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L’Emir du Liptako à propos du discours du président du Faso : « Je l’ai trouvé très mesuré et très réaliste »

L’Emir du Liptako a accordé une interview à Sidwaya relative au discours du Président du Faso, Paul-Henri Sandaogo Damiba, du dimanche 4 septembre 2022 à Dori. Il analyse le discours et donne son appréciation sur la gestion de la Transition.

Sidwaya (S) : Comment analysez-vous le discours du Président Damiba ?

L’Emir du Liptako (E.L .) : Si j’ai bonne mémoire, il avait promis de faire un bilan d’étape et il a tenu sa parole. Le fait de l’avoir fait à Dori me réjouit davantage, parce que c’est une zone où la population a subi beaucoup de problèmes liés à l’insécurité, au déplacement, tout ceci est la cause du désenchantement. J’ai trouvé l’allocution mesurée, réaliste. Il a dit que nous avons tous failli, en pointant du doigt tout d’abord les FDS et les VDP. Il a dépeint la situation, avant son arrivée au pouvoir, le 24 janvier dernier, en disant que nous étions dans des divisions, des désengagements et des comportements qui ont contribué à attiser le feu, plutôt qu’à l’éteindre. Il a aussi parlé de l’état de délabrement moral de toute la société, des services publics corrompus et politisés, de la mauvaise gouvernance, de la perte de confiance en la justice qui ne joue plus son rôle de régulateur social. Le président Damiba a aussi parlé de la classe politique engluée dans des intérêts personnels, d’achats de conscience et d’une gestion calamiteuse des deniers publics. Il a également fait cas d’une population laissée à elle-même qui n’a plus de repère et qui vit dans une assistance continue et de notre peuple qui perd son âme sans s’en rendre compte.

Son discours est un appel à un sursaut patriotique,  en faisant le rappel de notre histoire, en particulier l’époque où coutumiers et politiciens se sont mobilisés, en 1947, pour la reconstitution de la Haute-Volta. M’est il permis d’ajouter qu’à l’époque, que l’Emir du Liptako et le Roi du Gourma, ont aussi contribués à la reconstitution de notre pays, en se battant pour retour du Liptako et du Gourma à la Haute volta, malgré tous les moyens mis par Boubou Hama, alors le Président de l’Assemblée Nationale du Niger, pour que ces zones restent au Niger.

Ce que le président a dit est une réalité, beaucoup de personnes n’ont à l’esprit que leurs intérêts personnels, ce qui nous a amené à oublier complètement notre Nation.  Ce qui nous arrive n’est qu’une accumulation de problèmes qui a conduit une partie de nos concitoyens à se demander s’ils sont du Burkina ou tout simplement au Burkina.

Mon appréciation de l’intervention du président Damiba est positive,  car il a dit sans ambages où nous étions, où nous en sommes en ce moment et vers où nous devons aller. Il est évident qu’il ne faut s’attendre à une satisfaction générale, dès lors qu’il y en a qui sont pressé de revenir au pouvoir (aux « affaires », ceux-ci vont dire que « c’est bon, mais ce n’est pas arrivé… ». D’autres sont des partisans et vont applaudir. Pour ma part, je considère qu’il y a des actions qui sont posées, mais si vous demandez à quelqu’un comme moi, dont la population vit dans l’insécurité tous les jours et la précarité tout le temps s’il est satisfait de la situation, je  répondrai : non, sans hésiter. Je l’avais déjà dit lors de la rencontre entre les chefs coutumiers et le Premier Ministre que les choses avancent certainement, mais pas à notre satisfaction.  En effet j’aimerais pouvoir me lever aujourd’hui, à n’importe qu’elle heure, de Ouagadougou et aller à Dori, ou de Dori, prendre la route de Seytenga, celle de Gorgadji, ou de Falangountou. C’est impossible de nos jours !

Voilà pourquoi il est difficile de se satisfaire d’un bilan, de 5 mois, de ceux qui cherchent à résoudre un problème de sécurité qui a mis plus de 7 ans à s’installer.  L’important est de reconnaitre qu’il y a des avancées en ce moment et qu’il y a eu un sursaut patriotique de nos forces de sécurité et de défense et les VDP et qui s’impliquent réellement dans la bataille. Il faut maintenant que nous les populations, nous soyons solidaires avec ceux qui se battent pour libérer notre pays. Nous devons être dans une logique de soutenir nos fils et filles qui se battent  pour nous, les encourager et les aider.

