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Conjonctivite endémique dans le Ioba : une maladie qui brouille l’avenir des élèves

La région du Sud-ouest du Burkina Faso est l’une où plusieurs défis sapent les efforts de l’Etat et ses partenaires dans la scolarisation des enfants. Entre autres, les mariages précoces, l’orpaillage et les grossesses en milieu scolaire, qui ont causé l’abandon de 9620 élèves au cours de l’année scolaire 2020-2021. Et depuis quelques années, la Limbo Conjonctivite endémique des Tropiques (LCET) est venue se greffer à ce lot d’ « ennemis » de l’éducation des tout-petits notamment dans la province du Ioba. Cette maladie des yeux dont la guérison intervient en général à l’âge de la puberté, est la cause de plusieurs abandons scolaires dans cette partie du pays.

Âgé de 17 ans, Franck Somé vit avec son oncle dans le village de Kolinka, commune de Ouéssa dans la région du Sud-ouest. Orphelin de père, il passe ses journées dans les champs.

En cette matinée du 16 juillet 2022, Franck s’affaire au désherbage de son champ de sorgho.

Franck Somé, orphelin de père, a été renvoyé de son école à cause de la baisse de ses performances scolaires due à la LCET. © : Joseph Haro pour Sidwaya.info

Celui qui avait pour rêve d’étudier jusqu’à l’université a vu ses ambitions voler en éclat à la fin de l’année scolaire 2020-2021, en classe de 4e.

Ses yeux rougeâtres témoignent de l’existence d’une pathologie. Il peine à les maintenir ouverts pendant une minute et les frotte régulièrement. Ce mal qu’il traine depuis près de trois ans l’a éloigné des bancs de l’école.

« Le mal a commencé en 2020. Un matin, je me suis réveillé avec des picotements dans les yeux suivis de larmes qui coulaient. J’avais du mal à les ouvrir », raconte le jeune Franck.

Aussitôt, il informe son oncle, mais celui-ci n’entreprend rien pour soigner son neveu. Il se voit obligé de poursuivre son année avec le mal.

« Quand j’étais en classe, je ne voyais pas bien le tableau et même ce que j’écrivais sur mon cahier. A la fin de l’année, j’ai obtenu 7/20 de moyenne », explique, tête baissée, celui qui a perdu son géniteur en 2011.

Les souvenirs de cet événement douloureux lui font verser des larmes.

A la fin de l’année scolaire, il est renvoyé de son établissement. Son espoir de trouver un établissement de chute se dissipe quand il a apprendra avec ses cousins que son oncle avait décidé de ne plus l’inscrire.

C’est la désolation ! « J’étais très triste », lâche-t-il.

La maladie dont souffre Franck est appelée Limbo conjonctivite endémique des tropiques (LCET). Selon le responsable du centre d’ophtalmologie du Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) de Dano, Marcel Badiel, elle se rencontre sous les climats chauds et est caractérisée par son aspect chronique.

« Elle atteint les enfants de 0 à 15 ans avec une prédominance pour les garçons. Elle évolue en 4 stades successifs pouvant aboutir à la cécité », note l’ophtalmologue.

18% de prévalence

Dans un premier temps, explique-t-il, il y a une rougeur des yeux accompagnée de sécrétions filantes. A cette étape, la cornée est saine et la maladie peut passer inaperçue.

Le responsable du centre d’ophtalmologie du CMA de Dano, Marcel Badiel: « La LCET est un handicap pour les élèves ». © : Joseph Haro pour Sidwaya.info

Au stade 2, interviennent les démangeaisons et l’enfant va se frotter les yeux de manière intense, souligne le spécialiste. Une fois la jonction cornéo-sclérale pigmentée, la coloration va augmenter et s’épaissir, ajoute M. Badiel.

« C’est à ce stade que les malades décident généralement de venir en consultation, parce que le mal devient dérangeant », poursuit l’attaché de santé en ophtalmologie.

Le stade 3 est caractérisé par un épaississement de toute la conjonctive qui reste pigmentée et l’épaississement va concerner tout le pourtour de la cornée. Apparaissent alors les complications.

« Le stade 4 se manifeste par un développement de l’épaississement sous forme de voile fibro-vasculaire, un voile fait de fibres et de vaisseaux qui va évoluer de façon centripète, c’est-à-dire depuis la périphérie vers le centre. Quand il arrive au niveau de la pupille, la personne devient aveugle », explique M. Badiel.

