Depuis 1983, la loi a rendu obligatoire la souscription à l’assurance des marchandises ou facultés à l’importation, communément appelée assurance transport, auprès des sociétés d’assurances burkinabè. 40 ans après son institution, le respect de cette obligation reste « faible », rendant ainsi la branche assurance transport le parent pauvre du secteur assurantiel. Cette violation de la législation coûte des milliards F CFA aux recettes de l’État, aux sociétés d’assurances mais aussi fait perdre des avantages induits aux importateurs.
De 2017 à 2020, le Burkina Faso a perdu en moyenne 7,5 milliards F CFA de recettes fiscales, selon la direction des assurances du ministère en charge de l’économie et des finances. Ces milliards, qui auraient contribué à faire face à la double crise sécuritaire et humanitaire que connait le pays, ont pris d’autres directions, connues ou non, loin des caisses de l’État.
Ces pertes de recettes sont imputables à la non-application de l’ordonnance sur la domiciliation locale de l’assurance des marchandises ou facultés à l’importation, communément appelée assurance transport, vieille de quatre décennies.
L’assurance transport se définit comme la couverture des marchandises ou facultés voyageant d’un point de départ A à un point de destination B contre les risques de dommages, d’avaries, de vols, de pertes qu’elles peuvent subir au cours de leur expédition par voie aérienne, maritime ou terrestre.
L’ordonnance du 27 décembre 1983 instituant l’obligation d’assurance transport
« Les personnes physiques ou morales de droit public ou privé sont assujetties à l’obligation de souscrire une assurance auprès d’une entreprise d’assurance agréée en Haute-Volta (ndlr : Burkina Faso) pour toute importation de marchandises sur le territoire national de la République de Haute-Volta (ndlr : Burkina Faso) », dispose l’article 1 de l’ordonnance du 27 décembre1983 portant domiciliation de l’assurance des marchandises ou facultés à l’importation.
Son décret d’application précise, en son article 1er, que l’obligation ainsi instituée ne s’applique qu’aux marchandises dont la valeur FOB (ndlr : Free On Board i.e. « sans frais à bord ») excède 500 mille F CFA.
En faisant adopter ces textes à l’époque, Thomas Sankara a montré qu’il était un visionnaire soucieux du développement de l’économie nationale, clame le superviseur de la commission transport de l’Association professionnelle des sociétés d’assurances du Burkina (APSAB), Drissa Traoré.
Au-delà du droit interne, cette obligation a un fondement international. Son origine remonte à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) de juin 1972. Il y a été demandé aux pays en voie de développement de prendre des mesures nécessaires pour stimuler la croissance de leur marché d’assurance, en promouvant les importations en FOB, au détriment de l’incoterm CIF (Cost Insurance & Freight) qui, lui, oblige l’importateur à prendre l’assurance dans le pays d’importation.
Dans la même dynamique, les 14 pays membres de la Conférence interafricaine des marchés d’assurance (CIMA) vont refuser de contribuer à la prospérité des grandes compagnies d’assurances étrangères qui captent la manne de l’assurance transport de leurs importateurs.
« L’assurance des facultés à l’importation revêt un caractère obligatoire dans la mesure où les législations nationales le prévoient. Elle est alors régie par les dispositions spécifiques de ces législations… », dispose l’article 278 du code CIMA.
Le parent pauvre du marché assurantiel
Nonobstant cet arsenal juridique, des importateurs burkinabè ont continué d’assurer leurs marchandises auprès des compagnies d’assurances des pays d’achat ou de les contourner, au « grand malheur des assureurs nationaux ». Pour preuve, ces dernières années, seulement 25% des déclarations de mise à la consommation et d’admission ou d’importation temporaire à destination du Burkina Faso ont fait l’objet d’une assurance transport.
« Dans les autres pays de la sous-région, la souscription locale de l’assurance transport est respectée. Nous ne comprenons pas pourquoi les importateurs burkinabè continuent de prendre cette police d’assurance à l’étranger », s’interroge M. Traoré, le regard figé comme s’il attendait une réponse.
Dans la zone CIMA, les assureurs burkinabè sont pourtant crédibles, solvables ; le régulateur n’a jamais retiré l’agrément d’aucune des 17 compagnies nationales, ajoute-t-il.
