Face à la pression anthropique et l’impact du changement climatique sur les ressources naturelles, forestières, les populations des villages de Kapori, Yaro et Bourou, dans la province du Nahouri, région du Centre-Sud, s’organisent pour créer et gérer des forêts communautaires. Tour d’horizon sur des initiatives locales d’atténuation et d’adaptation aux effets du changement climatique.
L’enseignant-chercheur en sociologie, Dr Alexis Kaboré : « Si l’on ferme les yeux sur les aires conservées par les communautés, les aires protégées de l’Etat seront en danger ».
Kapori est un village situé à environ 170 km de Ouagadougou, dans la province du Nahouri, région du Centre-Sud, à la frontière entre le Burkina et le Ghana. Que sait sa population de la COP2, la Conférence des parties sur le climat, qui se tient à Sharm el-Cheikh, en Egypte, du 6 au 18 novembre 2022 ? Rien, ou du moins pas grand-chose ! Pourtant, Kapori est porteur d’une initiative locale qui contribue à l’atteinte de l’objectif de l’Accord de Paris de 2015 qui est de limiter le réchauffement climatique à un niveau inférieur à 2°C, de préférence à 1,5°C. En effet, depuis des années, face à la perte continue des ressources naturelles, ses habitants s’organisent pour assurer une gestion durable d’une forêt naturelle de 50 hectares. Kapokier, karité, pruniers, tamariniers, épineux et bien d’autres espèces végétales se disputent l’espace dans ce massif forestier communautaire. Il est le biotope des singes, des biches, des lièvres, des porcs-épics, perdrix, des tourterelles, des pintades sauvages…
« Les éléphants n’y vivent pas mais ils y transitent de temps en temps », explique notre guide, Safiana Aminetieba. Un air frais et épais, mêlé d’un cocktail de senteurs naturelles circule dans cette forêt. La verdure est captivante ; feuillages, branchettes, herbes bougent au rythme du souffle du vent. Les oiseaux de divers plumages, volent allégrement de branche en branche, piaillent, offrant un concert de chants composites, mêlés aux cris des insectes. La symbiose des éléments physiques et biologiques de la nature s’y exprime, se laisse apprécier. Dame nature semble avoir retrouvé la quiétude dont elle a besoin pour déployer son potentiel floristique et faunistique, sans intrusion humaine. « Plus en profondeur, la végétation est plus dense », fait savoir M. Aminetieba. Soudain, il lance un cri, en réponse à un autre venu de l’autre bout de la forêt. « C’est ainsi que nous communiquons pour indiquer notre position dans la forêt », rassure-t-il. Il y a quelques années, cette végétation naturelle luxuriante était constituée en partie de champs. Elle a été mise en défens, après que les propriétaires y ont renoncé au profit de la constitution d’un patrimoine forestier commun, explique le président du comité chargé de sa surveillance, Avioukioubou Adionguimicho.
Les délibérations sur la gestion durable de la forêt villageoise de Kapori incombent au comité de veille.
« Un jour, le conseiller municipal du village nous a informés qu’il y a une loi du gouvernement qui demande à chaque village de créer et de gérer durablement une forêt », poursuit-il. Cette information a été portée à la connaissance du chef du village. Après concertation avec le chef de terre, les deux notabilités donnent leur quitus pour la délimitation de la forêt de Kapori et la définition des modalités de sa gestion communautaire. « Nous avons réuni la population, lui avons expliqué ce qui est permis et interdit dans la forêt. Elle a adhéré et s’est engagée à la protéger, nuit et jour », explique le chef de Kapori. La coupe du bois vert, les feux de brousse, la construction d’habitats, le pâturage y sont formellement interdits. Par contre, le ramassage du bois mort, la cueillette des produits forestiers non ligneux murs sont autorisés. Pour tout besoin en plantes médicinales, une demande express au comité est nécessaire.
« Eviter le sort des régions désertiques »
Les requérants étrangers au village ne peuvent accéder à la forêt sans se faire accompagner par un membre du comité. Pour veiller au respect de ces prescriptions, le comité y mène, de façon rotative, des patrouilles. Mais malgré cette vigie, les incidents ne manquent pas. En 2018, un incendie s’est déclenché dans la forêt aux environs de 23 heures. Le village s’est mobilisé pour éteindre les flammes et circonscrire le drame écologique. Tout comme Kapori, les villages de Yaro et Bourou sont également engagés dans la dynamique de gestion durable de leurs ressources forestières. Ils disposent aussi de forêts villageoises naturelles. Celle de Yaro couvre une superficie de six hectares, contre quinze hectares pour celle de Bourou. Ces massifs forestiers constituent des sanctuaires de la biodiversité végétale et animale. « Outre les livres, les serpents, les perdrix, les pintades sauvages ou autres oiseaux, on y trouve un couple d’antilopes ; les éléphants y viennent de temps en temps », témoigne le secrétaire général du comité de veille de la forêt villageoise de Yaro, Apiou Emmanuel Diderkoga. L’organisation pour une gestion durable de ces forêts communautaires est la même : adoption d’un code d’éthique, mise en place d’un comité de veille, des patrouilles pour traquer les éventuels contrevenants. Si la création des forêts villageoises est inscrite dans le code forestier de 2011, les populations du Nahouri semblent avoir pris conscience de leur vulnérabilité et la pleine mesure que leur survie et leur adaptation au changement climatique sont étroitement liées au maintien des capacités productives des ressources forestières. « Avant, nous avions des terres cultivables riches et abondantes.
