Les docteurs Serge Stéphane Ky de l’université de Ouahigouya et Clovis Rugemintwari de l’université de Limoges, ont mené une enquête sur le lien qui existe entre l’adoption du mobile money et la formalisation des petites entreprises informelles. Ces entreprises qui représentent une part importante de l’économie burkinabè refusent très souvent de se formaliser, prétextant que les coûts de la formalisation l’emportent sur les bénéfices. Elles échappent ainsi au payement des impôts d’une part, mais peinent à avoir accès aux financements et aux marchés importants d’autre part. Le mobile money, beaucoup utilisé par ces entreprises, apparaît donc comme une alternative à l’accès aux services financiers bancaires et un tremplin vers la formalisation. L’étude a été restituée ce 30 décembre 2022 à Ouagadougou, par le Dr Serge Stephane Ky.
Le Burkina Faso compte environ 1,5 million d’entreprises informelles et seulement 65 000 entreprises formelles. Les entreprises informelles emploient près de 90% des travailleurs. L’objectif de l’étude est de soutenir l’économie, en incitant les entreprises informelles à la formalisation. « Lorsque plusieurs entreprises arrivent à contribuer, à renforcer les ressources des services publiques, cela permet de mieux soutenir le développement économique et social. Ce qui va leur permettre d’améliorer leur productivité », a fait savoir Dr Serge Stéphane Ky.
Intitulée « L’adoption du mobile money peut-elle inciter les microentreprises à se formaliser ? Résultats d’une expérience terrain au Burkina Faso », l’étude a été menée entre mars 2021 et décembre 2022. Elle a porté sur un échantillon de 1 280 entreprises informelles exerçant dans les domaines du commerce et des services, dont 480 à Ouagadougou, 480 à Bobo-Dioulasso et 320 à Ouahigouya.
Trois questions de recherche ont conduit les chercheurs. Ce sont « l’adoption du mobile money par les entreprises informelles peut-elle être un tremplin pour rejoindre l’économie formelle et être financièrement incluses ? », « Et si oui, cela améliore-t-il les performances de ces entreprises ? », « Le résultat est-il plus fort pour les femmes entrepreneures ou celles qui se trouvent dans les lieux où sévissent les attaques terroristes ? ».
Les participants à l’atelier de restitution.
L’étude a été conduite en trois phases. La première, qui s’est déroulée entre mars et juin 2021, a consisté à ouvrir des comptes marchands pour les entreprises et à promouvoir ces comptes. La deuxième phase a, quant à elle, porté sur l’explication des avantages de la formalisation, les démarches ainsi que la subvention des frais de formalisation. Il faut noter que beaucoup d’entreprises informelles utilisent le mobile money pour effectuer des transactions financières. Et la plupart de ces comptes sont des comptes personnels, souvent au nom du propriétaire de l’entreprise.
Très peu d’entre elles connaissent l’existence des comptes marchands. Ces comptes permettent pourtant de recevoir des paiements des clients et de payer les fournisseurs. Le mobile money peut aussi servir à accéder aux crédits et subventions gouvernementales ; les relevés de transactions peuvent contribuer à favoriser un passage à l’économie formelle. Pour les femmes entrepreneures, les paiements électroniques permettent de résoudre leur vulnérabilité. Ils sont aussi plus sûrs pour les entreprises situées dans les zones touchées par l’insécurité.
Dr Boukary Sawadogo, parrain de l’atelier de restitution.
Les résultats de l’étude montrent que le fait d’aider les entreprises informelles à avoir des comptes marchands les incite à se formaliser. En effet, le compte marchand permet de faire des paiements et des retraits sans frais, contrairement aux comptes ordinaires. L’expérimentation du compte marchand couplé à une prise en charge de 30% des frais de formalisation, avec des informations sur les avantages liés à la formalisation, peut avoir un impact conséquent sur la formalisation, explique Dr Serge Ky.
Aussi, les jeunes entreprises de moins de trois ans qui ne possèdent pas de registres de vente et qui sont situées hors de la capitale, bénéficient beaucoup plus de la formalisation grâce au compte marchand. Il en est de même pour les femmes qui, grâce au compte marchand, arrivent à mieux contrôler leurs ressources financières. Aussi, les entreprises qui sont dans des zones à fort défi sécuritaire bénéficient de l’effet du compte marchand sur la formalisation. Sur l’échantillon initial de 1 280 entreprises informelles, 554 ont souhaité se formaliser à la fin de l’étude, contre 428 qui n’ont pas voulu.
Les chercheurs ont, à l’issue de leurs travaux, formulé des recommandations. Il s’agit notamment d’une meilleure diffusion des comptes marchands formels et informels pour une meilleure inclusion financière des entreprises informelles, la réduction de la vulnérabilité des femmes ainsi que la facilitation des échanges dans les zones en proie à l’insécurité. La deuxième recommandation porte sur l’organisation de campagnes de sensibilisation sur les avantages de la formalisation.
L’atelier de restitution de l’étude a été parrainé par Dr Boukary Sawadogo, directeur du Centre de gestion agréée de Ouagadougou.
Dr Boukary Sawadogo, parrain de l’atelier de restitution.
A l’en croire, cette étude permet d’avoir une meilleure connaissance de l’utilisation des comptes marchands par les entreprises du secteur informel et l’impact de cette utilisation sur la formalisation de ces entreprises. Il n’a pas manqué de relever l’importance pour les entreprises informelles de se formaliser. La formalisation permet, selon lui, de mieux maîtriser les risques et les incertitudes, car l’entreprise reconnue par l’Etat peut bénéficier de tout type d’appui. Aussi, l’accès aux différents marchés est facilité par la possession de documents administratifs. La formalisation permet également une meilleure connaissance des activités, grâce à la comptabilité qui est tenue et qui favorise une meilleure connaissance des produits et services.
Cela permet de définir les domaines d’activités stratégiques et les produits phares à mettre sur le marché pour avoir de bons rendements. En cas de sinistre, l’indemnisation est rendue plus facile lorsque l’entreprise possède des documents administratifs sur ses activités. Sans oublier que la formalisation permet une équité dans le paiement des impôts. « Quand vous devez payer le fisc, et vous savez le niveau de chiffre d’affaires que vous avez réalisé et les charges, c’est facile pour les impôts d’être équitables en matière d’imposition. Mais si vous n’avez aucune information, c’est à partir de ce que l’on voit que l’on impose. Et il peut être difficile pour le promoteur de supporter la charge », explique-t-il.
Armelle Ouédraogo/Yaméogo
Lefaso.net
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