Le Burkina Faso est confronté à de nombreux défis de tous ordres, depuis ces dernières années, et face auxquels des initiatives tous azimuts sont prises par les acteurs de tous bords pour mener le pays non seulement sur le bon chemin de la gouvernance administrative, mais aussi politique. C’est dans ce sens que le communicateur, Iterre Somé, dans cette tribune marquée de multiples questionnements, revient sur les péripéties qui ont jalonné la vie politique du pays des Hommes intègres en interpellant chaque Burkinabè sur son apport réel dans la construction de la Nation.
J’avais pris la résolution de ne plus mêler ma plume au débat public dans ce pays dit des hommes intègres, par la vision volontariste des révolutionnaires du 4 août 1983 emmenés par un certain Thomas Sankara. A quoi bon m’étais-je dit ? Moi qui ai hurlé sur tous les tons, usé de toutes les tournures de phrases, épuisé mon vocabulaire durant au moins 20 ans depuis mon retour d’études et à travers les colonnes des quotidiens de la place.
En pure perte, si je considère avec recul les conditions dans lesquelles l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 a fini par survenir. Honni soit celui qui pense que j’aurais voulu ou souhaité sauver le pouvoir de quiconque, pour ne pas nommer Blaise Compaoré. Une tribune signée de moi en son temps et intitulée « Puisque Blaise Compaoré n’est pas éternel »donne clairement ma position sur le sujet.
En tant que citoyen, je suis certes engagé politiquement et je le revendique. Pour autant, je demeure un intellectuel libre d’esprit, qui défie quiconque de n’avoir jamais hypothéqué ou subordonné ma pensée. Il était impossible, injustifiable pour moi de continuer à faire l’autruche, emmuré dans un mutisme indifférent qui ne me ressemble pas. Cela commençait à s’apparenter à une trop lâche posture, au moment où tout esprit lucide et critique se pose objectivement la question de savoir où va le Burkina Faso et de quoi l’avenir de notre cher pays sera fait.
Je n’ai pas de réponse à cette lancinante interrogation. Nul du reste n’a de solution miracle ou infaillible à la situation particulièrement stressante et angoissante que nous vivons. Des pans entiers de notre territoire sont sous contrôle d’obscurantistes abrutis, barbares et sauvages, qui égorgent indifféremment hommes, femmes et enfants qu’ils trouvent sur leur chemin. Pour servir je ne sais quelle cause en réalité, expier quel type de haine, assouvir quelle soif de vengeance, contre des populations dont le crime est de résister et de s’opposer à leur asservissement et à l’assujettissement de leur patrie.
Des milliers de civils innocents ont perdu la vie, sans savoir véritablement quel a été leur tort. Des centaines de nos valeureux soldats, militaires, gendarmes, policiers et volontaires pour la défense de la patrie sont morts, tombés sur le champ d’honneur à la fleur de l’âge pour une grande majorité et les armes à la main, dans une guerre injuste qui refuse jusque-là de dire ouvertement son nom. De nombreux blessés souffrent, à jamais pour certains, dans leurs chairs meurtries ou mutilées.
Des millions de compatriotes errent sans terres ni maisons, dans leur propre pays. Les larmes me montent aux yeux en traçant ces lignes. Et pourtant ! Pourtant j’entends ces débats byzantins, qui continuent çà et là de distraire l’opinion. J’entends ces discussions puériles sur fond de querelles de chapelles politiques, qui se poursuivent et prennent candidement date comme si de rien n’était pour la fin très attendue de la transition et pour de probables prochaines joutes électorales.
J’entends les reliques et les répliques persistantes de ce tollé d’indignations contre le retour furtif de Blaise Compaoré au Faso en début juillet, au grand dam et au mépris de la décision de justice qui a condamné celui-ci à la prison à vie dans le procès dit de l’assassinat de Thomas Sankara et 12 de ses compagnons, le 15 octobre 1987. J’entends le rejet véhément, quasi unanime, catégorique et sa subséquente levée de boucliers contre cette présumée lettre de demande de pardon à la famille Sankara et à toutes les victimes des exactions commises sous les 27 ans de son pouvoir.
Une missive de contrition adressée par Blaise Compaoré aux concernés et à l’ensemble du peuple burkinabè depuis son exil abidjanais, portée au Faso par des émissaires de choix, dont Djamila Imani Compaoré sa propre fille. J’entends tout ceci et bien d’autres polémiques, qui me désolent et me désespèrent. A tel point que je n’ai pas pu, m’empêcher de briser le silence que je m’étais librement et volontairement imposé, pour reprendre ma plume.
Reprendre cette plume que j’ai comme seul moyen d’expression, pour dire mon dégoût de cette sorte d’irresponsabilité individuelle et collective, à tous les niveaux et sur tous les plans, qui apparait en substrat telle une sorte de prime maudite à l’insurrection inachevée ou mal digérée. Peuple insurgé du Burkina Faso, qu’as-tu donc fait de ta victoire pour la démocratie et contre la confiscation du pouvoir d’Etat par un individu et/ou son clan politique ?
Quelles leçons dynamiques et positives as-tu tirées de cet autre épisode de ta bravoure historique, en vue d’un engagement citoyen patriotique, responsable et constructif ? Toute chose nécessaire et indispensable, dont tu devrais savoir et pouvoir faire montre au moment où plus que jamais par le passé, l’existence même de ton pays est gravement menacée ?
