Pascale Ondoa et Yewande Alimi
Le Staphylococcus aureus est à l’origine d’une infection cutanée qui peut devenir mortelle en cas de résistance aux médicaments. Selon les estimations concernant la variation résistante la plus commune, le Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM), le bilan de celle-ci dépasse les 100 000 décès dans le monde en 2019.
Mais jusqu’à récemment, nous n’avions pas de connaissances solides sur l’ampleur du problème que le SARM — ou tout autre agent pathogène résistant aux antimicrobiens — pose en Afrique. Après avoir testé 187 000 échantillons provenant de 14 pays pour évaluer leur résistance aux antibiotiques, nos collègues ont conclu que 40 % des infections à Staph étaient liées au SARM.
L’Afrique, comme tous les autres continents, a un problème de RAM. Mais le continent se distingue car nous n’avons pas investi dans les capacités et les ressources nécessaires pour déterminer l’étendue du problème, ou la façon de le résoudre. Prenons le SARM. Nous ne savons toujours pas ce qui fait que la bactérie devient résistante, et nous n’avons pas non plus pris toute la mesure du problème.
Nous ne prenons pas la RAM suffisamment au sérieux, peut-être parce que ce n’est pas un sujet prestigieux et vendeur. La technologie que nous utilisons actuellement pour identifier les pathogènes résistants n’est ni sophistiquée ni futuriste. Combattre la RAM n’implique pas de médicaments miracles, de traitements onéreux ou de tests de diagnostic élaborés. Au lieu de cela, nous avons des bactéries et d’autres agents pathogènes ordinaires, qui ont appris à esquiver les bons vieux médicaments qui fonctionnaient avant.
Les industries pharmaceutiques et de la santé mondiales ne semblent pas considérer que résoudre ce problème soit très rentable. Comparons cela à l’urgence de s’attaquer à la COVID-19, à laquelle ont adhéré les gouvernements désireux de mettre fin à la pandémie, y compris en subventionnant des interventions telles que les tests de diagnostic. La réponse face à la COVID-19 s’est caractérisée par l’apparition d’innovations littéralement une semaine sur deux.
Pourquoi ne pouvons-nous pas mobiliser les ressources et la passion sur le RMA ? Les pathogènes résistants sont-ils trop ennuyeux ? Ce problème est-il trop difficile à résoudre grâce à des innovations ? Est-ce que cela rend les perspectives de solutions miracles et de retours sur investissement rapides trop fuyantes pour la RMA, notamment si on la compare à la COVID-19 ou à d’autres épidémies de maladies infectieuses ?
Dr Yewande Alimi
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a affirmé à maintes reprises que la RMA est une priorité pour la santé mondiale, et constitue de fait l’une des principales menaces pour la santé publique au 21e siècle. Une étude récente a estimé qu’en 2019, près de 1,3 million de personnes sont décédées en raison d’infections bactériennes résistantes aux antimicrobiens. L’Afrique porte le plus lourd fardeau en termes de décès. Une forte prévalence des RMA a également été identifiée entre les pathogènes d’origine alimentaire isolés chez les animaux et produits d’origine animale en Afrique.
Ensemble, ces chiffres suggèrent que le fardeau de la RMA pourrait être similaire à celui du HIV/SIDA ou de la COVID-19, voire pire. Il est probable que la menace croissante de la RMA pèse très lourdement sur les systèmes de santé en Afrique et mette sérieusement en péril les progrès accomplis vers la réalisation des objectifs en matière de santé publique fixés par chacun des pays, l’Union africaine et les Nations unies. Et le manque d’informations précises sur la RMA limite notre capacité à comprendre dans quelle mesure les antimicrobiens habituellement utilisés fonctionnent réellement. Cela signifie aussi que nous ne pouvons pas déterminer quels sont les facteurs des infections RMA et concevoir des interventions efficaces en réponse.
Nous venons de conclure un projet qui a réuni des données sur nombre des pathogènes les plus préoccupants dans 14 pays. Celui-ci a mis au jour des constats frappants sur la gravité sous-détectée et sous-déclarée de la crise de la RAM dans toute l’Afrique. Moins de 2 % des laboratoires médicaux dans les 14 pays examinés sont capables de mener des tests bactériologiques, même avec des méthodes conventionnelles développées il y a plus de 30 ans.
Tout en donnant aux parties prenantes nationales des informations essentielles pour faire progresser leurs politiques sur la RMA, nous avons également fourni une formation et des outils électroniques à plus de 300 professionnels de la santé afin qu’ils poursuivent cette importante surveillance. Si le renforcement du personnel est critique, de nombreux établissements de santé sur le continent sont confrontés à des coupures d’électricité, une mauvaise connectivité et une pénurie de main-d’œuvre grave et constante.
Notre travail a dépeint la dure réalité de la situation de surveillance de la RMA, en informant des recommandations d’amélioration concrètes qui s’alignent avec la nouvelle ambition continentale en matière de santé publique de l’Union africaine et du Centre africain pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC Afrique). Le défi consiste à trouver le financement pour étendre ces initiatives afin de couvrir l’ensemble du continent africain.
La RMA exige une approche à long terme, notamment en Afrique, où les systèmes de santé sont sous-financés de façon chronique, tout en étant excessivement mis en difficulté par des menaces infectieuses. Plus de fonds doivent être consacrés à ce problème, et ce financement ne peut venir uniquement de l’aide internationale.
Nous exhortons les gouvernements africains à honorer leurs engagements passés, financer leurs systèmes de santé en général, et régler la crise des RMA en particulier. Nous appelons également les bailleurs de fonds bilatéraux et les parties prenantes mondiales à axer leurs priorités sur l’amélioration de la santé des populations africaines. Cela peut exiger d’accorder plus d’attention aux preuves pertinentes au niveau local pour informer les investissements et de moins se soucier des interventions sur le marché motivées par le profit. Il est également nécessaire de donner la priorité à l’expansion de technologies et de stratégies à l’efficacité prouvée, qu’il s’agisse d’innovations ou non.
Endiguer la RMA signifie que nous devons réparer les systèmes de santé africains. Le travail commence maintenant.
La docteure Pascale Ondoa est directrice de la science et des nouvelles initiatives de la Société africaine de la médecine de laboratoire (ASLM) et la docteur Yewande Alimi est coordinatrice du programme sur la résistance aux antimicrobiens du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique).