Dans le village de Borodougou rattaché à l’arrondissement 4 de Bobo-Dioulasso, dans la région des Hauts-Bassins, un désastre environnemental créé par l’exploitation du sable, met à nu l’impuissance de l’Etat et des collectivités territoriales. Au regard de ses missions régaliennes de protection de l’environnement, l’Etat doit agir pour ne pas se retrouver seul responsable de cette catastrophe environnementale aux conséquences incalculables.
Des excavations pro-fondes. Des champs détruits. Un envi-ronnement, des sols et des structures géologiques en déperdition. C’est substan-tiellement, la physionomie que présente une partie du village de Borodougou situé à quelques encablures de Bobo-Dioulasso, dans la région des Hauts-Bassins sur la Route nationale 1 (RN1).
En ce mois de septembre 2021, la saison des pluies venait de prendre sa retraite. Malgré les risques qu’ils courent, les exploitants du grand site de sable de Borodougou de près de 40 hectares (ha), dans l’arrondissement 4 de Bobo-Dioulasso, composé de nouvelles carrières de sable et semblable à un bassin hydraulique ou aurifère, sont à pied d’œuvre. Ce sont, pour la plupart, des propriétaires terriens, c’est-à-dire, des familles qui gèrent les exploitations sablonneuses, sous prétexte que ce sont des terres ancestrales, au détriment de l’environnement.
Il ne se passe pas une minute sans que des camions-bennes viennent charger du sable issu de la falaise qui prend, en réalité, naissance à Banfora, dans la région des Cascades. Cette falaise s’élève progressivement dans le village mythique de Koro dans la région des Hauts-Bassins, passe par le village de Borodougou et d’autres villages, jusqu’à la frontière avec le Mali où culmine le mont Ténakourou à 749 mètres. C’est une véritable caverne d’Ali Baba qui profite aux remplisseurs de bennes qui s’en tirent avec 5 000 FCFA ou 10 000 FCFA par jour.
Le prix du sable dépend du gabarit de bennes et se situe entre 7 000 FCFA et 18 000 FCFA en plus de 2 000 FCFA comme frais d’exploitation aux propriétaires terriens. Cette mine de sable gigantesque n’ayant jamais fait l’objet d’études environnementales, selon des sources concor-dantes, serait entrée en exploitation en 1994. Elle a pris des galons avec le temps pour devenir aujourd’hui une catastrophe environnementale qui dépasse tout entendement. Et, pourtant, le Burkina Faso dispose de plusieurs mines et carrières dont l’exploitation obéit à des textes fonda-mentaux, notamment en matière d’environnement, nous apprend le Directeur général (DG) de la préservation de l’environnement, l’inspecteur de l’environnement, Roger Baro.
Malheureusement, indique-t-il, l’exploitation de la carrière de Borodougou ne respecte pas l’environnement comme le stipule l’article 25 du Code de l’environnement à savoir : « Les activités susceptibles d’avoir des incidences significatives sur l’environnement sont soumises à l’avis préalable du ministre en charge de l’environnement après la conduite d’une évaluation environnementale ». Aussi, les carrières de sable de Borodougou n’ont pas fait l’objet d’une évaluation environnementale au préa-lable qui allait identifier les risques et de proposer des mesures de mitigation à travers un plan de gestion environnementale et sociale, clame le DG de la préservation de l’environnement.
« L’exploitation des carrières a un impact sur l’environne-ment. Pour qu’il y ait une évaluation environnementale, il faut quelqu’un qui exploite officiellement la carrière. Cette personne morale ou physique peut porter maintenant le projet de l’évaluation environnementale. La personne sera demandeuse de cette évaluation qui est effectuée par le ministère en charge de l’environnement en collaboration avec l’Agence nationale des évaluations environnementales (ANEVE) », explique-t-il.
Les carrières de sable de Borodougou, à l’étape actuelle, sont réellement un problème environnemental, ajoute un responsable des services de l’environnement des Hauts-Bassins qui a requis l’anonymat. « Sur le plan physique, quand vous regardez l’impact sur le terrain, on ne peut pas imaginer comment on peut refaire le relief et la situation du sol. Il y a des risques et des dangers parce que c’est un cratère à ciel ouvert », déplore la même source. Des témoignages font état de morts par noyade dans des endroits métamorphosés en cuvettes.
Sur le plan normatif, aucune étude de faisabilité n’a été effectuée à fortiori un plan de gestion environnementale, appuie le responsable des services environnementaux des
Le DG de la préservation de l’environnement, Roger Baro : « pour qu’il y ait une évaluation environnementale, il faut quelqu’un qui exploite officiellement la carrière ».
Hauts-Bassins. Assis dans son bureau dans les locaux du Bureau des mines et de la géologie du Burkina (BUMIGEB), le chef du Service de la recherche géologique et minière (SRGM), Frédéric Bagoro, par ailleurs, ingénieur géologue adjoint dans la nomenclature du BUMIGEB, nous accueille.
D’un air serein, il donne, d’entrée jeu, les missions dévolues au BUMIGEB qui sont, entre autres, d’améliorer la connaissance géologique, hydrogéologique et minière du Burkina Faso, d’assurer divers contrôles miniers, industriels et environnementaux délégués par l’Etat. Il déplore que les roches soient altérées et présentent des formes géomorphologiques appelées « demoiselles coiffées ». Avec les élèves, affirme-t-il, ce serait difficile de voir les roches sédimentaires (conglomérats, grès grossiers), car il y a une altération du sédimentaire sur les tubes de granit devenus peu rouges.
« Il n’est plus possible de faire des coupes pour observer la succession depuis des granits sains jusqu’à ceux altérés, aux grès avec ces exploitations artisanales. L’eau stagnante est polluée avec l’utilisation des huiles contaminant les eaux de surface avec un impact sur les eaux souterraines. Il y aura la pression des roches les unes sur les autres qui fragilise toute la zone », clame l’ingénieur Bagoro.
L’impuissance des collectivités territoriales
Dans cette situation alarmante engendrée par l’exploitation illégale des carrières de sable de Borodougou, les responsables des collectivités territoriales pleurent à chaudes larmes en même temps que l’environnement ploie sous la férule des exploitants. La mairie de la commune de Bobo-Dioulasso et celle de l’arrondissement 4 de la ville soutiennent qu’elles ne tirent aucun bénéfice de cette extraction sauvage de sable dans la localité, ne serait-ce que pour profiter réhabiliter un jour ce site artisanal minier abritant environ 6 000 fils de dix villages rattachés à la commune de Bobo-Dioulasso (Leguema, Borodougou, Kotédougou, Sogosagasso, etc.).
Un ancien conseiller de Borodougou, joint au téléphone et ayant également requis l’anonymat, avance que la carrière mère de sable débute par l’utilisation du sable pour laver des marmites. Doucement, elle évolue vers une exploitation plus accrue du sable utilisé dans les constructions de bâtiments à Bobo-Dioulasso sous l’œil impuissant des différents maires de la commune de Bobo-Dioulasso : Salia Sanou, Alfred Koussoubé, Bourahima Sanou. « Ils ont essayé des solutions sans succès, car pour y parvenir, il faut des propositions concrètes aux jeunes exploitants et aux milliers de bouches à nourrir », confie-t-il.
L’ex-conseiller de Borodougou rappelle que la zone est dans le Schéma d’aménagement urbain (SAU) et la mairie devrait prendre ses responsabilités. Des conseillers, des maires, des policiers, des gendarmes, des fonctionnaires, des agents collecteurs de Trésor, aux dires de l’ancien élu municipal, ont des bennes sur les sites. « La situation est pourrie. Avec l’argent obtenu, les conseillers battent campagne lors des élections. Si tu donnes deux millions FCFA au village, tu deviens influent. Si tu parles mal au village, ils vont rentrer dans les réalités africaines, les fétiches.
