Economie

Cryptomonnaies : La CEMAC condamne là où l’UMOA se résigne jusque-là à déconseiller

Dans cette tribune, Gnoari Tankoano et S. Bertille Dembélé estiment qu’il est difficile de prédire l’avenir des cryptomonnaies, tant la tentation dans tous ses sens est grande, tant la course poursuite à ces nouvelles formes de monnaies est grande. D’après eux, à défaut d’une intervention claire, il revient aux différents acteurs et en particulier aux utilisateurs de cette monnaie de faire preuve de prudence dans leur recherche légitime d’un mieux-être.

Les débats liés aux cryptomonnaies relèvent désormais d’un secret de Polichinelle. Ces nouvelles formes de monnaies font l’objet de spéculations de toutes sortes : achat ou vente de ces monnaies, paris sur ces dernières, promesses de rendements élevés, trading, etc. Les cryptomonnaies et crypto-actifs sont généralement définis comme des actifs numériques ou actifs cryptés qui utilisent un réseau informatique et reposent sur une technologie appelée blockchain.

Cette dernière, quant à elle s’entend d’une technologie de registre distribué. Il s’agit d’un système d’échange et de conservation de données de pair à pair (sans intermédiaire) à l’aide d’un registre partagé de l’ensemble des transactions. Alors qu’elles semblaient prometteuses, ces monnaies virtuelles créent des malheureux, voire des sinistrés au point qu’au Burkina Faso, un mécanisme de secours à ces derniers semble de plus en plus sollicité.

Le risque de l’innovation n’a pas encore débouché sur des lendemains prospères et tout porte à croire que l’incertitude va encore perdurer et au pis, se muer en désastre. Deux zones d’intérêts économiques en Afrique nous intéressent en raison de leur position ambivalente. Il s’agit de la zone CEMAC et celle de l’UMOA. Faut-il le rappeler, la CEMAC est l’acronyme de Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale.

En matière financière et d’épargne, elle agit à travers la COBAC soit la Commission bancaire de l’Afrique centrale. Plus pessimiste, la CEMAC, dans une attitude subversive (I), a choisi la voie de la condamnation des cryptomonnaies, là où l’UMOA (Union Monétaire Ouest Africaine) se contente jusque-là à déconseiller, dissuader, alerter et se désengager (II).

I. L’attitude subversive de la CEMAC vis-à-vis des cryptomonnaies
La CEMAC a, très clairement, condamné ces innovations monétaires que constituent les cryptomonnaies (B), à travers une batterie de motifs (A).
A. Les motifs de condamnation des cryptomonnaies
Les motifs de condamnation sont tant juridiques (1) qu’économiques (2).

1. Les motifs d’ordre juridique

En premier lieu, comme motif d’ordre juridique, la COBAC considère que les cryptomonnaies n’entrent pas dans les catégories des moyens de paiement connu à savoir le chèque, la lettre de change, le billet à ordre, le virement, le prélèvement, la carte de paiement et la monnaie électronique. De même, ces cryptomonnaies ne font l’objet d’aucune disposition spécifique.

En deuxième lieu, la nomenclature des devises retenue par le plan comptable des établissements de crédit recense exclusivement les monnaies classiques émises par des banques centrales à savoir le Franc CFA et non les cryptomonnaies. De même, l’institution fait remarquer que les conditions de régularité et de sécurité de ce plan comptable exigent la tenue de la comptabilité dans la langue (ou une des langues) officielle(s) du pays et en Franc de la Coopération Financière en Afrique (FCFA ou XAF) ».

De ce fait, la tenue de la comptabilité en cryptomonnaie ou une monnaie virtuelle serait contraire à ces dispositions. Enfin, les dispositions réglementaires existantes n’autorisent pas la détention et l’utilisation des cryptomonnaies et des cryptoactifs par les établissements assujettis. Des mesures conservatoires doivent être prises pour garantir la stabilité financière et préserver les dépôts de la clientèle dans la CEMAC.

Ces motifs juridiques sont tirés de différents textes tels que le Règlement n003/16/CEMAC/UMAC/CM, le Règlement COBAC R-98/01 et le Règlement COBAC EMF-2010/01, l’article 13 du Règlement COBAC R-2003/01 et l’article 13 du Règlement COBAC EMF-2010/02. En plus des motifs d’ordre juridique, d’autres de nature plus pratique et économique s’appuient sur les risques liés à ces types de monnaies.

2. Les motifs d’ordre économique

La COBAC soutient que la détention et l’utilisation des cryptomonnaies et des crypto-actifs comportent plusieurs risques importants liés aux caractéristiques des opérations à effectuer, notamment :

Le risque de marché lié à la volatilité extrême des cours des cryptomonnaies ;
Le risque opérationnel, en particulier de crypto-criminalité ;
Le risque de liquidité ou de conversion en devise ;
Le risque juridique lié à l’extraterritorialité des prestataires ;
Le risque de blanchiment de capitaux et financement du terrorisme ;
Le risque d’évasion fiscale et de fuite des capitaux.

Eu égard à ces risques, la CEMAC condamne très clairement les pratiques liées aux cryptomonnaies.

B. La condamnation des pratiques liées aux cryptomonnaies

La CEMAC a, non seulement interdit certaines pratiques liées aux cryptomonnaies (1), mais aussi défini les mesures de contrôle et de surveillance de l’interdiction (2).

1. Les pratiques interdites avec les cryptomonnaies

Au regard des motifs d’ordre juridique et des différents risques économiques, la COBAC est catégorique : les établissements assujettis à la COBAC ainsi que leurs partenaires techniques dans le cadre des services de paiement ne sont pas autorisés à souscrire ou détenir pour leur propre compte ou pour le compte des tiers les cryptomonnaies ou monnaies virtuelles de quelque nature que ce soit.