Je n’ai pas pu m’empêcher de reprendre ma plume, seule arme de dénonciation dont je dispose, pour dire très clairement à une catégorie d’acteurs politiques, tous bords confondus, jeunes comme vieux qui sans doute se reconnaitront, qu’ils devraient avoir enfin sinon la sagesse, du moins la honte de s’éclipser du devant de la scène. En 40 ans cumulés de règne sans partage ni discontinuer d’une seule et même génération, leur bilan est simplement désastreux.
Nos grands frères, nés avant l’indépendance de la Haute-Volta, ont mangé une part du pouvoir de leurs papas (que dis-je, de nos papas !) ;après qu’ils les ont évincés tour à tour et sans ménagement des affaires. Ils ont mangé ensuite notre part à nous leurs cadets, en s’accrochant et en s’éternisant au pouvoir ;faisant de nous une génération sacrifiée, tout à la fois en ayant l’outrecuidance de nous taxer « de jeunes», jusqu’à notre soixantaine révolue.
Dieu les voit ! Ils prétendent aujourd’hui manger aussi la part de nos petits frères, voire celle de leurs propres enfants. Trépignant d’impatience qu’ils se montrent, de voir la fin de cette Transition menée par de jeunes quadragénaires, espérant sans aucun doute reprendre place autour de la mangeoire. Chers « soixante-huitards »,pardon ayez honte un jour s’il vous plait !Comme diraient nos frères ivoiriens.
Pour aboutir à leurs fins et assouvir leur boulimie sordide et insatiable du pouvoir, ces vieux roublards politiques sont allés, sans aucune honte ni vergogne, jusqu’à instrumentaliser la misère matérielle et morale d’une jeunesse que la gouvernance médiocre et jouissive de leur même et propre génération a laissée sans boussole et sans avenir.
L’instinct de survie fait aujourd’hui de quelques-uns parmi cette jeunesse désœuvrée et désemparée des proies faciles à appâter par eux, pour en faire un cheval de Troie politique, sous le truchement piteux et le couvert lamentable de quelques organisations dites de la société civile. La ficelle est beaucoup trop grosse et le disque définitivement rayé.
Toute trahison ourdie et consommée, certains parmi ces véritables rentiers de la chose et des fonctions politiques n’ont pas hésité un seul instant à exhiber la recrudescence des attaques terroristes comme une preuve irréfutable de l’échec de Roch Marc Christian Kaboré. Conséquence, le renversement secrètement ou ouvertement applaudi par les mêmes de ce dernier, le 24 janvier 2022, par le MPSR du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba.
L’état de grâce du même Paul-Henri Damiba et de ses jeunes frères d’arme n’a même pas encore atteint les 5 mois que lui-même s’est imposé comme délai pour tirer avec le peuple un premier bilan sécuritaire, que l’on entend hurler les loups. Frères et sœurs burkinabè, que voulons-nous à la fin pour nous-mêmes et pour notre chère patrie comme dessein et destin ? Plus que je n’ai défendu Blaise Compaoré ou Roch Marc Christian Kaboré, je n’ai pas ici l’intention de me faire l’avocat du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba.
Comme un grand garçon qu’il est et pour le paraphraser, il s’est battu pour sa chose, qu’il se débrouille avec ! J’ai encore moins la prétention d’absoudre la gouvernance de la Transition en place. S’il est normal de déplorer le manque d’accalmie notable sur le front sécuritaire, il est tout autant malsain, calculateur, mesquin et honnêtement indécent pour certains acteurs de faire si ostentatoirement front contre ceux qui se démènent contre une gangrène à laquelle ils sont loin d’être eux-mêmes étrangers.
Susciter une pression populaire ou faire monter la tension politique est-elle la meilleure manière de contraindre la Transition à des résultats hic et nunc ? J’en doute. Que l’on me traite de tout ce que l’on voudra à la lecture de ce papier. J’ai la détestable impression que nous sommes, une fois encore, en train de nous fourvoyer complètement. De nous tromper lourdement de débat, d’ennemi et de combat.
Au regard de ce que le pays endure, nul n’aura finalement eu raison ni intérêt dans le passage de témoin absolument mal négocié et à ce que Blaise Compaoré soit parti comme il est parti du pouvoir et du pays. Ils ont beau avoir accablé son successeur légalement élu, Roch Marc Christian Kaboré, en le taxant de chef d’Etat le plus mou et le plus affable que le Burkina Faso ait jamais connu, nombreux sont ceux qui regrettent déjà son départ.
Last but not least, toujours dans cette même logique incompréhensible de haine fraternelle inextinguible et cette tendance à l’auto-flagellation destructive, quelle est la marge de bonne foi que nous accordons au lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba, pour mener la lourde mission dont il s’est auto-investi ?
Quelle chance de réussite lui donnons-nous, à la faveur soit dit en passant de la liberté politique et d’expression que la junte militaire au pouvoir a eu la sagesse de laisser courir malgré le contexte difficile, si nous n’arrêtons pas chaque jour que Dieu fait, de mettre des bâtons politiques dans ses roues et de crier haro sur le baudet à son moindre propos? J’en ai fini de mon coup de gueule. Dieu aide et préserve le Burkina Faso envers et contre tout.
Iterre SOME
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