L’application insuffisante de cette obligation légale fait du Burkina, malgré une hausse continue de ses importations, l’un des pays où l’assurance transport enregistre en moyenne moins de 8 % des parts de marché dans la branche non-vie, contre une moyenne régionale de 10%, avec des pics variant entre 12% et 22% sur certains marchés, selon l’APSA.
En 2020, les primes d’assurance transport au pays des Hommes intègres étaient de 4,4 milliards F CFA, soit 4% des parts du marché, confie le président de l’APSAB, Monhamed Jean Innocent Compaoré.
Répartition du chiffre d’affaires par branche IARD au Burkina Faso de 2011 à 2020 (en %).
Pire, ce parent pauvre du marché assurantiel connait une baisse en valeur relative. En effet, sur un chiffre d’affaires du marché national de l’assurance IARD, passé de plus de 21 milliards F CFA en 2011 à plus de 46 milliards F CFA en 2017, celui de l’assurance transport est passé de plus 2 milliards F CFA à 3,6 milliards F CFA sur la même période, soit 10% en 2011 contre 8% en 2017.
Pays de l’hinterland, à balance commerciale déficitaire, l’assurance transport devrait y connaitre un meilleur sort, estiment les experts du domaine.
Selon les données de la BCEAO, les importations FOB du Burkina Faso sont passées à plus de 1 100 milliards F CFA en 2011 à plus de 1 800 milliards F CFA en 2017. En application des estimations de la CNUCED, indiquant que les primes d’assurances maritimes doivent représenter au minimum 1,5% de la valeur totale des importations FOB d’un pays, les compagnies nationales auraient pu s’en sortir avec environ 28 milliards F CFA de primes d’assurance transport en 2017, alors qu’elles n’ont enregistré que 3,6 milliards F CFA de primes réelles, soit un manque à gagner de plus de 24 milliards F CFA.
31 milliards F CFA perdus
En 2020, la cagnotte perdue est passée à 31 milliards F CFA. Les compagnies ayant récolté 5 milliards F CFA de primes d’assurance sur un potentiel de 36 milliards, selon la direction des assurances, qui précise que les compagnies burkinabè mobilisent moins de 15% des primes potentielles d’assurance transport.
Ces ressources parties ailleurs auraient contribué à mieux financer l’économie nationale, développer de nouveaux produits assurantiels, à mieux sécuriser les investissements nationaux, à créer des emplois, fait savoir le président de l’APSAB.
Le président de l’APSAB, Monhamed Jean Innocent Compaoré : « Nous avons grandement confiance, car ces dernières années, les autorités semblent prendre à bras-le-corps le problème ».
Il n’y a pas que les assureurs qui paient les pots cassés. L’État aussi ! En effet, sur chaque police d’assurance, il est perçu une Taxe unique d’assurance (TUA) de 8%. A cela s’ajoutent les 1,5% des primes collectées que les assureurs versent à L’État au titre de frais de contrôle des organismes d’assurance.
En 2020, le Trésor public a perdu environ 473 millions F CFA de frais de contrôle et plus de 2,5 milliards F CFA de TUA, soit environ 3 milliards F CFA, confie la directrice des assurances, Mamou Ouédraogo. Ces cinq dernières années, la perte moyenne annuelle de recettes liée à la TUA et aux frais de contrôle est estimée à 1,5 milliard F CFA.
Le respect de la domiciliation locale de l’assurance transport profite également, à bien des égards, aux importateurs. Facilités de déclaration et de paiement des sinistres, faible coût des primes locales, compétence des tribunaux nationaux en cas de litiges, proximité avec l’assureur, mise à l’abri de la complexité des procédures judiciaires liées aux litiges commerciaux internationaux… bref, une célérité « garantie » dans l’exécution du contrat d’assurance.
« Il est plus aisé de gérer un litige d’assurance à Ouagadougou que de le faire à Dubaï. En cas de sinistre, il est difficile pour un importateur burkinabè de poursuivre en justice un armateur qui vient déposer ses marchandises dans un port et rebrousser chemin ; alors que les assureurs disposent de mécanismes pour saisir un navire », argumente Drissa Traoré.
