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Greniers à grains de Borodougou : Un patrimoine culturel en quête de reconnaissance nationale

Le village de Borodougou, dans la région des Hauts-Bassins, regorge d’un riche patrimoine culturel qui date des siècles : les greniers à grains construits en terre crue aux flancs des falaises, de forme rectangulaire, carrée ou cylindrique qui bordent le village. Malheureusement, ils ne sont pas reconnus sur le plan national bien qu’ils résistent au temps et contiennent un pan de l’histoire de Borodougou.

Les champs de maïs et de mil à maturité s’étendent à perte de vue. Le ciel est dégagé. Il n’y a pas de pluie à l’horizon. La saison pluvieuse a pris sa retraite. Femmes et hommes vaquent à leurs occupations. Des enfants déambulent et accourent de partout.

Nous sommes dans le village de Borodougou, à environ 16 kilomètres (km) de la ville de Bobo-Dioulasso, dans la région des Hauts-Bassins. En cette matinée du jeudi 6 octobre 2022, la bourgade est animée.

De loin, l’on aperçoit ce qui fait sa particularité : les falaises aux flancs desquelles se nichent de multitudes constructions de formes rectangulaires, carrées et cylindriques. Ce sont les greniers à grains, un riche patrimoine culturel, archéologique et géomorphologique qui résistent au temps.

Les greniers à grains ont été méticuleusement construits aux flancs de la falaise.

Selon des sources historiques, ils ont été construits en terre crue (argile plus foin du fonio) par les populations au niveau des falaises ayant servi de refuges aux populations lors de la pénétration coloniale.

Des endroits du site présentent des abris naturels où les vestiges ont été construits et bien conservés car cachés et protégés par des corniches formées par la falaise. Les habitants pratiquent toujours des activités coutumières au niveau de ces greniers. Pour y accéder, il faut emprunter une piste serpentée d’une longueur de deux km, séparant le village des falaises. Elle est bordée de part et d’autre d’eucalyptus, de neems et aussi, d’herbes servant de pâturage aux ânes, chèvres et moutons, en cette période de fin de saison pluvieuse

Le chef du village, Bakary Sanou, soutient que les greniers à grains constituent le patrimoine du village et de la nation burkinabè toute entière.

Des ruisseaux, çà et là, se présentant comme des lignes de démarcation entre les falaises et le centre de Borodougou, entrecoupent la piste.

Un milieu hostile

Seuls les initiés peuvent les traverser sans fournir d’effort physique. Une femme, habillée d’un tee-shirt rouge avec un enfant au dos et un plat sur la tête, remonte une pente après un ruisseau.

Nous avançons à pas de caméléon, essoufflés, en direction des greniers à grains. Premier obstacle, un abysse issu de l’exploitation de la carrière de sable de Borodougou.

Le village de Borodougou, originellement, Gogodougou, une des localités de la commune de Bobo-Dioulasso, fascine par les falaises qui l’entourent.

Seconde contrainte, un monticule caillouteux avant d’atteindre notre cible : les greniers historiques. Chemin faisant, le président du Comité villageois de développement (CVD) de Borodougou, Dia Sanou, autorisé par le chef du village, Bakary Sanou, à nous y conduire, nous informe de la présence de gros serpents sacrés dans les falaises, mais qui seraient inoffensifs face aux honnêtes gens.

Enfin, notre longue et pénible marche s’achève aux pieds des falaises. Les greniers à grains, juchés en hauteur, se révèlent inaccessibles à première vue. Nous montons avec pénibilité et habileté au sommet d’une des falaises à près de 200 km du sol.

Là, des greniers qui retracent toute une histoire du vécu des hommes d’une certaine époque et englobent un pan archéologique et géomorphologique qui peut intéresser historiens et géographes ainsi que bien d’autres chercheurs de la nature.

Il existe des greniers à grains sacrés sur lesquels se font toujours des rites sacrificiels, interdits d’accès aux non-initiés et aux femmes, même aux originaires du village, confie le président du CVD.

« Votre reportage va, à n’en point douter, contribuer à donner de la visibilité à notre village et ses greniers historiques », s’exclame-t-il.