Mais de plus en plus, les terres agricoles et les ressources naturelles se dégradent sous la pression démographique et le changement climatique. De nombreuses espèces sont en voie de disparition ; les jeunes ne connaissent certaines que de nom. Déjà, il y a des plantes médicinales qui n’existent que dans la forêt. Nous nous sommes dit que si nous ne protégeons pas cette forêt naturelle, nous risquons de tout perdre », argumente M. Diderkoga. La menace est réelle, reconnait le chef du village de Bourou. Si la province du Nahouri connait moins de problèmes de pluviométrie, comparative-ment à certaines parties du pays, cela est dû au fait qu’elle est encore assez boisée. « Mais la donne est en train de changer. La preuve, nous avons connu un début de saison difficile cette année », fait-il remarquer. Il y a lieu, insiste le notable, d’anticiper pour ne pas subir le même sort que les régions désertiques du pays. Pour le président de l’Association inter-villageoise pour la gestion des ressources naturelles dans les communes de Pô et Guiaro, Awé Yakari, il faut agir vite pour sauver les ressources forestières. Car, elles sont source de résilience alimentaire et de revenus pour les populations.
« Une bataille pour la survie »
Le directeur provincial de l’environnement du Nahouri, Jean Bosco Zongo : « La meilleure protection des forêts est celle assurée par les populations elles-mêmes ».
Kapio Rosalie Yanin, agricultrice à Yaro, ne fait pas mystère sur ce que les Produits forestiers non ligneux (PFNL) lui rapportent comme ressources alternatives. « La forêt est d’un intérêt pour nous, nous y ramassons du bois mort pour la cuisine, cueillons des produits comme le karité, le néré, le tamarin, le raisin, que nous consommons, transformons et vendons », relate-t-elle. En fonction des saisons, dame Rosalie ramasse chaque année au moins cinq sacs de 120 kg de noix de karité qu’elle vend à 35 000 F CFA le sac. Contrairement aux agents des Eaux et Forêts qui sont des « serviteurs passagers » de l’administration publique, l’engagement des communautés de base pour la préservation des ressources forestières est une question existentielle, soutient le président Yakari. « Nous sommes nés ici, nous vivons des ressources forestières.
Leur protection est une bataille pour notre survie », martèle-t-il. Mais aussi pour les générations futures. « Nous ne voulons pas que nos enfants nous accusent d’avoir détruit toutes les ressources naturelles, de leur avoir rien légué », insiste M. Yakari. Cet enjeu bien perçu a amené, ajoute-t-il, nombre de villageois à s’impliquer activement dans les actions de protection des forêts. Mme Yanin est de ces défenseurs bénévoles de l’environnement. Elle participe aux côtés des hommes à la surveillance de la forêt villageoise de Yaro. Malgré ce volontarisme, les difficultés ne manquent pas. « Nous faisons des patrouilles dans la forêt avec des sandales, sans chaussures appropriées. Cela nous expose aux reptiles, à d’autres risques. Il nous manque aussi des machettes », souligne-t-elle. Elle est surtout outrée de voir certaines femmes violer les règles établies pour y récolter des fruits non mûrs. Ces pratiques constituent une menace pour la pérennité des ressources forestières, ajoute Mme Yanin. Au ministère en charge de l’environnement, on est convaincu que l’engagement communautaire dans la préservation des ressources naturelles constitue un moyen efficace pour la sauvegarde de l’environnement.
« La meilleure protection des forêts est celle assurée par les populations elles-mêmes, qui prennent conscience de la nécessité de les préserver, et non celle émanant de l’administration forestière », avoue le directeur provincial de l’environnement du Nahouri, Jean Bosco Zongo. Cette auto-gestion des forêts communautaires est salutaire, d’autant plus qu’elle s’opère dans des localités environnantes de la deuxième plus grande réserve écologique du pays : le complexe écologique PONANSI, estime le sociologue, Dr Alexis Kaboré, enseignant-chercheur spécialiste en gestion de l’environnement et des ressources naturelles. Car, ces initiatives locales permettent de réduire « significativement » la pression que les populations exercent sur cette importante aire protégée. « Si l’on ferme les yeux sur les aires conservées par les communautés, les aires protégées de l’Etat seront en danger », prévient Dr Kaboré.
Mahamadi SEBOGO
Windmad76@gmail.com
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