S : Comment appréciez-vous la gestion du pouvoir du MPSR

E.L. : Pour nous chefs coutumiers, il s’agit de ne pas tomber ni dans des réflexions apologétiques, ni dans des discours anathémisant, mais d’utiliser les outils qui reposent sur nos capacités de percevoir des signes qui altèrent le bon fonctionnement de notre société, donc ce que la communauté vit au quotidien.

Nous avons apprécié, à sa juste valeur, la création innovante pour notre pays, d’un ministère qui s’occupe des affaires coutumières et religieuses, ainsi que la reconduite du ministère de la cohésion sociale et de la réconciliation, qui sont des ministères qui prônent le retour à la paix par la manière douce.  En effet, nous sommes dans une époque de suspicion généralisée, de désolidarisation où chacun suspecte l’autre, où la confiance a totalement disparu, plus personne ne donne à l’autre le bénéfice du doute, plus personne ne donne à l’autre la reconnaissance du rôle fondamental qu’il jouait en tant membre d’une communauté dans une société pourtant complémentaire.  La suspicion engendre la peur, la peur engendre la violence qui mène à l’insécurité, à la méfiance, à la stigmatisation et au repli identitaire.  Tous des éléments qui portent préjudice à la cohésion sociale.  Ainsi ces ministères ont des rôles majeurs à jouer.

Il faut ajouter que de nos communautés, nous recevons des nouvelles positives, selon lesquelles, ceux qui veulent repartir chez eux, arrivent à le faire, et aujourd’hui, les populations déplacées partent et reviennent à Dori, malgré le fait que la sécurité ne soit pas totalement une réalité.

Ainsi malgré que l’insécurité subsiste toujours, chez nous, les gens peuvent aller et revenir des zones comme Seytenga et des villages autour de Bani.  Mais nous voudrions que ça puisse aller mieux.

S : Comment apprécier la gestion du pouvoir du MPSR ?

E.L. : Je voudrais me réserver d’y répondre, bien que nous ayons toutes les raisons de parler de ceux qui nous gouvernent.  Encore faut-Il que ceux qui nous gouvernement aient assez d’humilité pour accepter la critique, surtout lorsque celle-ci doit guider toute action humaine et l’intérêt de mieux faire les choses. Alors que sans critique il ya beaucoup de risques d’autosatisfactions.

Est-il très africain qu’un gouvernant se croit toujours au dessus aux autres ? Il faut que les gens reviennent un peu sur terre. La force, la fortune, le pouvoir, la beauté, l’intelligence, la connaissance sont des présents que le bon Dieu prête  à l’humain. S’il en fait un mauvais usage,  il les lui retire. Je pense que les exemples chez nous sont patents. Il faut donc toujours avoir l’humilité de ne pas se considérer au-dessus des autres, parce qu’on a une fonction au niveau de l’Etat. Du reste, l’Etat c’est tout le monde et quand on arrive à un certain niveau de responsabilité dans l’appareil d’Etat, on représente les autres, mais on n’est pas au-dessus d’eux, donc il est plus important d’être plus utile que d’être plus autoritaire et il est important d’agir pour préserver la paix, la dignité et l’accès aux ressources de notre de façon égalitaire.

Je ressens, comme beaucoup de nos concitoyens actuellement, en plus de l’insécurité, le problème de la cherté de la vie. Elle est due à quoi?  Doit-on juste nous contenter d’accepter que les prix ont augmenté au niveau international, donc l’appliquer automatiquement à la population, quand bien même les revenues de celles-ci, sont soit inexistantes, soit au plus bas? N’est il pas de la responsabilité des dirigeants de prendre des mesures idoines pour que la population puisse faire face à ces augmentations, surtout en l’absence de sécurité sociale ? Sinon, tout au tard,  cela va tous nous éclater à la figure.

