Les assises nationales qui se tiennent les 14 et 15 octobre 2022 vont consacrer l’adoption de la Charte de la Transition. Dans cette interview, Dr Serge Noël Ouédraogo, enseignant-chercheur au département d’histoire et archéologie de l’université Joseph-Ki-Zerbo, appréhende les enjeux de ce rendez-vous crucial.
Sidwaya (S.) : Des assises nationales se tiennent les 14 et 15 octobre 2022 pour adopter la Charte de la Transition. Ces assisses vont-elles véritablement donner la chance à la Transition de réussir ?
Serge Noël Ouédraogo (S. N. O.) : Une fois de plus, les vicissitudes de la vie politique ont conduit à la convocation d’un forum des forces vives de la Nation afin de déterminer de manière consensuelle, je l’espère, les grandes lignes de la poursuite de la Transition entamée à la suite du coup d’Etat du 24 janvier 2022. La convocation desdites assises, dans un laps de temps si court après le coup d’Etat du 30 septembre 2022 est de prime abord salutaire. Des hommes et des femmes désignés et non élus (sinon, on aurait été dans une forme de démocratie représentative) vont réfléchir et décider au nom de tous les Burkinabè.
Si ces hommes et femmes, issus des forces vives de la Nation burkinabè ont été désignés sur des bases non partisanes hormis les représentants des regroupe-ments politiques, se départissent des intérêts individuels ou de fraction, généralement égoïstes, n’ont pour seule boussole, les intérêts supérieurs d’un pays menacé dans son existence même et dans la cohabitation harmonieuse de ses différentes composantes ethniques, confessionnelles, tiennent compte des acquis et des limites des fora du même genre, en particulier des dernières assises de 2022, je n’ai aucun doute que les résultats seront à la hauteur des attentes du moment. Au regard de la composition du comité d’organisation, j’ai un préjugé favorable, tout en ayant à l’esprit que le bon arbre (celui fruitier en l’occurrence) se reconnaît à ses fruits. So, let us wait and see.
S : Quelles devraient être les priorités au cours de ces concertations ?
S. N. O. : Le Burkina Faso est à la croisée des chemins. Les attentes des populations sont nombreuses, avec de fortes disparités, selon qu’on vive en campagne ou en ville, dans une zone directement confrontée à la menace terroriste ou pas, selon le type d’activité économique menée, etc. Beaucoup de choses sont prioritaires mais d’aucuns s’accordent à dire que par ordre décroissant d’importance, il s’agit d’abord de la libération des zones sous l’emprise des groupes terroristes.
Nous nous sommes suffisamment auto flagellés, faisons l’union sacrée, taisons ne serait-ce que momentané-ment nos divergences et vainquons les ennemis communs (obscurantistes étrangers prétextant de pseudos raisons religieuses ou frères ou sœurs égarés ou ayant choisi la pire des manières pour résoudre un souci avéré). Nous avons ensuite le retour des personnes déplacées internes dans leurs milieux habituels de vie.
Il faut être PDI ou les avoir côtoyées, ne serait-ce que brièvement pour être parfaitement conscients de leur détresse et savoir qu’elles ne demandent que la quiétude pour retourner chez elles et vivre à la sueur de leur front comme de par le passé. Et il y a enfin la création des conditions minimales pour un retour à l’ordre international, dans le respect de nos engagements et en bonne intelligence avec la communauté internationale, la CEDEAO au premier chef dans la logique du principe de la subsidiarité dans la gestion des crises sur la scène internationale.
S : Il sera également question de la désignation du président du Faso à cette occasion. Quel doit être, selon vous, le portrait-robot de celui ou celle qui dirigera la Transition ?
S. N. O : Franchement, j’accorde moins d’importance au profil du futur président du Faso qu’au cadre institutionnel dans lequel il exercera la fonction de Chef d’Etat, président du conseil des ministre, chef suprême des armées pour m’en tenir à ces attributions essentielles par les temps qui courent. Par principe, je crois plus en l’efficacité des conditions institutionnelles d’exercice du pouvoir d’Etat, l’exercice des contre-pouvoirs, la qualité des critères subjectifs et objectifs de désignation qu’aux qualités supposées d’un homme ou d’une femme, d’un civil ou d’un militaire.
