Le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) vient d’opérer une mue en son sein. Le capitaine Ibrahim Traoré et d’autres frères d’armes ont renversé le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, le 30 septembre 2022. Retour sur le film des événements.
Des bruits couraient sur les divergences au sein du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), mais personne ne pouvait prévoir la suite des événements. L’organe dirigeant de la junte militaire, qui a renversé le président Roch Kaboré le 24 janvier dernier, n’a finalement pas pu contenir ses contradictions. La situation a dégénéré, le vendredi 30 septembre 2022, avec un nouveau coup de force qui a conduit à la destitution du président du MPSR, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, par ailleurs chef de l’Etat depuis 8 mois.
Le tombeur de Damiba « chef de classe » comme on le surnomme, est un visage moins connu des Burkinabè. Capitaine de l’armée de terre, Ibrahim Traoré dirige désormais le MPSR, dont il est membre fondateur. L’éviction du président Damiba a été annoncée, aux environs de 20 heures sur la Radiotélévision du Burkina (RTB), dans une déclaration lue par le capitaine Kiswendsida Farouk Azaria Sorgho. Ce jeune officier a expliqué, que l’idéal du MPSR, à savoir la restauration de l’intégrité du territoire national, a été trahi par le lieutenant-colonel Damiba.
« La dégradation de la situation sécuritaire, qui a justifié notre action, a été reléguée au second plan, au profit d’aventures politiques malheureuses. Loin de libérer les territoires occupés, les zones jadis paisibles sont passées sous le contrôle des groupes armés terroristes», a indiqué le capitaine Sorgho. Il ne s’est pas limité à là. « Nous avons assisté à une restauration aux forceps d’un ordre ancien par des actes de nature à remettre en cause l’indépendance de la justice, et à créer des précédents graves », a-t-il ajouté, faisant allusion aux accointances supposées ou avérées de Damiba avec l’ex-président Blaise Compaoré.
Le capitaine Sorgho a surtout regretté le fait, que le président Damiba a persisté avec l’articulation militaire à la base de l’échec du régime Kaboré, au détriment d’un programme de réorganisation de l’armée qui aurait permis aux unités combattantes de lancer des contre-offensives. « Les choix hasardeux lieutenant-colonel Damiba ont progressivement affaibli notre système sécuritaire. Les lourdeurs administratives qui caractérisaient le régime déchu se sont aggravées sous la Transition, compromettant ainsi des opérations à caractère stratégique », a laissé entendre le porte-parole des putschistes.
Autant de griefs qui ont amené le capitaine Traoré et ses éléments à déposer leur frère d’armes, Damiba. Aussi ont-ils pris un certain nombre de mesures pour asseoir leur pouvoir. Entre autres, on note la suspension de la Constitution, la dissolution de la Charte de la Transition, du gouvernement et de l’Assemblée législative de Transition. La suspension des activités politiques et de celles des Organisations de la société civile (OSC) a été aussi prononcée.
Un couvre-feu, qui avait été instauré de 21 heures à 5 heures du matin, a été levé, le samedi 1er octobre. La mesure de fermeture des frontières terrestres et aériennes jusqu’à nouvel ordre a été également annulée, le dimanche 2 octobre. Les putschistes ont aussi décidé de convoquer « incessamment » les forces vives de la Nation, à l’effet d’adopter une nouvelle Charte de la Transition et de désigner un nouveau président du Faso, civil ou militaire.
Des drapeaux russes dans les rues
Les heures qui ont précédé et suivi la chute du lieutenant-colonel Damiba étaient pleines de suspense, tant les Burkinabè étaient plongés dans l’expectative face aux évènements en cours.Les Ouagalais, qui devaient passer une journée ordinaire, ont été réveillés, vendredi à l’aube, par des coups de feu en provenance du palais présidentiel de Kosyam et du camp Baba-Sy. Ils ont constaté par la suite, que des militaires lourdement armés ont pris d’assaut les axes stratégiques de la capitale.
Les Ouagalais, tout comme les Burkinabè de l’intérieur du pays, ont spéculé à souhait, avant d’apprendre, à la tombée de la nuit, que ces bruits de botte visaient à sceller le sort du lieutenant-colonel Damiba.Bien avant la proclamation du putsch, plusieurs citoyens, qui décriaient la gouvernance du « chef de classe », se sont retrouvés à la place de la Nation pour demander son départ et l’abandon du partenariat dans la lutte contre le terrorisme avec la France au profit de la Russie. Des drapeaux burkinabè et russes ont même été brandis par des manifestants à Ouagadougou et un peu partout ailleurs sur le territoire national.
Ce mouvement s’est accentué et a pris de l’ampleur, quand un communiqué des putschistes, livré dans la journée du samedi 1er octobre, a indiqué que Damiba s’est réfugié au camp de Kamboinsin, où se trouvent les forces spéciales françaises. Le texte a aussi fait cas de ce que le président déchu du MPSR préparait une contre-offensive. Ce communiqué a sonné comme un coup de poignard pour nombre de manifestants, hostiles à la politique de la France en Afrique. Il y ont vu la main de ce pays pour protéger et restaurer le régime Damiba.