Si tu veux être un conseiller, il faut s’en départir. En tant que maire, le jour que tu vas mettre en application les textes, on met à sac et à plat, ton domicile », lâche-t-il. Les bourgmestres pointent, en réalité, un doigt accusateur sur la loi 034-2009 sur le foncier rural qui compliquerait les choses. Ils soutiennent que les carrières de sable sont des terres rurales appartenant à des particuliers. Pour eux, le maire doit négocier et non imposer parce que ce sont des terres rurales qui, malheureusement, souffrent de l’absence de mécanismes de gestion adéquats, à savoir les Commissions foncières villageoises (CFV) et les Commissions de conciliation villageoises (CCV).
L’ex-maire de l’arrondissement 4, Bakoné Millogo, sans langue de bois, dénonce un manque de volonté publique. Un arrondissement n’est qu’un démembrement de la commune et n’est pas une personnalité juridique qui peut impacter la volonté communale, estime-t-il. « Quoi qu’on dise, nous sommes dans la deuxième grande ville du Burkina Faso régie par des textes. Qu’est-ce que l’on ne peut pas faire avec les lois ? Depuis 2006, le gouverneur avait demandé la fermeture du site au regard des dangers.
Mais, jusqu’à présent, rien n’est fait et la commune aussi ne bénéficie pas des retombées. Nous avons proposé des garde-fous, afin de protéger les riverains. Mais ils n’ont pas été mis en application si bien que les travailleurs de ces sites, notamment les propriétaires des bennes et des terres gagnent de l’argent au détriment de la municipalité », ajoute Bakoné Millogo. Il appuie que des réunions avec des chefs de villages et des CVD ont abouti à des propositions qui n’ont jamais été implémentées à cause de la commune qui ne se serait pas impliquée. « Le départ a été faussé, l’autorité municipale a été impuissante, car il y a eu des délibérations qui n’ont pas été respectées.
Dans mon village, j’ai été chassé. Mes parents m’ont demandé depuis quand suis-je né pour parler de ce problème », regrette-t-il. L’ingénieur en génie civil et ex-conseiller technique à la commune de Bobo-Dioulasso, Pamphile Nignan, peu souffrant, que nous avons rencontré dans l’enceinte de l’Hôtel de ville de Bobo-Dioulasso, relate qu’à l’origine, des carrières de sable de Borodougou étaient des transactions qui ont eu lieu entre des propriétaires de bennes et ceux terriens sans implication de la commune. « Mais, la commune ne s’est pas aussi autosaisie.
Comme la mairie, en amont, n’a pas été impliquée, elle ne percevait rien jusqu’à ce qu’une délibération à un moment donné soit prise. Cependant, son application a posé problème
Des bennes, à longueur de journée, extraient le sable.
laissant un vide. L’application est une volonté politique. Et aujourd’hui, les gestionnaires du terrain ont le dessus sur les autorités », se convainc-t-il. Selon une source bien introduite à la mairie de l’arrondissement 4, face à ce cataclysme environnemental, la mairie ne peut pas prendre une telle décision en raison de la politique politicienne et de la présence de ces exploitations dans d’autres villages.
De la responsabilité de l’Etat
Ce n’est pas un simple responsable régional, martèle une source des services de l’environnement des Hauts-Bassins, qui va pouvoir régler le problème à plus forte raison juguler le phénomène. « Personnellement, j’ai imaginé qu’il faut que l’exécutif national donne de la voix pour indiquer ce qu’il y a lieu de faire sur la base des propositions que les techniciens vont faire. Sinon, un simple responsable régional n’a ni les moyens ni la poigne nécessaire pour venir à bout de cette catastrophe environnementale », assure- t-il. Des gens, à en croire la même voix, ont été interpellés et chaque ministre qui vient ne prend pas de décision forte pour contrer cette catastrophe.
« Il y a eu beaucoup de communiqués qui ont interdit l’exploitation des carrières. Notre stagiaire a été menacé plusieurs fois parce que ce sont des exploitants non lucides qu’il a trouvés sur le terrain », affirme la source environnementale. A entendre l’ex-bourgmestre de l’arrondissement 4, c’est demander à l’Etat de s’impliquer vivement dans l’urgence. « Qu’il se réveille, prenne le taureau par les cornes, recense les populations, les forme et leur trouve des emplois avec la fermeture du site », déclare- t-il. De l’avis de l’ingénieur en génie civil et ex-conseiller technique à la commune de Bobo-Dioulasso, tant que l’autorité n’aura pas un droit de regard sur la situation ou ne prendra pas ses responsabilités, ce serait peine perdue. « Il y a des régimes qui viennent sans coloration politique et qui peuvent prendre des décisions fortes », lance-t-il.
