Longtemps considérée comme une activité de niche, l’agriculture hors sol est en passe de devenir une option sérieuse pour améliorer la situation alimentaire et nutritionnelle. Les villes de Kaya et Bobo-Dioulasso donnent déjà l’exemple.
Au secteur n°4 de la ville de Kaya, à quelque 200 m du goudron se trouve une concession comme toutes les autres. Il faut pousser le portail rouge à l’entrée pour se retrouver dans un autre univers. Protégé par des moustiquaires usagers, un jardin se déploie à la vue du visiteur, sur un sol désespérément latéritique et sec. Des plants de gombo, oseille, aubergine sauvage et même quelques épis de maïs se dressent dans des contenants atypiques. Il s’agit de morceaux de bidons, de seaux, de pneus, des paniers et des sacs de 25 kg de riz hors d’usage.
Bienvenue sur le site de production de cultures hors sol de l’association Bark Zaka ! A l’origine de cet écrin de verdure, une équipe dynamique de femmes conduite par Rasmata Ouédraogo. « Mon amour pour la verdure m’a poussée à engager les membres de l’association dans la culture hors sol. De plus, les résidus issus de notre production de soumbala indisposaient nos voisins sans que nous ne puissions rien y faire. Alors, suite à une formation à la culture hors sol, je me suis dit qu’ils pouvaient servir de substrat pour produire des légumes», explique la présidente de l’association Bark Zaka.
Une option gagnante, en témoignent les nombreux avantages. Bark Zaka approvisionne désormais en légumes verts les commerçantes du grand marché de Kaya. Très reconnaissantes, « Les nouvelles jardinières », à l’image de Awa Bamogo, originaire de Barsalogho en parle avec joie. «La culture hors sol est une vraie découverte. Nous sommes arrivés à Kaya sans rien et nous passions nos journées sur le site à ne rien faire. Mais depuis la découverte de cette activité, nous avons une occupation et le sentiment d’être utiles. En plus, nous améliorons les repas de la famille et gagnons de l’argent pour satisfaire nos besoins », confie-t-elle.
Larba Sawadogo, qui a dû fuir Namisguima est chaque jour émerveillée de constater que l’on peut faire pousser des légumes sur un petit espace. «Je suis heureuse surtout d’avoir de l’oseille à longueur d’année et d’en avoir fini avec les sauces claires (sauce dénuée d’ingrédients, ndlr). Régulièrement, j’en cueille pour le plus grand bonheur du chef de famille », poursuit-elle, sourire aux lèvres. La culture hors sol ou agriculture hydroponique n’est pas une pratique si nouvelle. De nombreuses familles l’expérimentent depuis longtemps, à travers les pots de fleurs ou de plantes aromatiques.
Cependant, c’est à partir des années 2000 qu’elle connait un regain d’intérêt au Burkina Faso. Elle se distingue de l’agriculture conventionnelle par le fait que les plantes ne sont pas en contact direct avec le sol. Les plants poussent sur un substrat neutre et inerte (fibres de coco, coque d’arachide, copeaux de bois, billes d’argile, les balles de riz, etc.).
Le chef de service provincial des aménagements et de la production agricole du Sanmatenga, Sékou Fofana, assurant l’intérim du directeur provincial, soutient que l’agriculture hydroponique comporte de nombreux avantages tels que l’élimination des problèmes liés au sol, la mobilité du dispositif, la simplification et l’optimisation des techniques de culture et de préparation du sol, l’amélioration de la qualité marchande des produits, l’augmentation du rendement et le gain de précocité.
Le point focal de l’agriculture hors sol au GAFREH, Zénabo Ouédraogo: « la tomate est beaucoup exposée et nous n’avons pas les techniques pour les contrer. Mais nous avons entamé une deuxième phase de formation pour apprendre à les maitriser ».
L’ingénieur d’agriculture ajoute qu’il est possible de produire partout et de mieux maitriser l’eau avec l’agriculture hydroponique. « Vu le contexte sécuritaire et les aléas climatiques, il faut reconnaitre que la situation alimentaire n’est pas simple dans la province du Sanmatenga. On a des déficits. Des initiatives telles que le hors sol vont contribuer à combler les pertes de terres cultivables et augmenter la production », a-t-il assené.
La province du Sanmatenga est celle qui accueille le plus grand nombre de Personnes déplacées internes (PDI). Le Sanmatenga occupe, en effet, la première place du top 5 des provinces d’accueil avec 316 265 PDI, selon les chiffres rendus publics par le secrétariat permanent du CONASUR le 31 mars 2023. Celles-ci sont essentiellement hébergées dans des familles d’accueil et quelques sites disséminés à travers la ville.
Une option sérieuse
Ce déplacement massif a comme corollaire l’abandon de terres cultivables et une fragilisation du système d’approvisionnement des populations. A l’échelle du pays, le ministre de l’Agriculture, des Ressources animales et halieutiques, Dr Dénis Ouédraogo, a annoncé le 24 avril 2023 que 2 195 758 personnes sont en situation de crise alimentaire en 2023, y compris les Personnes déplacées internes (PDI), soit environ 9,9 % de la population.