L’exercice du pouvoir sous nos cieux a souvent corrompu à qui on aurait pu donner le bon Dieu sans confession préalable. Comme vous tenez à avoir un portrait-robot, je formule le souhait d’avoir :
un homme ou une femme n’ayant pas une appartenance partisane connue,
un civil ou un militaire n’ayant pas d’ambition politique après la Transition, ni dans un proche avenir, ni dans un avenir lointain. Le militaire n’a pas vocation à exercer le pouvoir d’Etat depuis le printemps des démocraties.
Le capitaine Ibrahim Traoré a, aux premières heures du coup d’Etat, manifesté une certaine aversion pour la gestion du pouvoir, mais pourra-t-il ou voudra-t-il résister aux voix qui s’élèvent le réclamer à la tête de l’Etat pour « terminer ce qu’il a commencé » ? En dehors de lui, les Burkinabè ou leurs représentants aux assises nationales voudraient-ils ou auront-ils confiance en un autre militaire à la tête de l’Etat ?
Pour sauver les apparences, ce militaire devra-t-il temporairement ou définitivement se mettre en retrait de l’armée, en ayant en perspective le statut d’ancien Chef d’Etat ? Y a-t-il un civil « non connoté », capable de fédérer les Burkinabè dans l’atteinte des priorités du moment ?
Il y en a certainement, mais voudra-t-il répondre à l’appel de la Nation déchirée et incertaine ? Le civil ou le militaire attendu aura nécessairement des appréhensions à surmonter, car au-delà de la noblesse et de l’exaltation de la fonction, la tâche est rude et les attentes nombreuses.
un homme ou une femme qui aura une haute conscience des enjeux du moments, mu (e) par de hautes considérations de patriotisme et même de chauvinisme, prêt (e) au sacrifice de sa personne. Il nous faut un Chef serviteur plutôt qu’un maître, qu’enfin la politique conduite soit l’expression du plus haut degré de la charité comme le professent les milieux religieux,
un homme ou une femme qui appliquera le « devoir d’ingratitude » à l’égard des participants aux assises ou des groupes qui auraient suscité son ascension, pour ne voir que l’intérêt commun,
un homme ou une femme qui ne se croirait pas providentiel, laissant ce jugement à l’histoire ; mais qui serait humble, non à l’écoute des « bénis oui oui », mais de ses compatriotes, laissant Dieu et ensuite les hommes l’honorer plus tard. Cependant, gardons les pieds sur terre, nous ne sommes pas des anges, nos dirigeants non plus.
Créons donc les conditions qui ne permettront pas à X ou à Y de faire ce qu’il voudra, mais plutôt à tendre vers les aspirations du peuple (quand bien même je n’aime pas utiliser ce terme car son sens est galvaudé par le commun des mortels, en particulier les hommes politiques et certains acteurs de la société civile).
Qui que ce soit qui accèdera aux plus hautes fonctions de l’Etat doit se rappeler d’une chose, les Burkinabè sont à la fois faciles et difficiles à gouverner. Qu’il ou elle ne se retranche pas dans son palais d’ivoire, mais qu’il ou elle soit à l’écoute de la population. Or, de nos jours, les moyens d’être à l’écoute de sa population sont nombreux.
Aux personnes qui l’entourent de jouer leur partition et aux différents contre-pouvoirs d’être dans la veille. Je parle bien d’homme ou de femme car je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il n’est pas temps pour qu’une femme dirige le Burkina Faso, en particulier dans le contexte actuel. Une femme pourrait prendre les rênes du pouvoir durant cette Transition ou plus tard.
A défaut d’avoir une femme présidente du Faso, ce n’est pas exclu qu’on en ait à la Primature. Donc, qu’importe le genre de l’oiseau rare, pourvu qu’il soit bien encadré par des institutions fortes et bénéficie de la confiance, à mériter, des Burkinabè. En toute circonstance, ayons à l’esprit que c’est parce qu’il y a le Burkina Faso que nous sommes Burkinabè.
