Saison politique 2022 au Burkina : Aussi pénible que ces successions à la tête de l’Etat !
L’année 2022 a été une véritable rude épreuve pour le Burkina. Au contexte sécuritaire très difficile s’est ajoutée, dès 24 janvier 2022, une aventure politique à travers le coup d’Etat du MPSR (Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration), que les auteurs ont ‘‘rectifié » en fin septembre avant de faire face, eux-mêmes aussi, à un nuage de « velléités de coups d’Etat » qui alourdit davantage l’atmosphère nationale. La seule année 2022 a vu défiler trois présidents à la tête de l’exécutif et trois présidents à la tête du législatif. Comme entamée, 2022 s’achève avec le plein de bruits des rangers dans la capitale… Les partis politiques, principaux animateurs de la vie publique, sont, eux, réduits à leur simple expression.
Alors que le président Roch Kaboré venait d’être réélu à la faveur du scrutin présidentiel du 22 novembre 2020, par un score mieux que celui de 2015 (57,74% contre 53,49% en 2015), et pour son dernier mandat constitutionnel, les choses vont se précipiter pour lui par ce coup d’Etat proclamé en cette soirée de lundi 24 janvier 2022. Un coup de force qui se déroule dans une quasi-indifférence des Burkinabè…
L’armée venait de porter à la tête de l’Etat un nouvel homme, avec pour principal défi le retour de la sécurité, la restauration du territoire national et la refondation de l’Etat. Le premier discours, le 27 janvier, du désormais chef d’Etat burkinabè, le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba, parfait anonyme pour nombre de ses compatriotes, est accueilli avec le plein d’espoir par de nombreux citoyens. A cette sortie au relent de feuille de route, se succèdent des actes, synonyme de mise en route d’une transition.
Dans la foulée, le 1er février, par des échanges avec les responsables et représentants des partis politiques, le président du MPSR, Paul-Henri Damiba, suspend, à demi-mot, les activités politiques (ces acteurs sont considérés comme les principaux responsables de la situation du pays).
Les assises nationales, tenues le 28 février, dotent une ossature et une direction à la transition, par l’adoption d’une Charte par les forces vives du pays.
Le 2 mars, le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba est investi président du Faso par le Conseil constitutionnel ; il prend ainsi, officiellement, possession de la plus haute charge de l’Etat (). Cette investiture ouvre une parenthèse également sur la posture de cette institution gardienne de la Constitution, le Conseil constitutionnel, qui, de par-là, « adoube » désormais les coups d’Etat, s’étonnent des Burkinabè. Qu’à cela ne tienne, la marche de la Transition se poursuit avec la nomination, dès le 3 mars, d’un Premier ministre, Dr Albert Ouédraogo.
Cette nomination est suivie du dévoilement des membres du gouvernement, le 5 mars, avec des surprises faites entre autres par le retour du ministre de la Défense du dernier gouvernement de Roch Kaboré et l’entrée de Bassolma Bazié, ancien responsable syndical qui a fait parler de lui ces dernières années à la tête de la CGT-B (Confédération générale du travail du Burkina) et de l’UAS (Unité d’action syndicale).
L’architecture institutionnelle se poursuit avec la désignation des « députés » de l’Assemblée législative de transition (organe législatif), le mardi 22 mars 2022. Ils vont porter à la tête de l’institution, un enseignant-chercheur, Pr Aboubacar Toguyeni.Il succède ainsi à Bala Alassane Sakandé, emporté par le coup d’Etat du 24 janvier.
Pendant ce temps, les appels à la libération du désormais ancien président du Faso, Roch Kaboré, détenu depuis le 24 janvier, se poursuivent et se multiplient.
La période est également marquée par des démissions au sein des partis politiques, dont les plus commentées sont celles qui ont lieu au sein du parti déchu du pouvoir, le MPP. Le départ, le 21 mars, d’Abdoulaye Mossé, jusque-là responsable des mouvements et associations du MPP, et compagnie, est mal digéré, surtout par ses anciens camarades qui voient cela comme un acte de trahison dans ce contexte où Roch Kaboré, dont on dit qu’il est très proche, était toujours dans les liens de détention. Ce départ du MPP va donner naissance, le 2 avril, au Parti panafricain pour le salut (PPS), présidé par lui-même, Abdoulaye Mossé. C’est l’évènement politique majeur en cette période de transition.
Le mercredi, 6 avril, Roch Kaboré est officiellement « libéré » et rejoint son domicile. Une actualité qui s’est conjuguée, dès le lendemain, avec le passage du Premier ministre, Albert Ouédraogo, devant les députés de l’Assemblé législative de transition pour présenter sa feuille de route, l’équivalent de la Déclaration de politique générale.
Le 21 juin, le président Paul-Henri Damiba échange avec les anciens présidents Roch Kaboré (dont les partisans disent n’être pas totalement libre de ses mouvements) et Jean-Baptiste Ouédraogo.
