Discours du 4 septembre 2022 à Dori du chef de l’Etat : Un discours à vite oublier
Il avait donné rendez-vous, il y a cinq mois pour un bilan d’étape, il redonne rendez-vous pour dans cinq mois. S’il est un homme qui tient parole, sa parole néanmoins ne rassemble pas, ne mobilise pas, ne donne pas confiance. Le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba est allé à Dori pour le symbole, et a choisi le 4 septembre pour l’histoire. Ce sont les deux choses réussies dans ce discours qui a confirmé les craintes de l’opinion avant qu’il ne procède au bilan de son action.
Ce discours était étrange, surprenant de la part de l’homme qui le 24 janvier 2022, s’est présenté au peuple et au pays en sauveur. Le sentiment qui se dégage de cet exercice c’est que le président du Faso a abandonné la tenue de combat contre les terroristes pour endosser celui de costume cravate du politicien en cette soirée du 4 septembre 2022 à Dori. Parlons des choses qui fâchent, qu’est ce qui n’était pas de bon ton dans ce discours de Dori ?
Certes il était à Dori dans une zone à haut défi sécuritaire mais le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba ne combattait pas tant les groupes terroristes dans son discours que la classe politique, la justice, les fonctionnaires, le peuple sous prétexte de décrire l’état des lieux qu’il a trouvé avant sa prise du pouvoir. Et il y va de son explication, sa théorie sur les maux qui minent ces catégories sociales qu’il a mise à l’index. Ce qui n’était pas le sujet du jour qui était bel et bien ce qu’il a fait pour remédier à l’insécurité. De la fierté qu’il avait pour le peuple il y a cinq mois il en est venu aujourd’hui à dire ceci : « Un peuple qui n’a plus de repère et qui n’arrive, ni à se mobiliser derrière son armée, ni à se révolter contre l’ennemi. Un peuple qui a troqué ses capacités de résilience contre un assistanat continu. Un peuple en quête permanente de bouc-émissaire. Un peuple qui est en train de perdre son âme mais qui ne s’en rend même pas compte. Un peuple qui semble avoir décidé de subir. » Est-ce un discours de mobilisation, de réconfort et d’espoir ceci ?
Au lieu de reconnaître sa faute et situer les responsabilités et les causes de la chute, il a préféré crier sa douleur face à l’adversité et dire que nous sommes tous coupables. C’est de son action contre les groupes terroristes depuis les sept mois de sa prise de pouvoir qu’il devait parler. Tout le premier tiers du discours de Dori était hors propos, politicien et non rassembleur. Ce faisant, il omet d’analyser les causes de l’insuffisance du bilan notamment les forces en présence, la nature du terrain, le moral des troupes etc. Au lieu d’un bilan chiffré sur l’objectif et les résultats attendus avec les indicateurs qu’il avait lui-même définis, nous citons le pourcentage de territoire reconquis le nombre de personnes déplacées internes retournées chez elles, nous avons eu droit à des mots sur les maux du pays.
L’action se mesure par les chiffres
Le chef de la junte est resté dans les paroles, sur son action sans pouvoir la quantifier, la mesurer. Or sans outils de mesure on ne peut pas afficher de progrès. On n’a pas une bonne connaissance de la chute et des reculs non plus. Ce que l’on ne comprend pas c’est comment le fringant colonel au discours teinté d’approche managériale s’est converti en politicien à la langue de bois ?
Cela confirme les assertions de certains analystes qui pensent que le chef de l’Etat est sous l’influence néfaste des clans revanchards du parti fondé par Blaise Compaoré, le Congrès pour la démocratie et le progrès. Non seulement le MPSR prêterait une oreille attentive à ces clans, mais il est sensible à ce que le pays a produit de méchant et de nocif pour notre peuple : les OSC « brouteurs » qui se battent pour accéder aux caisses de l’Etat.
Cette engeance qui prétend défendre la transition, vouloir sa réussite et tutti quanti sera celle qui la première vous frappera mon colonel quand vous serez à terre et vous accusera de tous les maux du Faso. Si vous relisez votre diatribe contre l’élite politique, un petit examen de conscience de votre politique gouvernementale montrera que vous n’en êtes pas exempt. Le bilan concernait le MPSR et son action. On peut ressasser le passé mais il ne reviendra pas. Et on n’a pas vu les leçons que vous en tirez.
Revenez à vos premières amours, reprenez les conseils de la Commission technique que vous avez mise en place et qui vous a remis son rapport le 23 février 2022. Si vous les aviez écoutés vous auriez eu « une union sacrée des fils et des filles du Burkina Faso » autour de votre action. Faites un vrai bilan en acceptant de réfléchir à ce que vous avez fait et reconnaître les erreurs et les corriger et vous verrez que les autres se corrigeront aussi.
Ce discours est à vite oublier et passer à autre chose, c’est un crash communicationnel épouvantable car au lendemain du discours, le conseil des ministres du 7 septembre annonce la baisse du nombre de personnes déplacées internes passant de près de 2 000 000 au mois d’avril à 1 500 000 aujourd’hui, c’est un des indicateurs choisis par le lieutenant-colonel.
Mais voilà, ce chiffre, il ne nous l’a pas donné même si la baisse est due aussi à des doublons comme le ministre de la solidarité nationale et l’action humanitaire l’a dit le président aurait pu l’utiliser pour justifier son action. C’est cet amateurisme généralisé et ce travail en vases fermés qui ne se communiquent pas qui accroît le sentiment d’incapacité et d’incertitude. Il y a du travail à faire, beaucoup de travail, du leadership à acquérir. Réfléchissons et essayons de nous y attaquer. Ce défi ne nous est pas insurmontable.
Sana Guy
Lefaso.net