AGRHYMET est un centre régional d’information climatique créé en 1974 par le Comité Permanent Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel (CILSS). Quelles sont ses principales missions ? Quelles sont ses prévisions météorologiques pour la saison pluvieuse en cours ? En matière de changement climatique, à quoi les populations d’Afrique de l’Ouest peuvent-elles s’attendre les prochaines années ? Pour répondre à ces questions et bien d’autres, Sidwaya s’est entretenu avec un expert dudit Centre, Dr Maguette Kairé, point focal du projet Alliance mondiale contre le changement climatique.
Sidwaya (S.) : Présentez le centre régional AGRHYMET qui semble peu connu des populations d’Afrique de l’Ouest.
Dr Maguette Kairé (M.K.) : Créé en 1974, le centre régional AGRHYMET est une institution spécialisée du Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) regroupant treize pays qui sont : Bénin, Burkina Faso, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad et le Togo.
Le centre a pour mandat d’appuyer les pays membres en matière d’information et de formation sur la sécurité alimentaire, la gestion des ressources naturelles, la gestion durable des terres, la gestion durable des ressources en eau, le changement et la variabilité climatiques.
Au niveau de la formation diplômante, nous avons les niveaux technicien supérieur, ingénieur et Master dans les domaines comme l’agrométéorologie, la gestion durable des terres, l’hydrologie, le changement climatique et développement durable, le pastoralisme, la production de végétaux, la sécurité alimentaire et nutritionnelle.
S : En matière de collecte et de production de données météorologiques, qu’est-ce qui est fait par le Centre AGRHYMET ?
M.K. : La fonction de base de données du Centre comprend des informations et données opérationnelles climatiques (données de stations, données satellitaires) utiles à l’appui aux prévisions de longue échéance et à la surveillance climatique.
La base de données contient également des informations sur les appuis du Centre aux Services météorologiques et hydrologiques nationaux (SMHN) sur la gestion des bases de données hydrologiques et climatologiques.
Le Centre régional AGRHYMET est dans un processus d’accréditation par l’Organisation métrologique mondiale (OMM) comme Centre climatique régional pour l’Afrique de l’ouest et le Sahel (CCR-AOS), sous le pilotage de la CEDEAO, avec pour rôle d’assurer : (i) les activités opérationnelles de prévisions météorologiques et climatiques, (ii) les activités opérationnelles de surveillance du climat, (iii) les services opérationnels de données, à l’appui de la prévision à longue échéance et de la surveillance du climat, (iv) le renforcement des capacités opérationnelles, (v) la gestion et la diffusion de l’information météorologique et climatique.
S : Le Centre produit-il des données pouvant intéresser le monde agricole ?
M.K. : Bien sûr ! Le Centre est aussi spécialisé dans les sciences et techniques applicables aux secteurs du développement agricole, de l’aménagement de l’espace rural et de la gestion des ressources naturelles.
Pour la saison pluvieuse encours, le Centre régional AGRHYMET a prévu, en termes de cumul pluviométrique, une saison normale à excédentaire, en Afrique de l’Ouest. © : Mahamadi Sebogo pour Sidwaya.info
Nous avons des données sur les statistiques agricoles et de suivi des cultures. Nous faisons du suivi agrométéorologique et hydrologique au niveau régional.
Nous avons aussi de la documentation sur l’agrométéorologie, la protection des végétaux, le suivi de l’environnement, la désertification, la gestion des ressources naturelles, etc.
Nous avons des prévisions météorologiques de courtes échéances, notamment les prévisions décadaires. Ces informations sont diffusées périodiquement sous forme de bulletins au niveau des pays pour l’ensemble des acteurs, des producteurs et tous ceux qui sont intéressés.
S : Quelles sont les prévisions météorologiques du Centre pour la saison pluvieuse en cours ?
M.K : Cette année, Il est attendu une saison de pluies globalement humide avec des cumuls de pluie supérieurs ou équivalents à la moyenne sur la bande sahélienne. Nous avons des prévisions avec des délais d’un à deux mois à partir de la période (condition initiale) où les données des modèles sont générées.
Mais il y a le problème dans la répartition. C’est pourquoi, une fois que les prévisions saisonnières sont faites, il y a d’autres prévisions qui viennent après pour ajuster les prévisions décadaires, mensuelles, initiales afin de voir ce qui s’est passé ou va se passer les semaines à venir.
Vous pouvez avoir les mêmes quantités d’eau sur plusieurs années mais réparties de manière très différente. C’est par exemple le cas de notre zone où l’on peut recevoir les mêmes quantités d’eau mais les pluies qu’on recevait sur trois mois, maintenant on les reçoit sur deux à trois semaines. Cela est dû au changement et à la variabilité climatique.
