Ceci est une tribune de l’organisation internationale Equality Now à l’occasion de la Journée internationale de la jeune fille appelant à une plus grande implication des Etats dans la défense des droits de la jeune fille. Selon l’organisation internationale « les États doivent adopter une approche juridique complète à la prévention des mariages d’enfants, ainsi que le recommande la note de politique, tout en reconnaissant la sexualité en évolution des adolescents ».
Les femmes et les filles sont privées des mêmes droits légaux dont jouissent les hommes et les garçons dans un grand nombre de pays d’Afrique, notamment dans le mariage. De ce fait, des millions de femmes et de filles sont exposées à des risques accrus de violations de leurs droits humains, y compris les mariages d’enfants, le viol marital, les grossesses forcées et la violence domestique. Pour mettre en exergue les changements que les gouvernements de la région et d’ailleurs doivent instaurer en vue de mettre fin à la discrimination sexuelle dans les lois sur le statut matrimonial, l’organisation internationale de défenses des droits humains Equality Now publie, à l’occasion de la Journée internationale de la fille, une nouvelle note de politique intitulée Words & Deeds : Holding Governements Accountable to the Beijing +30 Review Process – Sex Discrimination in Marital Status Law (Des mots et des faits : l’imputabilité des gouvernements à l’égard du processus d’examen de Beijing +30 – la discrimination sexuelle dans les lois sur le statut matrimonial).
Les lois à caractère discriminatoire fondées sur le sexe concernant le statut matrimonial régissent certains des aspects les plus intimes de nos vies – le mariage, le divorce, les droits de garde et la tutelle. Il s’avère qu’elles représentent l’un des aspects du changement juridique les plus insolubles, car elles font partie intégrante des coutumes familiales, qui sont considérées comme la pierre angulaire de la société et associées à des croyances profondément ancrées au sujet de la religion, des traditions et de la culture.
Régulièrement, les opposants au changement s’acharnent obstinément à en peindre une fausse image, le présentant comme une menace à la religion, à la famille et à l’identité. Toutefois, bien que le droit à la culture et la religion relève de droits humains, il ne peut pas se substituer au droit fondamental d’une personne à l’égalité.
Les mariages d’enfants – la discrimination dans les âges minimums du mariage, les interdictions et l’harmonisation des lois
Quelle que soit leur religion, leur appartenance ethnique, leur situation géographique ou leur culture, les filles subissent des impacts disproportionnés en raison de lois et pratiques qui prévoient des dispositions discriminatoires sur l’âge minimum du mariage. Avant la pandémie de COVID-19, 12 millions de filles étaient touchées chaque année par les mariages d’enfants, et même un plus grand nombre s’engageait dans des unions informelles impliquant une cohabitation sans enregistrement juridique d’un mariage. La pandémie n’a fait qu’exacerber ce problème et, selon les estimations du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), dix millions de filles supplémentaires risquent de se marier avant leurs 18 ans au cours de la prochaine décennie.
Les filles qui se marient alors qu’elles sont encore des enfants sont exposées à d’autres violations de leurs droits humains telles que des grossesses précoces et forcées, l’impossibilité d’accéder à une éducation et à des emplois, les abus domestiques, la discrimination et la subordination.
Exclues des prises de décisions quant au moment de se marier et au choix de leur époux, les filles endurent souvent une initiation brutale et traumatisante aux relations sexuelles. Privées de leur droit au consentement, elles subissent effectivement des viols/attentats à la pudeur, et celles qui tombent enceintes avant d’être biologiquement prêtes risquent en outre de faire une fausse couche ou de souffrir d’une hémorragie post-partum ou d’une fistule obstétricale, voire de perdre la vie.
Un enfant ne peut pas consentir au mariage et, conformément au droit international et régional, l’âge minimum du mariage devrait être fixé à 18 ans, sans aucune exception, qu’il soit régi par des lois civiles, religieuses ou coutumières. Les pays doivent mettre en œuvre le Programme d’action de Beijing, en particulier les paragraphes 274(e) et 275(b), qui appellent les États à « promulguer et appliquer strictement des lois relatives (…) à l’âge minimum du mariage et élever ce dernier si nécessaire » et à « inciter la société à respecter les lois sur l’âge minimum légal du mariage ». Equality Now salue les réformes récemment instaurées en République dominicaine et à Cuba.
Les États doivent adopter une approche juridique complète à la prévention des mariages d’enfants, ainsi que le recommande la note de politique, tout en reconnaissant la sexualité en évolution des adolescents.
L’obéissance des épouses, le mariage forcé et la polygamie
Le droit à l’égalité et à la non-discrimination dans la loi fait l’objet d’autres violations – par exemple avec le mariage forcé, où une épouse ne donne pas son libre et plein consentement à se marier. Il est parfois sanctionné par des lois qui permettent aux responsables légaux (souvent de sexe masculin) de « consentir » pour le compte d’une femme ou d’une fille. Un adulte ou un juge ne devrait jamais pouvoir « consentir » au mariage pour le compte d’une fille ou d’une femme adulte.
