-guerre » qui lui colle à la peau, si elle veut faire bonne impression aux prochaines élections. La crise postélectorale de 2010-2011, avec ses horreurs, a tellement marqué les esprits qu’elle aura du mal à se repositionner politiquement. La peur de revivre ces moments de grande cruauté hante encore de nombreux Ivoiriens qui souhaitent une paix durable pour leur chère patrie. Le passé peut être un sérieux handicap pour l’avenir…
Kader Patrick KARANTAO