Eugène Kounker Somé. Voici un nom qui vaut son pesant d’or dans le landerneau culturel burkinabè. Guitariste de renom, l’homme a plus d’une corde à son arc. Un peu éloigné des scènes musicales-peut-être à cause de la crise sécuritaire que connait le pays des Hommes integres-, il n’en reste pas moins un fin observateur. Nous avons échangé avec lui au cours d’une brève interview et vous proposons ses quelques recettes pour une sortie de crise au Burkina Faso.
Lefaso.net : Bonjour Eugène Kounker Somé. On vous connaît sur la scène artistique comme un artiste-chanteur, virtuose de la guitare, lauréat du Kundé d’or en 2012. Mais beaucoup ne sont pas informés de votre cursus scolaire sanctionné par un doctorat en sociologie. Quel est votre parcours ?
Je remercie Lefaso.net pour cette interview qui me permet de mieux me faire connaître et m’exprimer et aussi contribuer à la réflexion sur la situation nationale
En effet j’ai fait ma formation secondaire au PMK (Prytanée militaire du Kadiogo, ndlr) qui s’est sanctionnée par un BAC A4. Ensuite j’ai fait des études de sociologie à l’Université de Ouagadougou sanctionnées par une Licence en 1988. Je me suis ensuite envolé pour Paris avec une bourse nationale pour la Maîtrise en sociologie obtenue en 1990. Puis je me suis inscrit à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne pour un Doctorat en Science Sociale Sociologie au sein de l’I.E.D.E.S. (Institut du Développement Economique et Social) obtenu en 1999 avec mention très honorable. Je suis sociologue spécialiste du développement local.
J’ai aussi une Formation en Gestion des Projets Axé sur les Résultats (GARE) de même qu’une Maîtrise en Gestion des Ressources Humaines (Administration du Personnel et Gestion de l’Emploi). J’ai fait des consultations pour des ONG et institutions française et burkinabé notamment sur le développement local et la décentralisation.
J’ai occupé des fonctions de chargé de programmes de développement locaux en coopération décentralisée. J’ai été Chargé de Mission Représentant National de l’Association Française des Volontaires du Progrès puis de France Volontaires au Burkina et au Bénin de 2003 à 2022.
De manière synthétique, quel état des lieux faites-vous de la situation de votre pays depuis le péril djihadiste ?
L’état des lieux du pays peut se résumer en 4 points :
Des zones importantes du territoire prises en otage par les terroristes avec une stratégie d’affamer et apeurer les populations en vue d’une occupation physique progressive du pays en mettant la main sur les outils de production, vivres et les mines et d’avoir une base pour occuper les pays côtiers frontaliers du Burkina. Conséquence, au moins presque 2 millions de déplacés internes à gérer, une absence des services publics ainsi que de l’enseignement dans plusieurs départements et des populations affamées
Une armée divisée avec un risque d’affrontement entre des clans
Un personnel politique discrédité depuis 2014 au point de n’offrir aucun leadership patriotique capable de donner une impulsion nouvelle pour l’avenir du pays
Une jeunesse et un peuple totalement conscients à force des enjeux géostratégiques, des ingérences des puissances occidentales dans la zone des trois frontières mali-Niger-Burkina
Vous avez certainement suivi les derniers évènements au pays et cette avalanche de violence au plan sécuritaire suivie de deux coups d’état. Qu’en dites-vous ?
J’en dis que c’est logique et que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Je dirai plus. Tant qu’il y aura la mal gouvernance, l’injustice, le pillage des ressources via la corruption, la faim, la maladie, l’insécurité et le chômage de la jeunesse, nos états seront instables.
Il y eu beaucoup d’espoir avec le MPSR 1 en janvier, malheureusement son ingérence politicienne, la réconciliation à pas forcés, le reniement de l’indépendance de la justice et les villes qui meurent de faim avec les blocus terroristes sans réactions tangibles ont fini par favoriser l’avènement du MPSR 2.