Auparavant, avant l’ascension des falaises pour toucher du doigt les réalités existentielles, le chef du village, la soixantaine révolue, nous accueille avec joie dans son palais et nous conte le passé des greniers à grains.

C’est dans cet intérieur des greniers à grains qu’étaient conservées les différentes céréales.

C’est une maison construite naturellement avec des matériaux locaux, selon une architecture traditionnelle. Un salon reçoit les visiteurs. Des chambres aboutissent à l’extérieur par des sorties. Très ouvert et enthousiaste, le « souverain » s’exprime en dioula, l’une des langues locales pour manifester son attachement, dit-il, aux valeurs africaines.

Nos ancêtres ont vécu sur ces falaises avant de rejoindre, par la suite, la terre ferme en raison du nombre d’habitants devenu important au fil du temps et de la pratique des activités économiques (agriculture et élevage), relate-t-il. Le mil, le maïs, le fonio, le sorgho, l’arachide, chacun dans son grenier, était conservé après les récoltes, ajoute-t-il.

Un serpent comme gardien des greniers

« Si un voleur s’hasardait dans ces falaises à s’emparer des spéculations, il se perdait à cause d’un serpent qui obstruait la sortie », raconte le patriarche Bakary Sanou.

Depuis la nuit des temps jusqu’à nos jours, les coutumiers de Borodougou continuent d’immoler poulets, moutons, chèvres et chiens sur le site des greniers à grains pour honorer leurs ancêtres et chercher protection auprès d’eux.

« Chacune des cinq familles qui composaient le village possédait ses propres greniers à grains dans lesquels un enfant était choisi pour y prélever des céréales », raconte-t-il.

Le chef du village se souvient, à ce propos, du moment où il a vécu aux côtés de ses parents dans les falaises. Enfant, il était chargé par la famille d’être le préleveur de céréales dans les greniers à grains.

« Quand mon papa me dit de descendre dans les greniers, j’éprouvais une peur bleue vu qu’il y avait un serpent. Il me rassure en conséquence que le reptile ne me fera rien », se remémore-t-il, dans un large sourire.

Les greniers à grains étaient tellement protégés qu’un jour, un voleur d’une autre contrée a perdu le chemin en voulant dérober des céréales, aux dires de Bakary Sanou. Pour le délivrer, explique-t-il, le malfrat a reçu un coup de fessée libérateur.

Les greniers à grains méritent une attention particulière à Borodougou selon son chef. C’est un site sacré qui a besoin d’une promotion au niveau national. Le premier responsable de Borodougou a toutefois mis des garde-fous pour sa valorisation.

Le directeur régional en charge de la culture des Hauts-Bassins, Siaka Sanou : « il faut inscrire les greniers à grains sur la liste du patrimoine culturel de l’UNESCO ».

Il suggère que l’État protège d’abord la sacralité de certains endroits de sacrifice. En attendant cette reconnaissance nationale, les greniers à grains de Borodougou défient le temps.

Malheureusement, comme bon nombre de constructions historiques qui ont vu le jour au Burkina Faso, aucun recensement des greniers à grains n’a encore abouti à leur classement comme patrimoine national.

Et pourtant, ils sont dans un état de dégradation continuelle en raison du changement climatique, des phénomènes physico-naturels et surtout de l’exploitation artisanale des carrières de sable du village. Les greniers à grains de Borodougou sont donc en passe de disparaître sous la pression naturelle et anthropique.

Et si rien n’est fait pour les préserver de leurs contempteurs, leurs jours sont comptés, déplore le chef du village.

Un site méconnu

Le site est méconnu du public par manque de communication ; or ces greniers sont authentiques par datation. Ils ont été construits sous des falaises avec des matériaux locaux, soutient le directeur régional de la culture, des arts et du tourisme des Hauts-Bassins, Siaka Sanou.

« Il n’y a pas un guide professionnel sur le site à cause de sa sacralité et c’est ce que nous rencontrons comme difficulté majeure. Ce sont des guides locaux qui sont désignés, les endroits sacrés étant pour la plupart du temps inaccessibles », regrette-t-il.

