« Une nation comme la nôtre à l’état actuel ne peut absolument pas se gouverner dans un quelconque état d’émotion fait de béatitude d’un lendemain meilleur », analyse Arouna Louré, ancien député de l’Assemblée législative de la transition (ALT), dans cette tribune. Pour lui, avant d’indexer les autres ou de demander l’appui des autres, « le peuple doit se demander ce qu’il est prêt à faire ou à sacrifier pour la patrie ». Lisez plutôt !
POURQUOI LE DÉFI QUI S’IMPOSE À NOUS EST IMMENSE !
Nous avons tendance à croire qu’il est facile de diriger une institution et même une nation. Cependant, autant personne ne s’improvise maçon, autant personne ne s’improvise ingénieur agronome ou autre, autant l’on ne peut s’improviser être un bon dirigeant. Cela relève du miracle. À suivre l’éducation des princes dans le monde avant leur ascension au trône, cela dénote de la lourdeur de cette tâche. Mais encore mieux, cette éducation ne leur exempte pas de grosse bourde en tant que dirigeant.
Comme dans toute entreprise humaine, l’intégrité, la probité et la bonne volonté ne représentent que tout au plus 20 % (certains diront même 10%) de ce qu’il faut pour être un bon dirigeant. Les 80% se trouvant, sans être exhaustif, surtout dans une vision, un acharnement au travail, un apprentissage assidu, l’échec, la stratégie, le courage, la culture, l’humilité, la patience et la résilience.
En se basant sur notre propre histoire sociopolitique pour décortiquer notre situation actuelle, Sangoulé Lamizana fut un homme intègre, mais il n’a pu impulser un développement socio-économique viable à la Haute Volta. Pour notre succes-story de la gouvernance vertueuse et courageuse, quoique nous l’ayons assassiné, je souhaite présenter deux aspects importants dont nous devrions tenir compte pour ne pas faire des erreurs de bonne volonté.
Grâce à un État d’exception (suspension de la constitution), Thomas Sankara fut des grandes prouesses socioéconomiques pour notre pays. Au-delà du patriotisme et de l’intégrité dont il faisait preuve sans faille, Il était un homme idéologiquement mature, ayant une très bonne culture générale et une connaissance de la géopolitique mondiale, mais surtout, il avait une expérience et une connaissance de l’administration et du fonctionnement de nos institutions. En outre, la Révolution démocratique et populaire menée par le Camarade Thomas Sankara avait une idéologie politique mâture et un projet politique sociétal clair.
Le deuxième aspect étant que Thomas Sankara n’avait point hérité d’un Burkina Faso en proie au terrorisme avec sa crise humanitaire majeure, une armée divisée et corrompue, un socle social fragmenté, une classe politique machiavélique et corrompue, un chômage galopant de la jeunesse plongeant cette jeunesse dans la misère ; un Burkina Faso où la corruption, le vol et la gabegie sont les normes, où l’intégrité a quasiment disparu, où les réseaux sociaux sont devenus les sources d’information de l’essentiel des adultes jeunes, mais qui sont également des fléaux sociaux par leur capacité à propager de fausses et de mauvaises informations, et cela, sans oublier l’audience accordée à des niveleurs par le bas.
De même, à cette époque, la baïonnette faisait office de force et de loi. Pourtant aujourd’hui, seuls nos textes réglementaires font office de force et de loi. La preuve est que son règne fût un régime d’exception.
Alors une nation comme la nôtre à l’état actuel ne peut absolument pas se gouverner dans un quelconque état d’émotion fait de béatitude d’un lendemain meilleur. Notre pays ne peut absolument pas se diriger dans une forme d’amateurisme aventurier tant nous sommes au bord du précipice. À bien y voir, c’est à croire que d’un seul coup, nous avons une schizophrénie de masse, tant nous avons besoin de croire que nous pouvons nous en sortir aisément sans un grand sacrifice. Nul doute que le besoin de croire et d’espérer la venue spectaculaire d’un messie, se sont mués en une voile épaisse qui nous empêche de voir l’horizon si sombre.
Car au-delà du patriotisme et de l’intégrité sans faille, aujourd’hui notre patrie a besoin d’un leaderschip politique affirmé certes, mais humble, patient et résilient qui puisse fédérer autour de lui toutes les compétences sans distinction, sauf celles dans une impossibilité juridique ou légale, afin de sauvegarder et de restaurer l’intégrité morale et physique de notre patrie.
Tout cela pour dire que le désir de croire à l’homme providentiel, le désir de croire à une solution miracle ou de croire que nous allons simplement réussir ne doivent point nous aveugler au point de ne pas prendre conscience des défis énormes qui attendent aussi bien les dirigeants, mais surtout le peuple. Cela doit se matérialiser par un langage franc, dur et sincère entre les dirigeants et les populations avec une participation active de cette dernière dans la résolution des différentes crises.
Pour exemple simple, sommes-nous prêts de 18 à 45 ans à nous mettre à la disposition totale de l’armée ? Nous avons environ 30.000 agents de l’État qui sont au chômage technique du fait de l’insécurité, alors en attendant le redéploiement de ces agents, sommes nous prêts à accepter l’arrêt des recrutements à la fonction publique dans ces corps ?
Avant d’indexer les autres ou de demander l’appui des autres, que sommes-nous prêts à faire, que sommes nous prêts à sacrifier pour la patrie ?
Ainsi, aujourd’hui tout régime qui ne se mettra pas dans une situation d’urgence perpétuelle et qui voudra jouir des attributs du pouvoir ou batifoler dans du cérémonial anachronique tandis que plus 40 % du territoire est occupé et 1,5 millions de Burkinabè sont des PDI, ne pourra point perdurer. Car dans une analyse holistique en tenant compte de ce qui précède, la durée de vie d’un régime politique au Burkina Faso risque désormais ne point dépasser 3 à 6 mois.
Dr Arouna Louré
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