La polygamie constitue également une violation qui est encore autorisée dans divers pays, notamment l’Algérie, l’Indonésie, le Kenya, la Malaisie, le Mali et la Tanzanie. Quand un mari a plusieurs épouses, celles-ci font face à de graves difficultés telles que la réduction de leurs droits en matière d’héritage et leur exposition accrue à des conditions de santé potentiellement mortelles, dont le VIH/sida du fait que leur époux a plusieurs partenaires sexuels.
En Zambie, la Loi sur le mariage exonère tous les mariages prononcés en vertu du droit coutumier africain du respect de l’exigence d’âge minimum du mariage, qui est normalement de 21 ans. Toutefois, aucun âge minimum n’est exigé pour le consentement au mariage en vertu du droit coutumier, qui inclut une pratique coutumière par laquelle toute fille ayant atteint sa puberté peut se marier.
De l’autre côté de la frontière, en Tanzanie, la Loi sur le mariage autorise le mariage des filles dès leur 15 ans, mais l’âge minimum pour les garçons est fixé à 18 ans. En 2019, la Cour d’appel de la Tanzanie a maintenu une décision historique rendue par la Cour suprême en 2016, selon laquelle les mariages où l’un ou l’autre des époux a moins de 18 ans sont illégaux. Le gouvernement tanzanien a été invité à augmenter dans un délai d’un an l’âge minimum du mariage à 18 ans, tant pour les garçons que pour les filles, mais ce changement n’a pas été appliqué.
Fait encore plus inquiétant, certains États stipulent dans la loi que les femmes et les filles doivent « obéir » à leurs maris et/ou tuteurs masculins. Par exemple, le Mali et le Soudan exigent « l’obéissance de l’épouse », et le Burundi et la République démocratique du Congo prévoient qu’un mari est le chef du ménage. En Afghanistan, la supervision du ménage relève du droit exclusif du mari et le droit d’une épouse de sortir de chez elle est limité.
Ces lois discriminatoires sur le statut matrimonial exposent les femmes et les filles à des violences sexuelles et fondées sur le genre et entravent leur capacité à prendre des décisions sur leur santé procréative. Elles les empêchent également de pouvoir choisir leur lieu de travail ou de vie et de quitter leur foyer sans consentement, et relèguent les femmes et les filles à un statut moins égal au sein de la famille et de la société.
Beijing+
En 1995, lors de la 4e Conférence mondiale sur les femmes à Beijing, 189 gouvernements ont convenu d’une feuille de route complète visant à faire avancer les droits des femmes et des filles et à instaurer l’égalité des genres. Compte tenu du caractère primordial de l’égalité juridique, les États ont notamment pris l’engagement « [d’]abroger toutes les lois encore en vigueur qui introduisent une discrimination fondée sur le sexe ».
Plus d’un quart de siècle plus tard, l’égalité des genres est loin d’être une réalité. Malgré certains avancements, les progrès ont été lents et incohérents, et la vaste majorité des pays n’ont pas instauré l’égalité juridique pour les femmes et les filles. L’égalité juridique entre les sexes n’a été établie que dans 12 des 190 pays couverts par une enquête de la Banque mondiale en 2022.
Pour veiller à ce que les pays respectent le plan prévu dans le Programme d’action de Beijing, Equality Now a assuré un suivi de ces lois et la conduite d’examens réguliers sur les législations sexistes à l’échelle mondiale. Selon notre rapport de 2020, pratiquement aucun des pays dans le monde n’assume les engagements qu’ils ont pris en vue d’éliminer les lois à caractère explicitement discriminatoire fondées sur le sexe.
Antonia Kirkland, une avocate spécialisée dans la défense des droits humains et responsable mondiale de l’égalité juridique chez Equality Now, explique : « Les lois discriminatoires rendent l’égalité des genres impossible. De plus, tant que les femmes et les filles ne jouiront pas de l’égalité juridique, nous continuerons à voir la prolifération de pratiques préjudiciables telles que les mariages d’enfants et forcés, qui contribuent à d’autres violations des droits humains telles que la violence fondée sur le genre. Nous devons continuer à exiger des gouvernements qu’ils agissent en vue de réformer toutes les lois à caractère discriminatoire fondées sur le sexe, sans aucune exception ».
« À l’approche du 30e anniversaire du Programme d’action de Beijing en 2025, Equality Now appelle les États à respecter, protéger et réaliser les droits des femmes et des filles à l’égalité en prenant des mesures immédiates pour mettre fin à la discrimination contre toutes les femmes et les filles dans les lois et les pratiques, y compris celles portant sur le statut matrimonial ».