Le directeur régional de l’Ouest de l’ONTB, Mady Zongo : « il va s’agir de mettre en tourisme les greniers à grains pour donner un nouveau visage au tourisme dans les Hauts-Bassins ».

Les carrières de sable de Borodougou, à vue d’œil, constituent une véritable menace pour les greniers à grains. Pour le moment, le constat fait ressortir une certaine distance entre le site et les carrières ; mais si l’on n’y prend garde, comme le fait remarquer le directeur régional en charge de la culture des Hauts-Bassins, les greniers à grains seront affectés et vont perdre de leur valeur et de leur authenticité.

Les sites d’exploitation de sable ont toujours été une préoccupation qui menace les greniers à grains, renchérit le directeur régional de l’Ouest de l’Office national du tourisme burkinabè (ONTB), Mady Zongo.

Selon ses confidences, le Conseil régional des Hauts-Bassins avait même soulevé le problème à travers un projet dénommé « Kouroukofè », (Ndlr, derrière la colline en langue française) qui concerne les falaises de Borodougou.

Le directeur régional en charge de la culture des Hauts-Bassins, explique, par contre, que du point de vue culturel, les greniers à grains de Borodougou sont véritablement un attrait pour la région des Hauts-Bassins.

« Il y a des procédures pour inventorier et inclure ces greniers sur la liste du patrimoine culturel national. Le dossier suit son cours avec un inventaire élaboré et des données en attente d’être validées. De concert avec l’ONTB, nous envisageons mettre au point des circuits touristiques dans la dynamique de valoriser ce potentiel », assure-t-il.

L’autre urgence pour Siaka Sanou est de travailler à inscrire les greniers à grains sur la liste du patrimoine culturel de l’Organisation des Nations unies pour la science, l’éducation et la culture (UNESCO).

Car, ces greniers sont entièrement bâtis avec de la terre naturelle et c’est ce qui est recherché par l’UNESCO. Selon la Convention 2003 de cette institution spécialisée de l’Organisation internationale des Nations unies (ONU), il y a des dispositions pour la conservation de ces aspects immatériels du patrimoine avec le soutien de la communauté.

L’adjointe en gestion du patrimoine culturel, Marcelline Ilboudo, propose la construction d’un musée dans le village pour perpétuer la mémoire des greniers à grains.

« Nous allons saisir les services compétents pour sécuriser la zone abritant les greniers à grains. Il faut aussi sensibiliser la communauté de Borodougou à l’importance du patrimoine qu’elle détient. Enfin, c’est tout ce mystère qui entoure ces greniers qu’il faut d’ailleurs chercher à préserver avec l’adhésion des villageois, sinon ils deviendront des coquilles vides », prévient-il.

Autoriser la visite des lieux sacrés

Siaka Sanou se convainc qu’il faut aussi expliquer aux populations le bien-fondé des visites touristiques pour qu’elles laissent les visiteurs venir aux lieux sacrés. Dans ce combat pour la réhabilitation des greniers à grains de Borodougou, l’ONTB et la direction générale de la valorisation des sites touristiques doivent se mobiliser pour implanter des panneaux d’indications en vue d’éclairer les touristes, foi du directeur régional en charge de la culture des Hauts-Bassins.

La direction régionale de l’Ouest de l’ONTB couvre quatre régions administratives  à savoir les Hauts-Bassins, les Cascades, la Boucle du Mouhoun et le Sud-Ouest. Les statistiques de l’ONTB montrent qu’environ 200 sites touristiques majeurs ont été répertoriés dans les Hauts-Bassins par la direction générale de la valorisation et des aménagements touristiques.

Environ 60 000 touristes ont visité la région en 2020 pour deux milliards F CFA de recettes, selon les données de l’Observatoire national du tourisme burkinabè. Les falaises constituées de gravures rupestres et des greniers à grains de Borodougou, affirme le directeur régional de l’ONTB de l’Ouest, ont été recensées dans le répertoire des sites touristiques au Burkina Faso.