La dynamique se poursuit avec le retour au Burkina, depuis son départ en cette journée de fin octobre 2014, de l’ancien président Blaise Compaoré, pour prendre part à « une rencontre de haut niveau ». Cette rencontre inscrite dans le processus de la réconciliation nationale devait réunir sur la même table, et autour du président de la transition Paul-Henri Damiba, les anciens chefs d’Etat Roch Kaboré, Michel Kafando, Yacouba Isaac Zida, Blaise Compaoré et Jean-Baptiste Ouédraogo.
Comme une suite à cette rencontre, le 26 juillet, Blaise Compaoré, pour la première fois…, et à travers une lettre convoyée d’Abidjan par une délégation officielle ivoirienne et dans laquelle, sa fille Djamila Compaoré, exprime : « Je demande pardon au peuple burkinabè pour tous les actes que j’ai pu commettre durant mon magistère, plus particulièrement à la famille de mon frère et ami Thomas Isidore Noël Sankara. J’assume et déplore, du fond du cœur, toutes les souffrances et drames vécus par toutes les victimes durant mes mandats à la tête du pays et demande à leurs familles de m’accorder leur pardon. Je souhaite que nous puissions aller de l’avant désormais pour reconstruire notre destin commun sur la terre de nos ancêtres ».
Le 23 septembre 2022, Paul-Henri Damiba livre un discours à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU, où il revient sur les principaux défis du monde, ceux des pays sahéliens, focus sur la situation au Burkina, au Mali et au Niger. D’ailleurs, sur le plan national, la situation sécuritaire, principal motif du coup d’Etat, défie sur le terrain.
Le 30 septembre, à la suite d’une journée de confusion entamée avec des tirs dans plusieurs zones de Ouagadougou, un groupe de militaires annonce la destitution du président Paul-Henri Damiba. Le nouveau président de la transition est le capitaine Ibrahim Traoré (il est aussi méconnu du grand public). Les institutions sont à nouveau mises à plat (gouvernement…et Assemblée législative de transition dissouts).
Le 2 octobre, le capitaine Traoré rencontre les secrétaires généraux des ministères, chargés d’assurer les affaires courantes ; un bref échange au cours duquel le nouveau président de la Transition fait savoir que « tout est urgent » et qu’« il faut aller vite ».
Le vendredi, 21 octobre, le capitaine Ibrahim Traoré emboîte les pas de son prédécesseur, en prêtant serment devant le Conseil constitutionnel et, ce, après avoir été, le 14 octobre, officiellement désigné président de la Transition, chef de l’Etat.
Le nouveau président du MPSR, MPSR II, va aussitôt nommer un Premier ministre, l’avocat Apollinaire Kyelem de Tambèla, le mardi, 25 octobre. Ce dernier dévoile son gouvernement quatre jours après, précisément le mardi, 25 octobre.
Durant cette période, la demande de la rupture des relations avec la France et l’appel à une coopération avec la Russie, lancés depuis le président Roch Kaboré, montent d’un cran, à travers propos et actes de vandalisme.
C’est dans ce contexte également que les membres de la nouvelle Assemblée législative de Transition (ALT) vont être installés le vendredi 11 novembre. Au cours de la même séance, les 71 membres élisent Dr Ousmane Bougouma, député à la précédente, président de l’ALT.
L’institution reçoit, le samedi 19 novembre, la Déclaration de politique générale du Premier ministre Me Apollinaire Kyelem de Tambèla.
La fin de l’année 2022 est aussi marquée par l’expulsion de la coordinatrice résidente du système des Nations-unies au Burkina, Barbara Manzi, le 23 décembre ; une actualité qui a précédé d’une semaine, l’incident entre Accra et Ouagadougou, suite aux allégations du président ghanéen sur une présence du groupe Wagner au Burkina.
Outre le nouvel épisode d’un retour de lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana en prison, le 29 décembre (alors qu’il venait de bénéficier d’une liberté provisoire pour les mêmes raisons de complot contre l’Etat), la capitale burkinabè termine l’année 2022 par de fortes rumeurs de déstabilisation du pouvoir Traoré.
Comme on peut donc le constater, 2022 a été aussi pénible qu’elle a vu se succéder à la tête du pays, trois personnalités (Roch Kaboré, Paul-Henri Damiba et Ibrahim Traoré).
On note cependant que malgré ces rudes épreuves, conséquence de la situation sécuritaire, les Burkinabè ont pu éviter de tomber dans les affrontements fratricides, là où ils étaient quasiment inéluctables. Les évènements du 30 septembre qui ont opposé les clans Damiba et Traoré en attestent. Et ce également, deuxième note positive et d’espoir, grâce à l’action des ‘‘gardiens du temple » : les autorités coutumières et religieuses.
C’est dire que des ressorts existent pour ne pas, non seulement franchir le Rubicon, mais également remonter rapidement la pente par rapport à la situation difficile que le pays traverse depuis 2015. Il est évident que le pays dispose de toutes les capacités humaines, matérielles et naturelles pour se repositionner rapidement comme un havre de paix. Pour peu que chacun lève le pied sur son égo, son orgueil nuisible et pense à chaque instant à l’avenir du pays et de ses proches.
En tous les cas, 2023 doit classer 2022 comme une des pires années de l’histoire du Burkina Faso.
Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net