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Le noyautage grandissant de la transition par des religieux : un risque d’engrenage inextricable

L’auteur du texte ci-contre s’inquiète des relations « vénéneuses » que des groupes religieux entretiendraient avec le MPSR2 et qui pourraient fragiliser le processus démocratique dans notre pays

Au Burkina, les connexions politico-religieuses supposées ou réelles ne datent pas d’aujourd’hui. L’histoire coloniale et postcoloniale regorgent de faits attestant de cela mais prenons comme premier point de repère le 25 novembre 1980, jour de la chute de la IIIe République présidée Sangoulé Aboubacar Lamizana.

Au lendemain du coup d’Etat conduit par le colonel Saye Zerbo à la tête du Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN), le regretté cardinal Paul Zoungrana, archevêque métropolitain de Ouagadougou, avait dit, en substance, que le changement de régime était le signe de l’action d’un Dieu qui aime la Haute-Volta.

Il a reçu, pour ce faire, une volée de bois de la part de l’opinion publique de l’époque fortement influencée par les milieux syndicaux et étudiant dont les enseignes idéologiques étaient gauchisantes, voire communistes. Et pourtant, le numéro un du CMPRN était un musulman. L’appartenance religieuse ne disputait pas la première place en termes d’identité à la citoyenneté comme c’est le cas de nos jours pour deux raisons au moins : les poids démographiques des différentes religions étaient plus ou moins équilibrés et les idéaux politiques de justice et de progrès étaient les valeurs cardinales à l’ordre du jour.

Mgr le cardinal Paul Zoungrana et le CMRPN

En effet, la gouvernance débonnaire et parfois laxiste de la IIIe République avait fini par excéder la plupart des Voltaïques et, pour beaucoup d’entre eux, le putsch a été une sorte de délivrance au regard de ce qui se disait dans la rue et des lettres de félicitation spontanées que recevait le CMRPN de la part des Voltaïques des villes et des campagnes et qui étaient lues sur les antennes de Radio Haute-Volta.

Le prélat s’est probablement inscrit dans cette dynamique mais malheureusement sa prise de position avait vite été liée au fait que son frère cadet Alexandre Zoungrana était ministre chargé de la fonction publique du CMRPN. Il importe également de relever que la proximité de Joseph Ki-Zerbo et son parti, le Front progressiste voltaïque (FPV), avec l’Eglise catholique d’une part et d’autre part le fait pour celui-ci d’adouber le CMRPN dont le gouvernement comptait des ministres FPV n’ont pas non plus facilité les choses.

C’est dire que malgré les polémiques, politiciens civils et militaires et religieux ont entretenu ou entretiennent peu ou prou des relations qui, a priori, ne sont pas blâmables et sont, sur bien des plans, des initiatives à encourager pour peu qu’elles participent d’une meilleure gouvernance de la cité. En outre, aucune de nos lois ne l’interdit. Que des adeptes ou des leaders d’une religion décident de soutenir un chef d’Etat, un système politique, il n’y a rien à dire en principe.

Le messianisme dangereux dont est investi Ibrahim Traoré

Toutefois, il est humainement fondé et légitime de s’inquiéter lorsque l’on entend s’élever de certains milieux musulmans et évangéliques les discours selon lesquels le chef de l’Etat a été envoyé par Dieu, que qui ose critiquer ses actions s’opposent à Dieu, qu’il devrait emprisonner voire tuer ses contradicteurs, que les élections ne sont pas une priorité et que l’échéance de la transition qui est de juillet 2024 ne doit plus être à l’ordre du jour. C’est, somme toute, logique puisque le messianisme procède d’un dogmatisme qu’il serait mal venu de contester. Or, en République, les règles de droit doivent être l’aboutissement de débats démocratiques adossés à des textes qui en régissent le fonctionnement. Ce sont donc deux perspectives totalement opposées.

Les inquiétudes sont d’autant plus justifiées que nous ne vivons pas dans un Etat théocratique islamo-évangélique mais dans un Etat laïc (même si nous n’avons pas encore donné de façon consensuelle et adaptée au Burkina un contenu sémantique approprié au concept de laïcité).


Autres faits subsidiaires qui suscitent des appréhensions, l’arrestation, bien appréciée par certains serviteurs, de deux (02) communicateurs et de cinq (05) ans activistes de la société civile dont le crime est d’être critiques à l’endroit du régime Traoré.

Certes, pour les autorités judiciaires, ils sont dans les liens de la détention pour incitation à attroupement, mise en danger de la vie d’autrui et complicité par non-dénonciation de délit mais deux remarques s’imposent : premièrement il est curieux de constater que lorsque le Moogho Naaba Baongho a été vilipendé les 1er, 02 et 03 octobre 2022 sur les réseaux sociaux par les soutiens du capitaine Ibrahim Traoré au prétexte qu’il serait contre ce dernier parce qu’il est un non-Moaga, aucune action judiciaire n’a été entreprise contre les propagateurs de telles insanités.

Le Moogho Naaba Baongho ne doit pas se laisser prendre à ce jeu qui est loin d’être sain. Deuxièmement, personne n’est dupe car il est minutieusement mis en œuvre une politique de musèlement, d‘intimidation ou d’achat de conscience à l’endroit des Burkinabè qui, même s’ils peuvent être dans l’erreur, considèrent qu’il est de leur droit imprescriptible d’exprimer leurs opinions sur la conduite des affaires de l’Etat. Il faut ajouter à cela les redressements fiscaux aux motivations politiques dont vient d’être victime le bimensuel L’Événement devenu un véritable poil à gratter pour les capitaines. Il semble que d’autres médias critiques vis-à-vis du MPSR sont dans le collimateur des services fiscaux sur injonction de qui on peut imaginer.

En outre, la légitimation religieuse de la transition (qui a un début et donc nécessairement une fin) et le messianisme conféré au capitaine Ibrahim Traoré (malgré ses insuffisances de résultats sur le terrain de la lutte contre le terrorisme) sont des intentions avouées d’imposer aux Burkinabè un régime au mieux autoritaire et au pire totalitaire qui compte actionner toutes les manettes de l’appareil d’Etat pour demeurer au pouvoir. Le pire des risques que nous courons est donc le noyautage grandissant de la transition par les responsables religieux et les confessions religieuses en général. Même si les intérêts qu’ils défendent peuvent épouser de temps à autre les contours de l’intérêt général, ceux-ci existent dans le but de défendre d’abord et de promouvoir prioritairement des intérêts de groupe. Entretenir des relations de la nature de celles qui les lient aujourd’hui aux autorités de la transition, c’est choisir délibérément de s’engouffrer dans un engrenage d’où on ressortira difficilement.

Dans un Etat comme le nôtre, les groupes d’intérêt ou de pression confessionnels (quels qu’ils soient) peuvent être tout aussi (sinon plus) dangereux que le tribalisme, l’ethnicisme, l’ethnisme qui fondent la gestion de la collectivité sur l’appartenance communautaire, ethnique, régionale… C’est pourquoi les thèses du fait majoritaire et des injustices historiques dont les musulmans seraient victimes pour légitimer le soutien inconditionnel que tout musulman doit apporter à I. Traoré et l’invite à lui adressée d’anéantir ses contradicteurs révèlent les dangers à vouloir faire du religieux dans le politique ou du politique dans le religieux dans un environnement majoritairement analphabète ou insuffisamment instruit pour comprendre les exigences de la démocratie.

Plus vite nous en serons conscients, mieux cela vaudra pour nous !

Seydou DIARRA

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