En ce qui concerne les greniers à grains de Borodougou, il n’y a pas encore d’actions spécifiques de la part de l’ONTB. Mais, le premier responsable régional de l’ONTB, pour les perspectives de valorisation de ce patrimoine, dit compter sur les similarités avec le village troglodyte de Niansogoni dans les Cascades qui fait déjà l’objet de visites touristiques officielles.

L’assistant des affaires culturelles, Laurent Yaméogo : « la commune de Bobo, l’administration culturelle et la communauté coutumière de Borodougou doivent se donner la main pour sauver les greniers à grains ».

«Nous envisageons faire autant pour le village de Borodougou qui présente des opportunités, surtout sa proximité avec la ville de Bobo-Dioulasso et son positionnement sur la Route nationale 1 (RN1). Il va s’agir de mettre en tourisme, particulièrement les greniers à grains pour donner un nouveau visage au tourisme dans les Hauts-Bassins », clame-t-il.

L’expérience a montré que les sites situés à la périphérie des grandes villes sont beaucoup plus aptes à être valorisés et visités par les populations, de l’avis de Mady Zongo. Si, effectivement, on arrivait à mener des actions de valorisation et de promotion qu’il faut, c’est un site qui va connaître un engouement auprès des visiteurs, de son point de vue.

« Mes prédécesseurs y avaient effectué une visite pour constater l’existence des greniers à grains. Mais, il faut d’abord une prise de conscience pour valoriser cette richesse. Cela doit passer nécessairement par des étapes que le ministère en charge de la culture a décrites », note-t-il.

D’abord, il faut, ajoute-t-il, les inventorier pour les détacher sur le plan administratif, des falaises puis procéder à leur classement en fonction des types de sites (naturels, mixtes et culturels).

La forme cylindrique des greniers à grains sont également légion au niveau des falaises.

Enfin, fait-il savoir, il faut protéger le site par des instruments juridiques avec la formation des guides, l’implantation des réceptifs (banquettes, maisons) pour créer des emplois pour, entre autres, les artistes et artisans.

De telles conditions sont, pour Mady Zongo, des balises pour faire du site des greniers à grains de Borodougou, un endroit qui peut faire l’objet de travaux archéologiques, en d’autres termes, du tourisme scientifique.

« Il faut inscrire dans le patrimoine national le site en tant que majeur avec des aménagements, l’insérer dans les supports de communication de l’ONTB, impliquer les collectivités pour des questions d’aménagements, les populations pour préserver le site et nouer des partenariats gagnant-gagnant », propose-t-il.

Les greniers à grains présentent souvent des formes rectangulaires.

L’assistant des affaires culturelles, Laurent Yaméogo, lui, se désole du fait que ce site patrimonial soit menacé et risque de disparaître. Il recommande que la commune de Bobo-Dioulasso, l’administration culturelle et la communauté coutumière de Borodougou se donnent la main pour sauver les greniers à grains de Borodougou.

« C’est un site historique pour les jeunes générations. Il est impérieux qu’on aide à le sauvegarder avant qu’il ne soit trop tard », avise-t-il.

La sensibilisation des habitants de Borodougou à la préservation des greniers à grains et la création d’un musée pour les abriter, sont indispensables, suggère, pour sa part, l’adjointe en gestion du patrimoine culturel, Marcelline Ilboudo.

Boukary BONKOUNGOU

Gogodougou au lieu de Borodougou ou Bonadougou : l’origine d’un nom

Le village de Borodougou encore orthographié Bonadougou est l’appellation du « colon blanc » sinon la dénomination originelle est Gogodougou, du nom d’un chasseur dozo, Gogo.

Redoutable, habile et intrépide chasseur, originaire d’une autre localité, il s’y est installé pour pratiquer ses activités de chasse.

Il a ainsi aimé la localité et s’y est implanté définitivement. Aujourd’hui, chaque année, des coutumes sont faites pour garantir la paix dans le village au profit de près de 1 800 âmes composées de Bobo, de Mossis, de Peuhls, etc.

La culture du mil, du maïs et l’élevage des petits ruminants occupent principalement les populations.

B.B
Source : récit du chef du village, Bakary Sanou

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