Y a-t-il espoir, selon vous, quand on constate la fragilisation du tissu social aussi bien au sein de la population que de l’armée. Des hommes valeureux existent-il toujours au Burkina Faso qui soient capables de sauver la mère patrie ?
J’ose croire qu’il y a des hommes valeureux capables de relever le défi. On ne les connaît pas encore. Il faut mettre en place un système pour les détecter ou révéler. Je pense qu’il faut redéfinir des critères d’intégrité pour les personnes qui voudront être candidates à la présidence voire même diriger des partis ou mouvements politiques. Il faudra instaurer une vraie rupture dans notre façon de faire la politique au Burkina Faso.
Je pense que si le MPSR 2 ne renie pas ses objectifs, il représente un espoir à condition de tous l’accompagner convenablement pour éviter les travers de récupération classiques. Le ravitaillement de 7 villes en vivres en une semaine nous donne une tendance.
Il y aura les assises dans les jours à venir pour la désignation du Président de la transition. Quel est, selon vous, le profil idéal et que pensez-vous de cette transition sans le capitaine Ibrahim Traoré qui est venu avec ses éléments pour remettre les pendules à l’heure ?
Le profil idéal est quelqu’un de jeune, non partisan, compétent, intègre et soucieux sincèrement de sortir notre pays de son enlisement actuel. Surtout pas quelqu’un qui vient pour s’enrichir ou favoriser un clan.
Le capitaine Ibrahim Traoré me semble avoir ce profil. Et sincèrement, puisqu’il a pris des risques pour changer le régime, il serait préférable qu’il soit candidat et qu’il soit désigné pour diriger cette transition en nommant un premier ministre autonome pour gérer les dossiers nationaux pendant que lui il s’occupe de la restauration du territoire et révise les accords internationaux.
Quel doit être, selon vous, le rôle des populations, en particulier la jeunesse burkinabé, dans cette transition pour la reconstruction nationale ?
La population doit s’impliquer dans la lutte contre le terrorisme en signalant les comportements suspects aux FDS (Forces de défense et de sécurité, ndlr), mais aussi en s’organisant pour se défendre le cas échéant.
La population doit aussi dénoncer tous les dysfonctionnements de l’administration et des collectivités territoriales et s’opposer fermement à toute déviation de la transition.
Les jeunes plus particulièrement doivent se mobiliser et manifester autant que nécessaire lorsque leurs intérêts et ceux du pays ne seraient pas pris en compte par des individus ou institutions mal intentionnés et défendre les objectifs de la transition. Les jeunes le font déjà et cela doit se renforcer.
Quelles sont, selon vous, les grandes lignes politiques que cette transition doit suivre pour relever les défis sécuritaire, social, économique et politique en peu de temps jusqu’au retour à l’ordre constitutionnel ?
L’armée se réorganise pour quadriller le territoire, surveiller les frontières par des moyens appropriés, déminer les zones concernées et combattre les terroristes et les chasser du pays. L’armée doit rechercher des partenariats concrets pour s’équiper et se former rapidement.
Ne pas remettre d’Assemblée nationale en place, mais un comité interministériel et un système numérique de référendum sur les grands dossiers urgents à traiter. Il peut se mettre en place aussi des groupes de travail thématiques volontaires au niveau de la société civile affiliée à des associations ou pas pour proposer des idées concrètes ou solutions novatrices.
Dossier prioritaires : charte de la transition avec un calendrier consensuel définissant des modalités d’intégrité pour briguer la magistrature suprême, sécurité et libération des villes, révision des accords internationaux, gestion des déplacés internes avec les ONG et partenaires, rétablissement des routes, accélération des dossiers en souffrance dans les ministères, favoriser la production et consommation locale, économie d’énergie dans l’administration, réduction du train de vie de l’Etat, lutter contre la faim, réhabiliter les CSPS etc.
Lefaso.net
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