Responsabilités partagées
A cet avantage s’ajoute la couverture totale des risques de pertes, de vols, de destruction, etc. de bout en bout, jusqu’à destination finale, y compris la partie terrestre. Alors que, pour un pays sans littoral comme le Burkina, la souscription à l’étranger ne couvre que la partie maritime.
Pourquoi malgré tant d’avantages pour toutes les parties prenantes, l’ordonnance de 1983 peine à s’appliquer comme il se doit, 40 ans après son adoption? A qui la faute ?
Sont les premières indexées, les administrations publiques impliquées dans la délivrance des autorisations et documents d’importations, et qui devraient, lors de la levée de la Déclaration préalable d’importation (DPI) et des formalités douanières, exiger aux importateurs le Certificat d’assurance faculté (CAF).
La directrice des assurances, Mamou Ouédraogo : « Le pouvoir public a failli dans sa mission de contrôle du certificat d’assurance transport ».
« Une bonne partie de la responsabilité incombe au pouvoir public, qui a failli dans sa mission de contrôle du CAF », confesse la directrice des assurances, sans faux-fuyant. Même son de cloche pour cet importateur ayant requis l’anonymat et qui pointe du doigt l’absence de fermeté de l’État.
« Au début, cette assurance était obligatoire et les importateurs ne pouvaient effectuer les opérations d’importation sans souscrire l’assurance transport au niveau local. Mais par la suite, il y a eu relâchement. Cela est dû à l’affaiblissement de plus en plus de l’autorité de l’État. Aujourd’hui, les pouvoirs publics ne peuvent plus taper du poing sur la table pour exiger le respect de la loi. C’est dommage », déplore-t-il.
Mais au-delà du fléchissement dans les actions de contrôle, la puissance publique a aussi manqué à sa mission d’éducation des acteurs économiques.
« Beaucoup pensent que l’assurance est simplement destinée à renflouer les comptes des sociétés d’assurances et de l’État. C’est lorsqu’ils ont un sinistre qu’ils commencent à crier, à regretter de n’avoir pas souscrit à une assurance ! Mais ils ont un peu raison, car nous communiquons moins ; rares sont ceux qui savent que le secteur est règlementé, qu’il y a une direction des assurances au niveau du ministère de l’Économie qu’ils peuvent saisir directement en cas de litige avec une compagnie d’assurance. Si ce défi de la communication avait été suffisamment relevé, on n’en serait pas là, avec des résultats insatisfaisants », avoue Mme Ouédraogo. Sans perdre de vue, la part de responsabilité des assureurs qui, aussi, manquent d’actions suffisantes de sensibilisation et de formation de leur clientèle.
Certains opérateurs économiques, poursuit-elle, ont aussi péché, en préférant toujours l’assurance souscrite par leur partenaire à l’étranger sauf que nombre d’entre eux le feraient par ignorance, pensant que cette assurance doit être prise par leur fournisseur étranger.
« Si les compagnies prenaient le temps d’expliquer aux importateurs qu’ils ne sont pas obligés d’importer CIF, et que les primes d’assurance locales coutent moins cher que celles prises à l’étranger, ces derniers auraient certainement assuré leurs marchandises au niveau national », soutient le déclarant en douane, Odilon Compaoré.
Changement de cap
L’administration douanière est un acteur majeur du respect de la règlementation en matière d’importation. L’article 5 du décret d’application de l’ordonnance de 1983 précise que les formalités douanières en vue de l’enlèvement des marchandises doivent être subordonnées à la production d’un document justificatif d’une souscription de l’assurance transport auprès d’une compagnie locale agréée, en l’occurrence le CAF. Sans oublier que la valeur en douane d’une marchandise est constituée du coût de la marchandise, de l’assurance et des autres frais.
Le superviseur de la commission transport de l’APSAB, Drissa Traoré : « En cas de sinistre, il est difficile pour un importateur burkinabè de poursuivre en justice un armateur qui vient déposer ses marchandises dans un port et rebrousser chemin ».
La question que l’on est en droit de se poser est comment des importateurs qui contournent cette obligation légale arrivent à se tirer d’affaires ?
A la Direction générale des douanes (DGD), on tente de se dédouaner.
