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Justice : « Il est plus facile au Burkina de juger et condamner quelqu’un à perpétuité pour des crimes politiques que pour des crimes économiques », Dr Daouda Zouré de la BAD

Les crimes économiques touchent à la corruption, au blanchiment d’argent, et à l’enrichissement illicite. Ce fléau à la peau dure au Burkina Faso. Des dossiers pendants sont classés dans des tiroirs. Et pour cause, le système judiciaire est souvent lié au politique. Pourtant, le crime économique a un impact négatif sur la croissance du développement du pays, à long terme. Dans une interview accordée lundi 17 octobre 2022, à Lefaso.net, Dr Daouda Zouré, ancien économiste à la Banque africaine de développement, recommande un nouveau système de gouvernance pour y faire face.

Lefaso.net Que doit-on entendre par crime économique ?

Dr Daouda Zouré : On peut définir le crime économique comme étant des détournements de fonds qui ont un impact sur la vie des citoyens.

Quels sont les effets néfastes de cette criminalité sur l’économie nationale et sur les individus ?

Par exemple lorsqu’on détourne 50 ou 100 millions de francs CFA destinés à la construction de salles de classes, c’est au moins 1000 enfants qui sont privés d’école. Cela aura des répercussions sur leur avenir. Ils n’auront pas d’emplois et leurs descendances vont également rester dans la pauvreté. Lorsqu’il s’agira de faire face à une ordonnance, ces enfants vont mourir à l’âge prématuré.

Comme les détournements se chiffrent à des milliards, l’impact est plus élevé. Le crime économique a également un impact dans le développement économique du pays dans la mesure où lorsqu’un enfant ne part pas à l’école, vous diminuez votre stock de capital humain. C’est le capital humain qui favorise un développement économique à long terme. En résumé, le crime économique est plus grave que le crime politique.

Quelles sont les différentes formes de crimes économiques qui existent au Burkina Faso ?

Dans notre pays, on a le détournement dans la réalisation des marchés publics, et au niveau du budget de l’État. Lorsque les parlementaires adoptent la loi de finance, et par la suite ils tournent le dos à la loi de règlement, c’est irresponsable, dans la logique où c’est à travers la loi de règlement que l’exécution du budget doit se faire. Dans le rapport de la Cour des comptes sur la loi de règlement 2016, il apparaît plusieurs irrégularités dans les recouvrements des créances des recettes extraordinaires non imputées ou des recettes recouvrées sans que des titres le constatent. C’est ce qu’on appelle la mauvaise gestion budgétaire qui favorise les détournements crus. Cet argent pouvait servir dans le système éducatif, la santé ou encore pour la réalisation d’infrastructures. Il faut qu’on se réveille pour mettre en place un nouveau système de gouvernance, parce que le système actuel permet de voler.

Est-ce des dossiers qui sont fréquemment réglés par la voie judiciaire ?

Que ce soit à la Cour des comptes ou toute autre structure, on voit plein de dossiers qui passent mais qui sont classés sans suite à cause du système judiciaire qui est le plus souvent lié au politique. Il est plus facile de juger et condamner quelqu’un à perpétuité pour des crimes politiques que des crimes économiques. Le système judiciaire favorise une minorité au détriment de la majorité. Comme nous sommes tous victimes du crime économique

Est-ce que l’État est le seul acteur de ces pratiques ?

L’État est le seul acteur du crime économique dans la mesure où il est le principal agent économique à travers les responsables politico-administratifs.

Est-ce que les sanctions ne comportent pas des carences ?

Cela est une triste réalité. Les modalités actuelles d’intervention ne sont pas de nature à garantir la qualité du dispositif du contrôle sur les dépenses publiques. En effet, l’un des problèmes majeurs du contrôle est l’impunité qu’encourent les gestionnaires de crédits indélicats au mépris des textes existants. Cela résulte de la défaillance du contrôle externe dû à l’absence d’un contrôle de gestion des comptes et un organe indépendant comme la Cour des comptes.

Elle est également favorisée par les carences du système judiciaire lié au politique dans le cadre de la lutte contre la corruption. A cet égard, plusieurs pays y compris le Burkina Faso, ont mis en place des organismes spécifiques de lutte contre la corruption et des comités de lutte. D’une part, ces juridictions ne sont pas répressives et d’autre part, leurs délibérations sont classées sans suite. Parce qu’il y a une immixtion du politique dans les affaires économiques. De ce fait, il faut des acteurs non étatiques pour prendre des dispositions techniques pour sécuriser les finances publiques, les dépenses ainsi que les recettes.

Selon vous, quelles sont les solutions endogènes pour lutter contre le crime économique ?

Huit exigences ont été éditées pour mieux contrôler le service public. Il s’agit entre autres de : l’existence d’un cadre juridique approprié et efficace ; l’indépendance des auditeurs des structures politiques et administratives y compris l’inamovibilité et l’immunité dans l’exercice normal de leur fonction ; l’accès sans restriction à l’information ; le droit et l’obligation de faire des rapports ; la liberté de décider du contenu et de la date des rapports de contrôle de les publier et de les diffuser ; et l’existence de mécanismes suffisamment efficaces de suivi des recommandations.

Au Burkina Faso, il y a une pléthore d’institutions de contrôles (l’ASCE, la Cour de comptes, les inspections de contrôle etc.). Est-ce que cela ne joue pas sur l’efficacité du contrôle ?

Cette pléthore d’audit joue sur l’efficacité du contrôle au Burkina Faso mais aussi dans la sous-région. C’est l’une des faiblesses même du contrôle. Comme stipulé dans la déclaration de Lima, cette fonction de l’audit est établie par la loi et la constitution. Ainsi l’indépendance de l’audit repose de prime abord sur la constitution ou la loi. Donc, par définition, un pays ne peut avoir qu’une institution responsable de l’indépendance de l’audit. Au Burkina Faso, certaines personnes pensent que c’est l’ASCE qui fait le contrôle d’audit. Mais en réalité, c’est la Cour des comptes qui est l’organe habilité. On peut poursuivre les parlementaires pour cela parce qu’ils violent la constitution financière. La directive 01 sur la transparence invite chaque pays à mettre en place des Cours des comptes pour assister le parlement dans sa mission. Toutefois, cela n’est pas appliqué.

Peut-on faire un lien entre crime économique et terrorisme ?

Le lien est très évident en ce qui concerne principalement le Burkina Faso. Le crime économique laisse en marge une grande partie de la population dans l’ignorance et la pauvreté. Quelqu’un qui est ignorant n’a plus rien à perdre dans la vie. Cette personne est dangereuse pour elle-même mais aussi pour la société. C’est pourquoi, il faut combattre le crime économique dans toute sa dimension. Il faut une répartition adéquate des ressources et une bonne gouvernance.

Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé
Lefaso.net

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