Economie

Exclusion du Burkina de l’AGOA : « L’impact économique n’est pas extraordinaire », estime Pr Ousseni Illy

Les États-Unis ont suspendu les avantages commerciaux octroyés au Burkina Faso dans le cadre de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), après deux coups d’État militaires en l’espace de moins de neuf mois (23 janvier et 30 sept 2022). Cette mesure prend effet à partir du 1er janvier 2023. Pour Washington, la démocratie est la seule voie de gouvernance. Il appartient ainsi au Burkina Faso, s’il veut bénéficier de ce type de programme, de travailler à consolider le processus démocratique et à y rester. Dans une interview accordée à lefaso.net, Pr Ousseni Illy, enseignant-chercheur en droit monétaire et financier international, s’est prononcé sur ce sujet qui anime les causeries depuis quelques jours.

Lefaso.net : Pour un profane, qu’est-ce que l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) ?

Pr Ousseni Illy, enseignant à l’université Thomas Sankara : L’AGOA, c’est la Loi sur les opportunités de croissance en Afrique. Souvent, j’entends dans les médias que c’est un accord. Ce n’est pas un accord mais une loi américaine adoptée en 2000 par le congrès des États-Unis sous le président Bill Clinton et qui vise à faciliter les exportations africaines vers les États-Unis.

Cette loi répond à un changement de paradigme au niveau des États-Unis à cette époque où les dirigeants ont pensé, plutôt que de donner de l’aide aux pays africains, il faut les appuyer dans leur commerce. Parce que cela est beaucoup plus durable que l’aide. C’est ce qui a milité à la mise en place de cette loi qui permet concrètement aux pays africains éligibles de pouvoir exporter leurs produits aux États-Unis hors douanes. Ce qui les rend en principe plus compétitifs par rapport à d’autres pays.

Quelle appréciation faites-vous de la sanction infligée au Burkina Faso par les États-Unis ?

En réalité c’est une sanction qui est automatique même si lors du premier coup d’État, on avait bénéficié d’une certaine magnanimité. Pour bénéficier de l’AGOA, il y a un certain nombre de conditions qui sont définies par la partie américaine. Parmi ces conditions, il y a la démocratie. Ce qui veut dire que tout pays qui est considéré par les États-Unis comme non démocratique ne peut pas bénéficier de l’AGOA. Et comme vous le savez, notre pays est à son deuxième coup d’État.

Lorsqu’un coup d’État intervient, ça interrompt le processus démocratique. Automatiquement, le pays est exclu. C’est pour cela que des pays comme le Mali, la Guinée ont été exclus. Comme je le disais tantôt, lors du premier coup d’État, les États-Unis avaient peut-être estimé que ça ne valait pas encore la peine de suspendre le Burkina Faso. Mais, avec ce deuxième coup d’État, ils ont considéré que le pays n’était plus sur la voie de la démocratie. Donc, il fallait le suspendre.

Cette sanction a-t-elle des bases légales ?

Oui, puisque la loi américaine fixe les conditions pour bénéficier de l’AGOA. Il peut avoir d’autres considérations juridiques au niveau de l’OMC qui estime que les pays développés ne doivent pas entretenir des discriminations entre pays en développement lorsqu’ils leurs accordent des avantages. Mais, je pense que ça sera un peu plus compliqué à ce niveau.

A votre avis, quel est l’objectif recherché par la prise de cette sanction ?

Lorsque les États-Unis excluent un pays de l’AGOA, c’est pour ramener le pays vers le processus démocratique ou le respect des droits de l’homme. Il y a des pays qui ont été exclus et qui ont été réintégrés par la suite. Le jour où on fera des élections ou bien le jour où le pays donnera plus de gages aux yeux des États-Unis qu’il est sur le chemin de la démocratie, ils vont le réintégrer. Le but de cette suspension, c’est véritablement de forcer le pays à retourner vers le chemin de la démocratie. On peut ne pas aimer ou être d’accord mais c’est la vision américaine des choses.