« Au niveau de l’administration des douanes, ce qui nous préoccupe est d’avoir le document de l’assurance et d’intégrer le montant de la prime payée sur notre déclaration. Pour ce qui est de la couverture réelle des risques du pays de départ jusqu’au Burkina, l’administration des douanes ne peut pas s’assurer de cela », argumente l’actuel directeur général adjoint des douanes, Victorien Zoungrana, directeur de la règlementation, de la facilitation et de la coopération douanière au moment de notre entretien.
A la DGD, poursuit M. Zoungrana, chaque fois qu’une disposition n’est pas respectée, des notes de rappel sont prises, des renforcements de capacités des vérificateurs sont initiés.
Aujourd’hui, assureurs et pouvoirs publics semblent décider à tourner la page des quatre décennies « d’impasse » ou d’« insuffisante application » de l’ordonnance sur l’assurance des marchandises.
Au niveau de la faîtière, on multiplie les actions de plaidoyer auprès de l’autorité de tutelle, de communication à l’endroit des importateurs, voire des médias. L’APASAB a même effectué une mission à Dakar en 2020 pour s’inspirer de l’expérience sénégalaise en la matière. Aujourd’hui, elle se veut rassurante.
« Nous avons grandement confiance, car ces dernières années, les autorités semblent prendre à bras-le-corps le problème. Nous avons vu des circulaires de rappel et des notes à l’endroit des importateurs, des commissionnaires et des transitaires en douanes », se réjouit son président, dans son imposant boubou bazin, chechia vissée sur la tête.
Désormais, l’administration est résolument engagée pour une meilleure application de l’assurance transport, rassure la directrice des assurances.
Cette volonté de changer de cap, le ministère en charge des finances l’a manifestée à travers une circulaire du 29 janvier 2021, adressée à « tous les usagers et acteurs du secteur des importations » et qui remet au goût du jour les obligations prescrites par le code des assurances et l’ordonnance de 1983 ; tout en précisant que les « marchandises ou facultés importées doivent être garanties depuis le port ou l’aéroport d’embarquement jusqu’à destination au Burkina Faso ».
« Dépoussiérer » l’ordonnance de 1983
S’appuyant sur cette circulaire, la DGD entre dans la danse. En fin 2021, elle adresse des correspondances aux commissionnaires en douane agréés, aux importateurs pour leur signifier qu’à partir du 15 janvier 2022, pour toute opération d’importation dont la valeur FOB excède 500 mille francs CFA, la production d’un CAF sera obligatoire sur la plateforme SYLVIE, qui est un guichet unique virtuel de collecte des documents de pré-dédouanement, interconnectant tous les acteurs du commerce extérieur impliqués dans la délivrance des certificats, autorisations ou attestations obligatoires lors des formalités douanières d’importation ou d’exportation.
La circulaire du 29 janvier 2021 du ministre de l’Économie
Pour ce faire, elle instruit la Société de gestion de SYLVIE (SOGESY) de « prendre toutes les dispositions nécessaires » pour qu’à l’échéance prévue, le CAF devienne un champ bloquant sur ladite plateforme. Ce qui fut fait. Et en six mois d’entrée en vigueur de la mesure, les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Au 30 juin 2022, la SOGESY a enregistré environ 21 000 CAF d’une valeur totale de plus de 2,6 milliards F CFA, occasionnant 247 millions F CFA de recettes au profit du Trésor public. Alors que sur toute l’année 2021, elle a réceptionné en tout 4 400 CAF d’une valeur d’environ 500 millions F CFA ayant engendré 47 millions F CFA de recettes publiques ; contre 4 000 CAF en 2020 (5 fois moins qu’au premier semestre de 2022) d’une valeur de 386 millions F CFA, soit 31 millions F CFA de ressources au profit du budget de l’Etat.
Les statistiques au premier semestre de 2022 montrent que l’espoir est permis. Tout n’est cependant pas gagné d’avance. Il faut maintenir le cap, éviter de tomber dans la situation peu enviable des 40 dernières années.
La relecture de l’ordonnance de 1983 pour tenir compte des évolutions s’avère aussi nécessaire. La fixation des taux de primes minimales par mode de transport, la définition des sanctions en cas de violation de la règlementation, la prise en compte de la digitalisation pourraient, entre autres, constituer des matériaux de cette révision de la législation.
Mahamadi SEBOGO
Windmad76@gmail.com