On assiste donc à des évènements extrêmes, avec des pluies diluviennes qui tombent. Ce qui fait que, compte tenu du type d’habitat, de l’augmentation de la population ou du non-respect des directives en matière d’aménagement, il y a beaucoup d’inondations dans nos pays.
S. : Qu’est ce qui est fait au niveau du Centre en matière de recherche sur le climat, le carbone ?
M.K. : En plus des données collectées dans les pays, le centre abrite un dispositif de réception des données satellitaires qui lui permet de faire un suivi du climat et des ressources naturelles.
L’expertise dont dispose le Centre en matière de prévision numérique du temps, de prévision agro-météorologique, de modélisation climatique et hydrologique, permet de mettre à la disposition des pays des bulletins périodiques, mais aussi de renforcer les capacités en matière d’analyse des risques climatiques, les impacts et les stratégies d’adaptation au changement climatique.
Le Centre dispose d’un laboratoire biocarbone mis en place dans le cadre du projet Alliance mondiale contre le changement climatique, pour effectuer des analyses d’échantillons de sols et de biomasses, en vue de mesurer le carbone, mais aussi pour servir de laboratoire d’appui pour la formation des étudiants. Nous disposons ainsi d’un CHNSO qui fait des analyses de Carbone, hydrogène, azote, soufre et oxygène.
Ce laboratoire accueille également des thésards de la sous-région et des équipes de recherches qui travaillent sur la thématique du carbone
S : Quelle est la finalité de ces recherches ?
M.K.: La finalité des recherches sur le carbone est de pouvoir disposer de niveaux de références sur le carbone du sol et de la biomasse qui peut être utilisés dans les rapports nationaux (CDN, communications nationales, rapports biennaux, etc.) et qui peut aussi être utilisé par les porteurs de projets carbone et les institutions de recherche et de formation.
Nous avons ainsi mis en place des dispositifs de recherches dans les pays. Il y a un dispositif dans les écosystèmes sahel-type au Niger, un dispositif savane-type au Burkina et un dispositif en forêt au Bénin et au Ghana.
(S.) : Comment les porteurs de projets peuvent accéder à vos services ?
M.K.: Nos informations sont d’abord validées au niveau régional et ensuite mises en lignes à travers la plateforme du CCR-AOS. Nos informations sont aussi diffusées sous formes de bulletins et de fiches techniques.
S : Pour un particulier qui a un domaine forestier et qui veut y évaluer la quantité de carbone, comment il peut solliciter vos services ?
M.K. : Si vous avez un domaine forestier et vous voulez évaluer la quantité de carbone qui y est stocké, vous pouvez vous adresser au Centre régional AGRHYMET pour demander qu’une expertise soit mise à votre disposition pour vous aider à l’évaluer.
L’autre possibilité, si vous avez des experts à votre niveau qui peuvent faire le travail, est d’accéder aux données au niveau de notre portail. Il est possible aussi de former les équipes projet mises en place.
S : En matière de changement climatique, à quoi les populations d’Afrique de l’ouest peuvent s’attendre les prochaines années ?
M.K.: Dans le cadre des projections climatiques, et sur la base des données historiques et actuelles, les modèles permettent de prédire principalement la température et la pluviométrie.
Par exemple d’ici 2050, on s’attend à une augmentation des températures qui peut atteindre 2 à 3 degré celcius, et une baisse de la pluviométrie qui peuvent entrainer une baisse très importante de la productivité des terres.
S : Concrètement, qu’est-ce qui va se passer dans la sous-région ouest-africaine pour les années à venir ?
M.K.: Il y a cette variabilité qui va s’accentuer ! Et tous les modèles montrent qu’il y aura une tendance baissière généralisée de la pluviométrie et une augmentation attendue de la température autour de 2°C à 3 °C d’ici 2050 dans la région. Ce qui est déjà beaucoup !
L’Accord de Paris cherche à limiter l’augmentation de la température à moins de 2°C. Des efforts doivent être faits pour qu’elle reste en dessous de 1,5°.
Mais si vous regardez tout ce qui est fait aujourd’hui dans les pays du monde entier, à travers notamment les CDN, le bilan des contributions prévues nous mène vers 3°C à 4°C de hausse de température. Nous sommes donc loin des objectifs de l’Accord de Paris !
Il y a lieu donc de revoir les ambitions, et que des efforts soient fournis à tous les niveaux. Le changement climatique n’est plus l’affaire des pays développés ou de pays en développement mais un phénomène mondial, qui engage tous les pays.
Certes, l’Afrique, avec une part de l’ordre de 3% à 4% dans les émissions de gaz à effet de serre dans le monde, est moins émettrice que les pays riches, mais c’est nous qui subissons le plus les impacts négatifs du changement climatique.
