Site icon BurkinaInfo – Toute l'information du Burkina Faso en temps réel

Une dose de pragmatisme

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est manifestement en train de changer de fusil d’épaule dans son approche en matière de lutte contre le terrorisme. L’institution communautaire, connue pour ses déclarations d’intention et ses discours bien rodés, vient de faire preuve de pragmatisme. Réunis à Abuja au Nigéria, le dimanche 4 décembre 2022, les dirigeants des pays membres de l’organisation ont décidé, entre autres, de la création d’une force d’intervention contre le terrorisme et les coups d’Etat. Cette entité militaire à double mission, dont les contours ne sont pas encore définis, était très attendue, au moment où plusieurs pays de la sous-région sont victimes d’attaques terroristes.

La situation est d’autant plus critique qu’en plus des pays sahéliens comme le Niger, le Burkina Faso et le Mali, les attaques terroristes se sont étendues aux pays côtiers. Le Togo, la Côte d’Ivoire et le Bénin sont particulièrement dans le viseur des groupes armés qui gagnent sans conteste du terrain. Il urge alors de réunir les moyens humains, matériels et financiers nécessaires pour mettre sur pied cette force, en vue de faire face aux menaces sécuritaires. « Les chefs d’Etat ont décidé de ne pas dépendre des financements volontaires, car jusqu’à maintenant, nous avons vu que les financements volontaires ne viennent jamais. Nous allons regarder comment financer la force avec nos propres moyens », a d’ores et déjà expliqué le président de la Commission de la CEDEAO, Omar Alieu Touray. Ce projet, muri depuis des années dans les laboratoires de l’organisation communautaire, tombe à propos.

Des voix s’élèvent depuis des années pour revendiquer des solutions endogènes au combat contre les djihadistes, surtout que les partenariats avec les pays occidentaux sont sujets à polémique. Partenaire privilégié dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest, la France qui vient de mettre un terme à l’opération Barkhane est soupçonnée par une certaine opinion de jouer à un double jeu. Même si l’Hexagone a toujours rejeté les accusations portées contre lui, son image s’est dégradée dans l’espace CEDEAO et au-delà. Au point de susciter une certaine aversion, de nombreuses organisations de la société civile (OSC) demandant sans cesse le départ des troupes françaises de la sous-région. La plupart des OSC concernées déplorent « l’incapacité » de la France, 7e puissance militaire au monde, à prendre le dessus sur les terroristes au Sahel, après près d’une décennie d’engagement au Sahel. Dans un tel contexte de suspicion et de défiance, la création de la force anti-terroriste de la CEDEAO est vue d’un bon œil.

Encore faut-il que cette unité soit opérationnalisée au plus vite, avec une dotation conséquente en hommes, un financement approprié et une bonne coordination, pour jouer efficacement son rôle, au bonheur des populations des pays touchés par le terrorisme. Dieu seul sait combien celles-ci souffrent, de jour comme de nuit, des exactions des « fous de Dieu ». Au Burkina Faso, par exemple, on compte des milliers de morts, de nombreux blessés et plus d’un million et demi de déplacés internes. Si le volet combat contre le terrorisme de la force de la CEDEAO ne souffre pas d’ambiguïté, on s’interroge sur celui portant sur la lutte contre les changements anticonstitutionnels. De plus en plus de putschs sont applaudis par la rue, les citoyens étant vent debout contre la monopolisation du pouvoir par un clan ou la mal gouvernance. Les cas de la Guinée-Conakry et du Burkina Faso où les populations ont déjà salué la prise du pouvoir par l’armée, peuvent être évoqués. Dans ces conditions, on se demande comment la force de la CEDEAO pourra intervenir contre des putschistes, soutenus par les populations. Tout en travaillant à se départir de son statut de syndicat des chefs d’Etat qui lui est attribué à tort ou à raison, l’instution sous-régionale doit œuvrer véritablement à promouvoir une culture de l’alternance au sommet des Etats et de bonne gouvernance dans la gestion des affaires publiques. Tout réside dans le respect des règles qu’on s’impose…

Kader Patrick KARANTAO karantaokader@gmail.com

Comments

comments