« Aucune loi ne saurait fixer le nombre de partis politiques au Burkina Faso. Une régulation en revanche pourrait empêcher leur prolifération ». C’est ce qu’explique en substance dans cette entrevue qu’a accordée le Pr Abdoulaye Soma à Lefaso.net, le jeudi 19 janvier 2023 à Ouagadougou. Il donnait son avis d’expert des questions juridiques sur le projet de réforme politique au Burkina Faso, du président de la transition, Ibrahim Traoré. Professeur de droit public, c’est en plein cours de droit constitutionnel général dispensé dans une université, que nous avons rencontré le juriste et homme politique burkinabè.
Lefaso.net : Le président Ibrahim Traoré a annoncé devant les étudiants de l’université de Ouagadougou un projet visant à réduire le nombre de partis politiques au Burkina. Y-a-t-il nécessité de diminuer selon vous, le nombre de partis politiques ?
Pr Abdoulaye Soma : La manière de faire la politique dans un pays doit servir à sa stabilité et à sa prospérité. Mais l’on se rend compte qu’au Burkina Faso, la manière dont les règles du jeu politique sont rédigées et la façon selon laquelle ces règles sont appliquées par les acteurs, ont conduit à une prolifération des partis politiques, créant ainsi, une sorte de désordre politique et constitutionnel. Alors toute autorité aurait raison de vouloir réfléchir sur la reforme du cadre politique au Burkina Faso, notamment la réduction du nombre de partis politiques. Je pense en ce sens, qu’il est tout à fait nécessaire d’y penser. Parce que pour une population d’à peu près 20 000 000 de personnes avec un corps électoral de près de 10 000 000 de personnes, nous avons environ 200 partis politiques. Dans la démocratie, il est tout à fait possible de faire en sorte que le nombre de partis soient restreint. Mais de manière subtile.
Limiter le nombre de partis n’est-il pas anticonstitutionnel ?
Il est évident qu’au regard de notre constitution, on ne peut avoir une disposition qui fixe d’emblée juridiquement le nombre de partis dès le départ. Cette loi serait contraire à la constitution. En effet, à l’article 165 de la constitution, on a prévu que le multipartisme n’est pas révisable. Mais on peut avoir une régulation qui permet d’empêcher la prolifération des partis politiques.
Il s’agira de revoir les règles de création, de contrôle et de financement des partis politiques par exemple. C’est avec le jeu subtil de ces règles que l’on pourra aboutir à une rationalisation des partis.
Y-a-t-il selon-vous des insuffisances dans la gestion des partis politiques au Burkina Faso ?
Je pense qu’il y a beaucoup d’insuffisances dans la gestion des partis politiques et dans l’application des textes d’un parti politique. En illustration, le contrôle de la conformité d’un parti politique à ses missions constitutionnelles n’est pas opéré. Parce qu’il est prévu à l’article 13 de la Constitution, un certain nombre de fonctions, de rôles et d’activités que les partis doivent mener pour conserver leur statut. Mais il n’y a aucun contrôle sur les partis politiques pour vérifier s’ils se conforment à leurs obligations constitutionnelles. Ce qui fait qu’on a certainement des partis politiques qui sont sur la liste officielle mais qui ne répondent pas forcément aux exigences constitutionnelles. Il faudrait alors commencer par mettre du sérieux dans le contrôle des dispositions constitutionnelles qui encadrent les partis politiques.
La qualité de la démocratie d’un pays est-elle tributaire du nombre de partis politiques dans ce pays ?
La qualité de la démocratie n’est pas nécessairement tributaire du nombre de partis politiques. On a des États comme les États-Unis, l’Angleterre, l’Allemagne où le nombre de partis est très maîtrisé sans que cela n’impacte négativement leur démocratie. Tout comme il y a des États comme la France où le nombre de partis est plus élevé mais on ne peut aucunement insinuer que cela lui confère une mauvaise démocratie.
Certaines personnes pensent que l’État doit stopper le financement des partis politiques. D’autres, qu’il doit plutôt durcir les conditions de création…Partagez-vous cette idée ?
De prime abord, je pense que le financement des partis politiques est discriminatoire. Parce que le financement des partis politiques est lié au nombre des sièges que possède un parti à l’Assemblée nationale. Évidement quand vous observez, vous verrez qu’il n’y a que trois ou quatre partis politiques qui captent l’ensemble des financements. Ce qui fait qu’un parti créé à l’issue des élections ne peut bénéficier de financement. Il est donc bon de savoir que tous les partis politiques ne bénéficient pas de ce financement. J’avais déjà pris position lors de la campagne présidentielle pour dire que je suis tout à fait favorable à la suppression du financement des partis politiques parce que je crois que ce financement crée une distorsion dans le poids des partis politiques.
En exemple, l’on se rappelle selon les derniers chiffres, qu’un parti comme le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) s’était retrouvé avec 300 millions de francs CFA, comparé à un parti qui vient de naître et qui n’a donc pas droit au financement. Cela crée un déséquilibre dans le jeu électoral et dans le poids des partis politiques. Alors que si on supprime définitivement ce financement pour tout le monde, cela va contribuer à objectiver les moyens que les partis peuvent débourser pour leur propre fonctionnement.
Le président de la transition Ibrahim Traoré a aussi annoncé une réforme globale de la politique burkinabè. Qu’est-ce qu’il faut concrètement changer pour vous ?
Je pense qu’il faut d’abord réviser la constitution pour fixer le meilleur cadre que nous souhaitons avoir en termes politique. C’est-à-dire définir le profil de l’homme politique type, définir le profil du parti politique type dans la constitution. Cela suppose d’imposer les conditions constitutionnelles aux leaders politiques et aux partis politiques. Et toutes ces obligations doivent véritablement être contrôlées par le Conseil constitutionnel. Ainsi, en fonction de ces conditions constitutionnelles, des lois peuvent être adoptées sur la politique. On peut donc avoir une loi organique sur la politique au Burkina Faso. C’est pourquoi je pense que nous sommes actuellement en retard sur le chantier de la refondation. Que ce soit sous la transition de l’ex président Paul Damiba ou celle de l’actuel chef d’État Ibrahim Traoré, les deux ont parlé de la nécessité de refonder.
Car tout ce que l’on veut faire doit se faire par des règles de droit et la première de ces règles est la constitution. Tant qu’on n’a pas calibré le renouveau constitutionnel, on ne peut rien calibrer avant. J’appelle donc les autorités en place, spécifiquement le chef de l’État à engager le chantier de la refondation constitutionnelle en faisant en sorte que les options constitutionnelles qui en ressortiront soient consensuelles. C’est-à-dire avec l’association des différentes forces vives de la nation.
Interview réalisée par Hamed NANEMA
Vidéo : Auguste PARÉ
Lefaso.net
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