Un mal à remédier
Le chef du SRGM, Frédéric Bagoro : « il n’est plus possible de faire des coupes pour observer la succession depuis des granits sains jusqu’aux granits altérés, aux grès avec ces exploitations artisanales ».
Cependant, les carrières de sable de Borodougou sonnent chez des responsables du village comme un mal nécessaire. Car, Bobo-Dioulasso et sa banlieue auraient utilisé ce sable pour bâtir leurs infrastructures. Le chef du village de Borodougou, Bakary Sanou, reconnaît que les carrières de sable de Borodougou nourrissent des milliers de personnes. « S’il n’y avait pas ces carrières, il y aurait beaucoup de délinquants. Lors de la crise en Côte d’Ivoire, les carrières de sable de Borodougou ont été utiles pour nourrir les déplacés de guerre. Les populations sont favorables à la réhabilitation du site par exemple en pisciculture.
Ce sont des terres de familles qui ne peuvent pas être exploitées gratuitement », prévient-il. Beaucoup d’acteurs sont unanimes qu’il faut que l’Etat songe à réhabiliter les sites avec la contribution des ingénieurs, des artistes au profit des collectivités et des populations. La commune ou les ONG peuvent, fait comprendre l’ancien conseiller de Borodougou, contribuer à la réhabilitation à travers des bas-fonds rizicoles ou des espaces de maraîchage. Avec la coopération chinoise, propose-t-il, on peut, par un Partenariat public-privé (PPP), construire, par exemple, un centre de formation.
« Mais, la répression ne saurait être la solution, car c’est l’ultime espoir pour les exploitants des carrières de ne pas chômer. Il faut donc une approche participative, multidiscipli-naire et multisectorielle», argumente-t-il. Les carrières de sable de Borodougou, en dehors de l’environnement physique, a détruit des sites touristiques du village, notamment la falaise qui se dégrade en même temps que les greniers à grains juchés à leurs flancs. Il est plus qu’urgent, à entendre les collectivités et les structures étatiques, d’en mettre un terme.
Boukary BONKOUNGOU
Flore et faune menacées
La végétation a foutu le camp, avec les carrières de sable de Borodougou. Le continuum que cette zone formait avec la zone touristique des falaises de Péni à Dingasso, en passant par Borodougou dont les reliques sont toujours visibles, est affecté. Le village perché de Koro fait partie aussi de ce continuum qui, malheureusement, est interrompu en raison du grand cratère que présentent les carrières de sable de Borodougou.
Les espèces floristiques et fauniques dans la zone des falaises de Dingasso seraient celles de la localité de Borodougou occupée par les excavations. Ce sont, par analogie, des espèces endémiques, mais aussi des espèces remarquables telles que Albiziadinklagei (Acacia), Acridocarpus chevalieri ou Warneckea fascicularis qui ne se retrouveraient nulle part ailleurs au Burkina Faso. C’est aussi le cas de certaines espèces d’insectes telles que Dicronorhina kouensis ou Stephanorhina guttata.
B.B.
La RN1 affectée
Aucune perspective de réhabilitation n’est pour le moment à l’ordre du jour au niveau du ministère des Infrastructures et du Désenclavement, selon la direction régionale des infrastructures et du désenclavement des Hauts-Bassins. Cependant, des travaux de protection peuvent être envisagés dans la zone contiguë à la route. Une proposition de carrière de remplacement est en examen par les autorités communales ou régionales.
Ce qu’il faut déplorer, ce sont les éboulements qui peuvent survenir en cas de fortes pluies et de trafics denses. La proximité d’un gouffre avec une route à fort trafic est également à craindre, car elle détourne l’attention du conducteur automobile sous l’effet de la surprise, de la même manière que l’usage d’un téléphone mobile dans la conduite.
B.B.
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