A l’écouter, la LCET sévit dans le district sanitaire de Dano. En 2022, illustre-t-il, sur 144 consultations d’enfants réalisées, 18% sont atteints de LCET.

Cependant, il regrette la réticence des parents à amener leurs enfants aux centres de santé pour des diagnostics précoces. La maladie étant chronique, martèle-t-il, il y a le coût élevé qui amène les parents à une lassitude, au découragement, et les enfants abandonnés à leur triste sort.

Pour Mathieu Méda, père d’une fillette malade, il est très difficile pour les parents démunis d’honorer les frais de traitement. © : Joseph Haro pour Sidwaya.info

Mathieu Méda, résidant au secteur 3 de Dissin et géniteur de Marie Sofie, a la même lecture. Sa fille contracte la maladie alors qu’elle avait 3 ans. Aujourd’hui âgée de 9 ans et en classe de CE2, la petite poursuit difficilement son cursus scolaire.

A l’apparition de la maladie, il a amené sa fille au centre médical de Dissin. De là, ils sont transférés au centre du Projet de Réhabilitation des Aveugles et autre Handicap (PRAH) à Diébougou.

Mais le manque de moyens financiers pour honorer les rendez-vous et les ordonnances le pousse à se tourner vers les tradipraticiens. Cette période, Marie Sofie l’a vécue très difficilement.

Le major du CSPS de Lenglé, Séverin B. Ouédraogo, préconise l’identification de partenaires pour aider à la prise en charge des cas. © : Joseph Haro pour Sidwaya.info

« Sa situation ne s’améliorait toujours pas. Elle continuait de larmoyer au point où certains l’ont surnommée « marwara », qui veut dire en langue dagara, celle qui a toujours les yeux bourrés de larmes. Certains la traitaient d’aveugle. Elle était stigmatisée », narre Mathieu Méda.

Le salut de l’enfant ne viendra qu’après l’obtention par le père d’un contrat de travail avec un projet qui lui permettra d’avoir les moyens nécessaires et repartir vers le centre PRAH. Aujourd’hui, note-t-il, la situation s’est beaucoup améliorée.

«La formation prend un coup »

Dans les Centres de santé et de promotion sociale (CSPS) de la province, l’on table également sur le sempiternel manque de ressources financières.

Séverin B. Ouédraogo, infirmier chef de poste du CSPS de Langlé soutient  que la pathologie est pourtant toujours d’actualité.

« Etant en zones éloignées du chef-lieu de la région, nous rencontrons de nombreux cas que nous ne faisons que référer vers les centres spécialisés. Mais malheureusement, avec le manque de moyen des parents, ce n’est pas facile. Plusieurs d’entre eux ont des difficultés pour faire le déplacement et préfèrent rester à la maison avec leurs malades », fait remarquer Sévérin B. Ouédraogo.

Cette situation de précarité des géniteurs est préjudiciable, non seulement à la santé des enfants, mais également à leur éducation.

Pierre Somda, âgé aujourd’hui de 10 ans, vit avec la LCET depuis ses 5 ans. Les moyens financiers faisant cruellement défaut, il n’a pas d’autre choix que de suivre difficilement les cours.

En classe de CE1 à l’école A de Ouéssa, il a les yeux, tout rouges. Le gamin peine à avoir un regard fixe pendant une minute, et a la main toujours dans les yeux.

Pierre a obtenu la moyenne de 4/10. Et ce résultat, selon sa mère, Honorine Somda, est dû à son mal.

Par manque de moyens pour le soigner, c’est avec peine que Pierre Somé apprend ses leçons. © : Joseph Haro pour Sidwaya.info

« Il n’arrive pas à bien voir ce qui est écrit sur le tableau et même ce qu’il écrit sur son cahier », explique dame Somda.

Pélagie Méda, directrice de l’école primaire publique C de Ouéssa, a deux garçons malades de la conjonctivite dans son établissement. L’enseignante témoigne qu’il n’est pas toujours facile de les suivre surtout quand ils larmoient.

« On les rapproche du tableau, mais cela ne résout pas le problème. Il y a certains qui se font souvent aider par leurs camarades pour recopier les leçons, mais l’apprentissage pose problème. Ce qui entraine la chute de leurs moyennes », étaye-t-elle.

Pour le chef de la circonscription d’éducation de base (CCEB) de Ouéssa, Alphonse Somé, les maladies de l’œil ont des implications ; quand un enfant ne voit pas bien, il met les éducateurs dans des difficultés.