Par ailleurs, interdiction est faite aux établissements assujettis ainsi qu’à leurs partenaires techniques dans le cadre des services de paiement d’échanger ou de convertir, de régler ou couvrir en devise ou en franc CFA les transactions relatives aux cryptomonnaies ou ayant un lien avec celles-ci.

De même, le traitement d’une cryptomonnaie ou d’une monnaie virtuelle comme un moyen d’évaluation des éléments d’actifs, de passifs ou de hors-bilan des établissements assujettis est proscrit. En plus, seul le franc CFA est la monnaie admise pour la tenue de la comptabilité des établissements assujettis. Les autres comptabilités en devises sont tenues exclusivement dans les monnaies classiques émises par les banques centrales.

2. Les mesures de contrôle et de surveillance de l’interdiction

En vue de s’assurer du respect de ces différentes interdictions, la COBAC charge les établissements assujettis d’identifier les opérations réalisées ou rejetées en lien avec les cryptomonnaies (donneurs d’ordre, bénéficiaires, montants, monnaie légale de transaction, contreparties en cryptomonnaie, objet de la transaction, etc.) et de communiquer au Secrétariat Général de la COBAC et à la Banque Centrale mensuellement un état détaillé de ces opérations.

La décision finit en précisant que les établissements assujettis sont tenus de prendre toutes les dispositions utiles et de mettre en place des procédures ainsi que des mesures de contrôle interne, afin que leurs systèmes d’information puissent identifier à tout moment des opérations en lien avec les cryptomonnaies, de manière à mettre en œuvre toutes les mesures prises par les autorités de tutelle, de supervision et la Banque Centrale.

II. L’attitude déresponsabilisant de l’UMOA vis-à-vis des cryptomonnaies

Contrairement à la CEMAC, la position de l’UMOA n’est pas encore bien claire dans la mesure où à notre connaissance, il n’y a encore pas d’acte contraignant officiel de l’UMOA sur les cryptomonnaies. Elle a opté la voie de la dissuasion, la déclinaison de toute responsabilité et l’appelle à la vigilance des citoyens. La voie de communiqué et non d’acte obligatoire en est une illustration éclatante. On peut donc retenir qu’elle se désolidarise vis-à-vis des activités liées aux cryptomonnaies (A). C’est la raison pour laquelle elle appelle les populations à la vigilance (B).

A. La désolidarisation de l’UEMOA vis-à-vis des opérations liées aux cryptomonnaies

À travers son Conseil Régional de l’Épargne Publique et des Marchés Financiers (CREPMF), l’UMOA est l’institution qui veille à la protection de l’épargne, à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement du marché financier, habiliter les structures de gestion du marché et agréer les intervenants commerciaux. Les opérations d’appel public à l’épargne sur le marché financier régional de l’UMOA sont soumises au visa préalable du Conseil Régional. Il ne saurait assumer aucune responsabilité liée à ses pratiques qui ne respectent pas les conditions définies dans son organisation.

Par conséquent, il invite les promoteurs de ces structures à cesser immédiatement leurs activités irrégulières et à se mettre en rapport avec les Autorités compétentes afin de se conformer à la réglementation en vigueur sous peine de sanctions. Cette dernière partie du communiqué laisse voire une menace de sanction qui pourrait conduire peut-être à la même solution que celle de la CEMAC. Il est donc clair que l’UMOA se désolidarise et nourrit une méfiance vis-à-vis des cryptomonnaies.

B. L’appel à la prudence à l’endroit des populations face aux cryptomonnaies

L’UMOA invite les populations à observer la plus grande vigilance et ne se référer qu’aux seuls acteurs ou opérations disposant d’un agrément ou d’un visa émis par l’organe sous-régional. L’appel à la vigilance avant tout investissement recommande d’une part, de s’assurer que la société qui propose le produit est habilitée à le faire et obtenir un maximum d’informations sur l’existence d’un siège social, partenaires commerciaux, existence d’états financiers, activités réalisées, etc. D’autre part, l’UMOA appelle à la vigilance en enseignant qu’aucun discours commercial ne doit faire oublier qu’il n’existe pas de rendement élevé sans risque élevé.

Le risque est consubstantiel à chaque innovation. Toutefois, il est aussi important de ne pas perdre de vue que ce n’est pas l’innovation en elle-même qui est le problème, mais l’usage qu’on en fait et les conditions de cet usage. Difficile de prédire l’avenir des cryptomonnaies, tant la tentation dans tous ses sens est grande, tant la course poursuite à ces nouvelles formes de monnaies est grande, tant dans un autre sens, le législateur n’hésite pas à condamner. Mais faut-il aussi le préciser, dans la pratique, le bilan n’est pas franchement à l’actif de ces cryptomonnaies.

C’est la raison pour laquelle, à défaut d’une intervention claire, il revient aux différents acteurs et en particulier aux utilisateurs de cette monnaie de faire preuve de prudence dans leur recherche légitime d’un mieux-être. Le no man’s land actuel dans lequel se trouve ces activités n’est pas rassurant dès lors que cette nouvelle trouvaille fait des malheureux, voire des sinistrés comme il en est au Burkina Faso.

L’idéal serait que le législateur intervienne dans la mesure du possible afin de protéger les populations et de régulariser la situation des prestataires de cryptomonnaies ainsi que de tous les actes et toutes les opérations et spéculations liées à ces monnaies virtuelles.

Gnoari TANKOANO
S. Bertille DEMBELE

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