Elle aura sans doute des conséquences sur notre économie. Est-ce que vous pouvez vous prononcer sur la question ?

Cette sanction a des conséquences. La première étant économique. Puisqu’il y a des exportations burkinabè qui vont vers les États-Unis et qui bénéficiaient de ces avantages. Naturellement, ces exportations seront impactées parce qu’elles ne pourront plus entrer aux États-Unis sans droit de douane. Je vois que ça affole les gens mais globalement l’impact économique n’est pas extraordinaire, parce que les exportations burkinabè vers les États-Unis ne sont pas si importantes à plus forte raison, les exportations qui bénéficient de l’AGOA.

Quand vous regardez les chiffres des dernières années, nos exportations totales vers les États-Unis, c’est autour de 3 à 4 milliards de francs CFA. Sur ces exportations, celles qui ont bénéficié de l’AGOA, c’est autour de 1 milliard de francs CFA maximum. Mais, il faut noter que les entreprises dont les exportations sont essentiellement faites sur la base de l’AGOA notamment les entreprises qui évoluent dans la transformation d’anacarde, du sésame et bien d’autres produits agricoles vont sentir l’impact de cette sanction. Même si l’impact n’est pas important au plan économique, il a un coup sur l’image de notre pays. Puisque dans tous les médias, on chante le nom du Burkina Faso ces dernières 24 heures. Cela peut avoir des répercussions sur l’attractivité du pays qui n’était déjà pas très reluisante.

Quel pourrait être « le plan B » du Burkina Faso pour y faire face ?

Pour l’instant, les États-Unis n’ont pas dit quand est-ce qu’ils vont nous réintégrer. Mais c’est un peu comme le Millennium Challenge Account Burkina Faso qui a été suspendu sous le premier coup d’État et cela est encore beaucoup plus important. Ça fait plus de 200 milliards de francs CFA. C’est le jour où le Burkina Faso reviendra à la démocratie que les États-Unis discuteront les conditions de sa réintégration. Par conséquent, notre pays n’a pas quelque chose de spécial à faire sauf travailler au retour de la démocratie. A ce propos, il y a un calendrier qui a été défini. Si au bout des 21 mois, on donne des gages que le pays est sur le chemin du retour à la démocratie, les autorités américaines apprécieront et décideront de réintégrer ou pas le pays. Mais en attendant cette éventuelle réintégration, le pays peut travailler peut-être à réorienter les exportations impactées vers d’autres destinations.

A vous écouter, les États-Unis peuvent refuser de réintégrer le Burkina Faso dans l’AGOA ?

Comme je le disais tantôt, c’est une loi unilatérale américaine. Les États-Unis sont souverains dans l’application de cette loi. Donc, ce sont eux qui décident en dernier ressort quel pays va bénéficier et quel autre pays ne va pas bénéficier. Mais si vous êtes un pays qui respecte les standards de l’Etat de droit, à priori, à moins qu’il y’ait d’autres raisons, vous bénéficiez de l’AGOA.

Face à cette sanction, quel pourrait être le rôle des nouvelles autorités ?

Les autorités n’ont pas, où elles ne peuvent pas faire grand-chose. Puisqu’on a un calendrier de retour à la démocratie qui est fixé en 2024. Ce calendrier a été décidé de commun accord avec la CEDEAO. Est-ce que parce que le pays a été suspendu de l’AGOA qu’il faut organiser les élections avant la date prévue ? Je ne pense pas. Il appartient aux nouvelles autorités de travailler à respecter ce calendrier. Mais peut-être ce qui peut être fait, c’est de travailler à combler les pertes sur le plan économique même si elles sont modestes. Il s’agira par exemple comme je l’ai souligné tantôt d’essayer de trouver d’autres destinations pour les produits qui seront impactés ou bien travailler à les rendre plus compétitifs malgré les taxes qui seront désormais imposées.

Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé
Lefaso.net

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