« Les enseignants essayent de le rapprocher des tableaux, mais cela ne suffit pas. Car il a besoin d’un suivi sanitaire, alors que nous sommes en zone rurale. Les parents n’ont pas toujours les moyens. J’ai vu des parents lettrés qui étaient obligés de recopier les leçons pour leurs enfants. Dans ce cas, la formation prend un coup », note l’inspecteur Somé.

Il dit ne pas disposer de statistiques sur les élèves malades, faute de visites médicales. Pour la plupart des cas, fait-il remarquer, ce sont les parents ou les enseignants qui les signalent.

Pour sauver les enfants malades, le responsable du centre d’ophtalmologie du CMA de Dano appelle les parents à éviter l’automédication ou l’indigénat.

« Dès que la maladie est détectée tôt, la prise en charge est facile », lance-t-il.

La directrice de l’école primaire publique C de Ouéssa, Pélagie Méda : « Il est difficile pour les enfants malades d’obtenir de meilleurs rendements». © : Joseph Haro pour Sidwaya.info

En outre, l’attaché de santé relève une insuffisance de personnel, mais laisse entendre que des sorties vers les CSPS pourront être initiées afin de dépister des cas et faciliter leur prise en charge.

De son côté, Mathieu Méda estime qu’il est important que l’Etat mette en place un système d’accompagnement des parents démunis en subventionnant notamment les produits.

Au CCEB de Ouéssa de renchérir : « Il faut multiplier les visites médicales surtout visuelles afin de détecter à temps les enfants atteints pour une meilleure prise en charge».

Joseph HARO
josephharo4@gmail.com

Le combat de Sœur Odile

Avec son association ABB, la sœur Odile Somé sillonne les villages du Ioba pour le suivi des enfants malades. © : Joseph Haro pour Sidwaya.info

Attachée de santé en ophtalmologie de formation, la sœur religieuse Odile Somé a fait de la lutte contre les maladies des yeux notamment la LCET, son cheval de bataille.

L’histoire remonte en 2012 quand son neveu, Charles Somé contracte la maladie. Yeux rouges, larmoiement, frottement des yeux … Charles Somé était désespéré. En classe de CE2, le jeune garçon poursuit ses études malgré les problèmes de vision que la maladie lui cause jusqu’au CM2, non sans reprendre deux fois des classes. En 2017, après son échec au CEP, il dit adieu à l’école.

Ces années de galère de l’enfant, sœur Odile Somé en a été témoin. La situation va la pousser à se former, à titre privé, en ophtalmologie. Après la soutenance de son mémoire sur la pathologie, elle sort en 2018 munie de son diplôme d’attaché de santé.

Pendant qu’elle attendait d’être engagée dans un centre de santé, la sœur religieuse initie, et ce, depuis 2019, un suivi des enfants souffrant de la LCET. Avec le soutien d’une consœur, elle commence à accompagner les enfants malades.

« C’est à l’issue de ces initiatives qu’est née en mars 2022 l’Association Banw Baar (ABB), qui veut dire en langue dagara « savoir, connaitre, maitriser ou appréhender au préalable tout fait de société existant ou naissant avant d’agir », dont je suis la coordonnatrice », laisse entendre Odile Somé.

L’association a pour objectif de contribuer au renforcement de la santé oculaire et au bien-être socioéconomique des groupes vulnérables en milieu rural. Son siège est à Ouessa, province du Ioba, sa zone d’intervention.

Lors des enquêtes pour son mémoire, confie-t-elle, elle a rencontré des parents qui lui ont exliqué les difficultés qu’ils avaient à soigner leurs enfants.

« La LCET est alors devenue une maladie qui me tient à cœur », soutient sœur Somé.

Elle note que dans les familles, il est difficile pour les parents, notamment les veuves, d’honorer les ordonnances. Selon ses confidences, certains parents comptent sur son association pour les soins alors que celle-ci n’a pas les moyens nécessaires pour leur venir en aide.

« Il y a un parent qui s’est rendu une fois au centre avec deux orphelins. Quand je lui ai demandé de payer le ticket de consultation, il est sorti et n’est plus revenu », témoigne l’attaché de santé.

Elle plaide pour l’organisation de campagnes de masse de sensibilisation et de dépistage.

Aussi, suggère-t-elle, il est important de discuter, au niveau du district, de la problématique de la prise en charge de la LCET, ainsi que de l’organisation de formations au profit des agents de santé.

« Une subvention va aider les parents notamment les orphelins », lance sœur Odile, tout en souhaitant plus d’accompagnement pour son association.

J.H.

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