La pression de la rue pousse le premier chef de l’Etat de la Haute-Volta, Maurice Yaméogo, à la démission le 3 janvier 1966. 63 ans après ce soulèvement populaire, le secrétaire général d’honneur du Syndicat des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA), Pissyamba Ouédraogo, revient sur le rôle central joué par les syndicats dans l’avènement de cet événement.
Le secrétaire général d’honneur du Syndicat des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA), Pissyamba Ouédraogo, appréhende le soulèvement populaire du 3 janvier 1966, comme le symbole de l’importance de la mobilisation des travailleurs et des couches populaires pour une gouvernance vertueuse au Burkina. A l’entendre, il est capital de rappeler cette date marquante aux nouvelles générations.
« La principale cause à l’origine du soulèvement populaire du 3 janvier 1966, c’était la mauvaise gouvernance politique et économique de la Ire République. Cela me rappelle que, très tôt, le peuple burkinabè, après les indépendances formelles, a compris qu’il fallait qu’il se mobilise pour défendre ses droits », explique le syndicaliste.
Selon lui, les syndicats sont toujours intervenus en restant dans leur rôle aux divers grands tournants de l’histoire du pays. D’un point de vue événementiel, argue-t-il, à la suite d’un congrès syndical qui se tenait à l’époque, les revendications étaient de nature à remettre en cause, après l’analyse de la situation nationale, les décisions politiques, notamment le budget de l’année 1966.
« Les syndicats ont décidé à l’unanimité de s’opposer aux mesures antisociales qui avaient été prises. Ces mesures antisociales étaient l’une des manifestations de la débâcle générale dans la gouvernance du pays et qui révoltaient l’ensemble des populations. Si bien que le rôle que les syndicats ont joué, c’était de défendre les intérêts des travailleurs, en lien avec l’ensemble des populations face au régime qui avait dilapidé l’ensemble des ressources du pays », détaille Pissyamba Ouédraogo.
De son avis, le soulèvement populaire de 1966 a apporté trois changements fondamentaux dans la vie de la Nation. Le régime de l’époque, indique-t-il, était caractérisé en premier point par une grande restriction des libertés collectives et individuelles. Après le soulèvement populaire, il y a eu un certain nombre d’acquis sur ce point.
« La deuxième retombée de ce soulèvement, c’est qu’il a renforcé le sentiment ou l’engagement des populations à lutter contre la gabegie, les détournements et la mauvaise gouvernance. Le troisième aspect est relatif à un renforcement de la confiance en soi. Les populations ont compris que personne ne pouvait défendre leurs droits à leur place. Ce sentiment, qui est né ou qui s’est renforcé à l’occasion du 3 janvier 1966, a continué à se développer avec les nouvelles générations », avance le secrétaire général d’honneur du SYNTSHA.
Pas de sauveur providentiel
Que peut inspirer cette date aux Burkinabè en ce moment critique de l’histoire du pays ? Comme réaction, la première leçon, de l’avis de M. Ouédraogo, que l’on peut tirer de cette date, c’est qu’il n’y a pas de sauveur providentiel. « C’est-à-dire que personne ne viendra, face aux problèmes auxquels nous faisons face, nous donner la solution. Que ce soit le chômage, la misère, la famine ou l’insécurité, tous ces problèmes doivent être pris en charge par nous-mêmes.
Quand on observe, bien que la lutte contre les détournements, la corruption, la gabegie, se soit installée après 1966, les auteurs de ces fléaux trouvent toujours toutes les astuces pour continuer. Cela veut dire qu’il faut qu’on continue à prendre notre destin en main », prévient-il. A propos du défi sécuritaire qu’affronte le Burkina ces dernières années, Pissyamba Ouédraogo pense qu’il appartient aux Burkinabè de se défendre avant d’attendre l’aide d’autrui.
Il faut, suggère-t-il, insuffler aux populations les réflexes de l’auto-défense face au péril. « Les populations doivent être en mesure de se protéger. Il faut justement coordonner l’action de tous ces groupes avec les moyens. Quand on dit d’armer les populations, ce n’est pas dans l’anarchie, on demande qu’on organise la façon de se défendre sur un plan scientifique. Cela s’est vu ailleurs et les populations ont pu se défendre », souligne le syndicaliste.
Entre le soulèvement de janvier 66 et l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, M. Ouédraogo énumère trois points communs. Le premier est relatif à l’absence de « souveraineté réelle du pays », puisque le colon a su habilement perpétuer sa domination à travers les « commis locaux ». « 60 ans après, ces commis, avec leur gouvernance, ont naturellement échoué. Ils ont créé la misère. Les populations se sont mobilisées pour se battre pour leur souveraineté, pour un changement radical qui va amener un ordre social qui prend en compte leurs préoccupations », précise-t-il.
Le deuxième point commun, de son avis, est que les acteurs qui ont animé l’insurrection populaires des 30 et 31 octobre 2014 et le soulèvement de 66 sont les populations de base, celles qui ont souffert et qui souffrent de l’absence de souveraineté de notre pays.
Quant au troisième point commun, il est relatif au contenu des deux événements, c’est-à-dire le ras-le-bol contre la mauvaise gouvernance politique économique et sociale, la corruption et l’appel des populations à un ordre social répondant à leurs aspirations. Pour M. Pissiyamba Ouédraogo, les devanciers ont tracé les sillons de la lutte pour la défense des intérêts des populations et la souveraineté du pays. Les générations actuelles doivent, selon lui, s’inscrire dans cette dynamique de défense de l’intérêt commun.
Karim BADOLO