(S.) : Quelles sont les relations qui existent entre les agences nationales de la météorologie et le Centre régional AGRHYMET ?
M.K.: Nous avons de très fortes relations de collaboration, de longue date. Il y a des dispositifs nationaux qui ont été mis en place depuis longtemps au niveau de chaque pays et qui nous ont toujours permis d’alimenter notre base de données régionales. La collecte des données faite au niveau national est donc partagée au niveau régional.
Mais, comme vous le savez, la collecte des données au niveau national n’est pas aisée. Car déjà, les stations météo n’existent pas partout. Alors que pour avoir des informations à l’échelle locale il faut qu’elles soient disponibles.
Avec ces données nationales collectées, nous faisons ce qu’on appelle le Merging, de sorte que nous puissions utiliser des données satellitaires pour combler les informations manquantes.
En dehors de ces dispositifs nationaux de collecte et de partage de données, nous avons aussi des représentants du CILSS dans chaque pays, par lesquels nous faisons diffuser nos informations.
S : L’une des critiques dans l’opinion générale est la crédibilité des prévisions météorologiques, qu’elles soient nationales ou régionales…
M.K.: Comme son nom l’indique, ce sont des prévisions ! Et quand on fait des prévisions, on donne des probabilités. Il s’agit des prévisions faites pour chaque zone.
D’ici 2050, on s’attend à une augmentation des températures qui peut atteindre 2 à 3 degré celcius, et une baisse de la pluviométrie qui peuvent entrainer une baisse très importante de la productivité des terres.
Même à l’échelle mondiale, c’est ainsi que les choses se passent. Une fois que les prévisions générales sont faites, il y a des prévisions décadaires qui permettent au fur et à mesure d’ajuster pour dire ce qui va se passer dans les semaines à venir. Cela permet d’affiner les prévisions initiales.
Souvent, nous ne sommes pas très loin de ces prévisions, même si parfois on nous critique !
(S.) : De choses intéressantes se font au niveau d’AGRHYMET en termes de informations climatiques. Mais comment sont-elles diffusées auprès des populations, notamment le monde agricole qui est plus impacté par la variabilité climatique ?
M.K.: Je pense qu’en dehors de nos bulletins d’informations qui sont diffusés dans les pays au niveau de nos relais, nous faisons des formations à l’endroit des organisations de producteurs, des journalistes, etc.
Mais la traduction du message scientifique en information compréhensible pour tous les acteurs reste problématique. Nous y travaillons pour que l’information soit accessible à tous. Par exemple, pour les informations pluviométriques, nous travaillons avec les opérateurs de téléphonie mobile pour leur diffusion directement auprès des paysans.
Des informations sont aussi diffusées auprès des agropasteurs sur les points d’eau et les pâturages. Il s’agit d’informations extrêmement importantes pour lesquelles nous travaillons avec les services climatiques nationaux pour les mettre à la disposition de l’ensemble des producteurs, des acteurs.
Certaines informations sont accessibles notre sur site web, que nous travaillons à alimenter au fur et à mesure.
S : Quelles sont les contraintes auxquelles le centre régional AGRRHYMET fait face ?
M.K : La grosse contrainte est le nerf de la guerre, les financements. Le gros lot de nos activités est sur financement de projets. 5% du budget du CILSS proviennent des cotisations des pays, qui sont essentiellement destinés au fonctionnement du noyau dur. Le reste du budget repose sur les financements des partenaires techniques et financiers. Il faut donc toujours courir pour avoir le financement des projets. Mais nous réfléchissons sur les financements durables, la dématérialisation de certaines activités de formation, à travers par exemple des formations à distance.
Le projet de plan stratégique du CILSS en phase de validation va prendre en compte toutes ces questions pour nous permettre d’avoir des programmes et des activités durables.
(S.) : Comment expliquer qu’une structure dont l’intérêt au plan régional n’est plus à démontrer manque de ressources financières conséquentes pour mener à bien ses activités ?
M.K.: C’est toujours ainsi dans les institutions régionales. Cela ne veut pas dire que les Etats n’accordent pas un grand intérêt au Centre. Ce sont quand même les Etats qui l’ont créé !
Le CILSS a été créé à la suite des crises de sècheresse des années 1970 et jusqu’à présent les problèmes climatiques et de sècheresse se posent toujours avec acuité.
Le CILSS se débrouille tant bien que mal, surtout qu’il a aussi la confiance des bailleurs.
L’institution aura bientôt 50 ans d’existence. Mais par rapport au contexte actuel, il faudra réfléchir à des stratégies de pérennisation de nos actions, penser à la dématérialisation de certaines activités.
Tout cela va permettre de se départir des lourdeurs sur le plan financier.
Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO
De retour de Niamey, Niger