Même si la représentation diplomatique française au Burkina Faso a démenti être impliquée dans les événements, cela n’a pas suffi à calmer les ardeurs des citoyens dans les rues qui s’en sont pris violemment aux locaux de l’Institut français à Bobo-Dioulasso et de l’ambassade de France à Ouagadougou. Les manifestations de soutien au capitaine Traoré et à ses hommes, qui ont appelé les Burkinabè à se départir, se sont multipliées, dès lors dans les quatre vents du pays.
« Nous n’avons pas voulu faire couler du sang », capitaine Traoré
Au plus fort des manifestations, le nouveau président du MPSR, le capitaine Traoré s’est prononcé sur l’attitude de son frère d’armes, Damiba, dans sa première interview exclusive accordée à Radio Oméga, le samedi 1er octobre. « Nous n’avons pas la mainmise sur Damiba, parce que nous n’avons pas voulu faire couler le sang. Nous sommes venus dans une logique de ne blesser aucun soldat. Nous n’avons rien contre sa personne (…). Nous sommes surpris et c’est désolant qu’il veuille que nous nous affrontions. Nous sommes sur nos positions », a déclaré le chef des putschistes. Il a renchéri en ces termes : « La plupart des soldats me connaissent.
La plupart des jeunes officiers se connaissent, nous avons les mêmes idéaux. Je pense que les jeunes officiers ne vont pas se laisser manipuler, voilà pourquoi il n’y a pas d’affrontements jusque-là. Nous n’allons pas affronter nos jeunes frères à cause d’un individu ». Le capitaine Traoré a dénoncé, à l’occasion, l’état dans lequel se mènent les opérations de lutte contre le terrorisme et a affiché sa ferme volonté de reconquérir le territoire national, dont 50% serait aux mains des groupes armés. Suite à cette sortie médiatique, une déclaration attribuée à Damiba a été diffusée sur la page Facebook certifiée de la Présidence du Faso.
« Je démens formellement m’être refugié dans la base française de Kamboincé. Ce n’est qu’une intoxication pour manipuler l’opinion», a-t-il réagi. Aussi a-t-il lancé un appel au capitaine Traoré à « revenir à la raison pour éviter une guerre fratricide dont le Burkina n’a pas besoin dans ce contexte ». La nuit est tombée samedi dans cette ambiance dantesque, laissant, la peur au ventre, la plupart des Burkinabè qui redoutaient un conflit ouvert entre les forces spéciales proches de Damiba et les « Cobras » du capitaine Traoré. Dans ces moments troubles, plusieurs sources ont signalé la présence de Damiba à la Base aérienne 511 où il se serait rendu dans la soirée du samedi, à en croire certaines sources.Jusqu’au bout, il aurait tout fait pour rester aux affaires, mais c’est sans compter avec l’intransigeance de ses frères d’armes d’en face.
Quand Damiba rend le tablier
Au final, les négociations, entamées par les communautés coutumières et religieuses, ont abouti à la démission du « chef de classe » que le capitaine Traoré a acceptée. Certains indiscrétions rapportent, que le désormais ex-président du Faso devrait partir pour Lomé, la capitale togolaise. Un autre communiqué convoquait les secrétaires généraux l’après-midi du 2 octobre 2022 à une réunion avec le capitaine Traoré.
Dans la matinée de ce même 2 octobre, la situation est restée tout de même confuse à Ouagadougou, où des manifestants se sont regroupés devant l’ambassade de France, non loin de la télévision nationale et vers le rond-point des Nations unies en plein centre de Ouagadougou. Aux environs de 10h, un long cortège de blindés dans lequel est présent le capitaine Ibrahim Traoré escorté par des manifestants en liesse fait son entrée à la radiotélévision du Burkina.
« Le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) tient à remercier la population pour son soutien patriotique et son engagement à faire confiance à la lutte. Nous tenons à informer la population que la situation est sous contrôle. Les choses sont en train de rentrer progressivement dans l’ordre. Nous vous invitons donc à vaquer librement à vos occupations et à vous départir de tout acte de violence et de vandalisme qui pourrait entacher les efforts consentis depuis la nuit du 30 septembre », déclare le porte-parole de la junte, le capitaine Kiswensida Farouk Azaria Sorgho.
Le communiqué aborde le cas du lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana dont bon nombre de citoyens réclament sa libération. « En attendant que la lumière soit faite sur le dossier du lieutenant-colonel Zoungrana Emmanuel, nous appelons les vaillants citoyens au calme et à la retenue », rassure le porte-parole de la junte. Une nouvelle page de l’histoire sociopolitique du Burkina s’ouvre donc avec le capitaine Traoré, 34 ans. Celui-ci était jusque-là le chef d’artillerie du 10e Régiment de commandement d’appui et de soutien de la première région militaire de Kaya dans le Centre-Nord.
Le nouveau patron du MPSR, qui a intégré l’armée en 2010, assumera-t-il les fonctions de président du Faso comme Damiba ? Les prochains jours nous édifieront. Pour l’heure, il est appelé à assurer l’expédition des affaires courantes de l’Etat jusqu’à la prestation de serment du nouveau président désigné par les forces vives de la Nation, selon un communiqué du MPSR. Le nouvel homme fort du Burkina et ses soutiens devront affronter l’Union africaine (UA) et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui ont condamné leur coup de force.
Kader Patrick KARANTAO
Karim BADOLO