Les pistes pour nous sortir de cette situation est de nous attaquer plus aux causes,  ensuite aux conséquences. Nous devons trouver les raisons qui ont conduit les jeunes à prendre les armes contre leur pays. Est-ce le manque d’infrastructures sanitaires, d’écoles, de considération, le chômage de plusieurs et le désœuvrement  des jeunes issus des foyers coraniques, … Si on règle, ne serait-ce que 1/3 des problèmes des jeunes, ce sera une bonne avancée pour convaincre certains au retour. Le retour de ces personnes amènera d’autres à voir que c’est possible.  Il n’y a pas besoin de profilage, car eux-mêmes trouveront les raisons de rendre les armes et rentrer à la maison.

Le meilleur dialogue c’est de créer des emplois, des occupations utiles pour ces personnes qui sont parties. Je suis sûr qu’on ne va pas demander deux fois à quelqu’un qui a de quoi s’occuper dignement de sa famille de revenir. Mais, est-il juste de voir seulement ceux qui sont partis ? Il faut aussi voir la population qui est là et subit tous les jours et de résoudre les inégalités. Même nos religions disent qu’il faut bien accueillir le fils prodige, mais il faut penser aussi à ceux qui sont restés et qui subissent le poids de la misère.

Je me souviens il y a quelques années, mon père, alors Emir, avant que Le Bon Dieu ne le rappelle en 2010, était allé voir dernier le ministre de l’administration, avant l’insurrection, pour lui faire part de ses inquiétudes concernant ce qu’il entend çà et là et un début de langage de radicalisation de certaines personnes.  Le ministre l’avait rassuré qu’il n’y avait pas de problème et que le gouvernement voit tout, entend tout et connait tout et que la situation est gérée. Voilà où nous ont menés l’omnipotence, la routine, la suffisance et l’immobilisme de nos gouvernants. Nous souhaitons que l’autorité de l’Etat prenne en compte les alertes que les légitimités coutumières lancent.  Il y a environ 60% de notre territoire aux mains d’autrui, et c’est en 2022 que le régime actuel est venu, comme ils disent, pour prendre leurs responsabilités, alors qu’ils la prennent entièrement.  Pour moi, cette responsabilité c’est de recouvrer la totalité du territoire burkinabè et, surtout, de réunir les conditions d’un retour définitif et en toute sécurité  des personnes déplacées internes.  On ne doit pas assurer leur retour, mais on doit mettre en place les conditions de sécurité physique et de sécurité alimentaire pour leur retour, parce que ce sont des personnes qui n’ont pas cultivées leurs champs depuis 3 ans. De plus, la plupart a perdu leurs bétails, donc les moyens de subsistances ne sont plus là.

Il faut que lorsque des burkinabés disparaissent qu’on ne se limite pas simplement à rendre les derniers hommages aux victimes, ou à décréter des journées de deuil national, mais qu’on arrive à identifier les responsables et qu’on rende une justice équitable.  La demande de sécurité ne peut être dissociée d’une demande de justice équitable.  Il faut investir et inclure toutes les communautés dans la gestion politique, économique tout en implantant une justice équitable. La justice n’est crainte et respectée que si elle équitable.

C’est seulement lorsqu’on a la garantie d’une justice équitable qu’on peut demander aux personnes déplacées de regagner leurs villages. Si le pouvoir de l’Etat est faible dans certaines zones, d’autres acteurs vont y émerger et s’y installer. Il est à parier que ces nouveaux acteurs ne vont pas accompagner l’État, mais mettre tout en œuvre pour l’affaiblir.

Il est impératif régler les disfonctionnement de notre système politique, sinon les mêmes causent vont créer les mêmes effets.  Depuis l’indépendance, notre pays a connu seulement 10 ans de régime civil. Il faut se poser  la question : à qui la faute ?  Est-ce, celle des civils, des militaires ou de la population, elle même?  A mon humble avis, lorsqu’on est au pouvoir on l’est pour tous les burkinabè. On cesse d’être d’une ethnie, d’une région, d’avoir des partisans ou des amis personnels ou politiques, pour n’être que le digne représentant au service de tous les burkinabè.

Si les leaders politiques, coutumiers, religieux, les FDS, la société civile et les chercheurs, ne s’unissent pas d’urgence pour faire face à la situation, je compte alors sur votre perspicacité pour en déduire une conclusion. Sans mécanisme correctif, les maux des uns deviennent le cauchemar de tous.

Nadège Yé

 

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