Je comprends ceux qui caricaturent les Burkinabè par les « 3 B » ou les « 3 M », mais au-delà de leur volonté de choquer afin de nous réveiller, j’ai confiance aux Burkinabè, je suis convaincu que le courant qui promeut la tolérance, la non stigmatisation, le repli identitaire, le pardon (avec ou sans préalable), en somme le vivre-ensemble et le développement harmonieux et solidaire demeureront dans le moyen et le long terme majoritaire. Une des dernières initiatives a été le succès de l’initiative citoyenne de collecte de vivres en faveur des PDI.
Je loue déjà que les auteurs du coup d’Etat soient dans une logique d’acceptation que la charge suprême du pouvoir d’Etat soit exercée par un civil ou militaire. A suivre les réseaux sociaux, les opinions relayées par les médias « traditionnels », je suis très heureux de constater qu’il y a peu de place pour les clivages ethniques, confessionnels et sexistes. Cela confirme l’attachement des Burkinabè à l’Etat-nation en construction.
Les Burkinabè d’avant et de maintenant tendent à s’accorder plus sur le sentiment de constituer un même peuple, uni par un passé, des us et coutumes communs transcendant des particularismes perçus comme une diversité qui enrichit plus qu’elle ne divise.Hier comme dans un proche avenir, la règle non écrite de gestion partagée du pouvoir d’Etat en tenant compte des grandes aires culturelles, des appartenances confessionnelles et ethniques va s’appliquer dans les hautes fonctions des pouvoirs exécutifs et législatifs.
S : Le Burkina Faso traverse une double crise sécuritaire et humanitaire. Qu’est-ce qui est attendu des forces vives à ces assises nationales dans ce contexte précis ?
S. N. O. : Les participants aux assises devront réfléchir et proposer les voies idoines et choisir l’homme ou la femme, le civil ou le militaire, à même de nous guider dans le « solutionnement » de cette double crise sécuritaire et humanitaire. Hormis cela, si les forces vives décident de la création des organes les moins budgétivores possibles, afin que les ressources soient orientées vers les vraies priorités du moment, elles auraient fait œuvre très utile. La résolution pratique de ces crises, bien entendu, va au-delà des réflexions et décisions de ces assises. Mais, une fois les sillons tracés, les choses continueront pour une sortie de crise, le plus tôt possible.
S : Selon des partis politiques, « les assises nationales sont porteuses de germes crisogènes ». Quel commen-taire faites-vous de cette déclaration ?
S. N. O. : Au regard des attentes nombreuses, des enjeux à prendre en compte dans la mise en place des organes de la Transition et du choix des dirigeants, tenant compte des expériences passées, l’on conviendrait que la pratique nous instruira plus sur la conduite de la Transition que les théories, fussent-elles belles. Ne dit-on pas d’ailleurs que l’enfer serait pavé de bonnes intentions ? Tout commencera par les critères qui prévaudront au choix des participants. La dernière expérience, en particulier au niveau des acteurs de la société civile, a laissé dubitatif plus d’un observateur.
Ensuite, il s’agira de la qualité des documents de base sur lesquels « plancheront » les participants. Mon souhait est qu’on ne veuille pas « réinventer la roue ». Les résultats des travaux des « Expert de la Commission technique d’élaboration de projet de textes et de l’agenda de la Transition » pourraient être une bonne base de réflexion. A défaut, tout document qui en serait proche ou proche de la charte de transition de 2014, pourvu que des intérêts d’individus ou de groupes ne soient pas mis en avant.
Le Burkina Faso s’est toujours singularisé par sa richesse en hommes et femmes, aussi bien sur le plan numérique (n’oublions pas qu’en 1926, il abritait à lui seul, le quart de la population de l’Afrique Occidentale Française) qu’en matière de savoir-faire (réputation de peuple travailleur) et de savoir-être (probité, intégrité).
Nous devons puiser dans nos tréfonds pour créer les conditions de la renaissance de notre chère patrie. Sachons briser le cercle vicieux de la division, de la perversion religieuse, de la stigmatisation et du repli et mettons en pratique un cercle vertueux de l’inclusion de tous, de la concertation, de l’acceptation des différences et des règles de la construction de l’Etat nation pour dépasser la conjoncture actuelle.
Propos recueillis par Karim BADOLO