Cette situation convainc M. Fofana que le développement de la culture hors sol est une option sérieuse pour pallier l’inaccessibilité des terres et améliorer la situation alimentaire et nutritionnelle dans la région du Centre-Nord et partout au Burkina Faso. D’ailleurs, des partenaires techniques et financiers ont également saisi la pertinence du développement de l’agriculture hors sol dans un contexte comme celui de la région du Centre-Nord.
Le directeur provincial par intérim en charge de l’agriculture a révélé que la province bénéficie de l’appui de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) pour l’implantation de 3 serres destinées à la culture hors sol. «Il s’agit de serres de 250m2. Il y a une à Mané, une à Pibaoré et une autre en cours de réalisation au quartier Rimassa, secteur n°6 de Kaya», précise-t-il. Le gouvernement assure le lead de la vulgarisation de l’agriculture hydroponique dans la province avec l’implantation d’une serre de 2 000m2 à Tanlouka à l’entrée de la commune de Boussouma.
Un consortium de 118 associations dans le coup !
« L’intérêt de la culture hors sol n’est plus à prouver. Ce que nous voulons maintenant, c’est un soutien pour installer un marché destiné aux légumes verts uniquement », explique Rasmata Sawadogo.
Dans la région des Hauts-Bassins, les femmes du Groupe d’action des femmes pour la relance économique du Houet (GAFREH), un consortium de 118 associations, dont l’expertise est reconnue dans la transformation du plastique recyclé en objets utilitaires, ont flairé le fort potentiel de l’agriculture hydroponique. «Suite à l’adoption de l’arrêté interministériel portant interdiction d’importation et de transformation des sachets plastiques, nous avons réalisé que le gouvernement va nous aider à stopper la prolifération des sachets plastiques.
Il est donc question de travailler à ce que les femmes continuent à avoir des activités génératrices de revenus lorsqu’il n’y aura plus de sachets dans les rues », explique le point focal de l’agriculture hors sol au sein du GAFREH, Zénabo Ouédraogo. Ainsi, elles ont commencé en 2022 la production de la tomate sous une serre au secteur n°25 de Bobo-Dioulasso, dans le cadre d’un projet financé par « SHARED INTEREST », une ONG anglaise.
La formation, clé du succès
Cependant, très vite, elles ont été confrontées à un certain nombre de difficultés. «Au début, la tomate a bien donné et c’était beau à voir, mais entre-temps nous avons eu des
attaques. C’était devenu alors la croix et la bannière», déplore une des jardinières, Bibata Ouédraogo. Tout de même pour Zénabo Ouédraogo, il y a des motifs de satisfaction, vu que 3 625 kg de tomates ont été récoltées lors de cette phase pilote et ont rapporté 1 812 500FCFA comme recettes.
Les femmes du GAFREH restent engagées pour la réussite du projet. Elles ont compris que la clé de la réussite passe par la maitrise des techniques. Lors de la visite de l’équipe, elles étaient en formation sur l’entrepreneuriat agricole. Avec la formation que l’on suit actuellement, nous nous rendons compte des erreurs que nous avons commises lors de la phase pilote et réalisons aujourd’hui ce qu’il faut faire en cas d’attaque, commente Salimata Sanon, membre de la cellule féminine de l’association Fraternité des personnes handicapées.
Le directeur provincial du Sanmatenga en charge de l’agriculture par intérim, Sékou Fofana : « la culture hors sol nécessite de la technicité et pour cela, la formation des producteurs est
essentielle ».
«C’est une activité rentable pour une personne handicapée parce qu’elle n’a pas besoin de faire beaucoup d’efforts une fois dans son fauteuil roulant. L’accessibilité est plus facile dans les serres que dans un champ classique. Sur le plan des revenus, une femme en situation peut percevoir beaucoup plus d’argent en agriculture hors sol qu’en agriculture conventionnelle », poursuit-elle. La problématique des substrats est aussi primordiale pour le passage à l’échelle de l’agriculture hydroponique.
A ce sujet, les spécialistes conseillent de tenir compte de la disponibilité des substrats disponibles en fonction de son lieu de production. Si à Kaya, les coques d’arachides semblent prisées, à Bobo- Dioulasso, ce sont plutôt les fibres de coco. Ces dernières sont importées, ce qui augmente les coûts de production. Patricia Nikiéma/Dah, dont l’exploitation est située dans son arrière-cour, fait office de cas d’école, pour la qualité de ses produits.Elle lance un appel à tous les fabricants à mettre sur le marché des terreaux bio à des prix plus abordables que la fibre de coco qu’elle utilise actuellement.
Bien que peu gourmande en eau, l’agriculture hors sol en exige tout de même un minimum. De ce fait, la présence d’un forage est aussi une des conditions de réussite pour ceux qui veulent exploiter de plus grandes superficies. « Toute l’installation, les semences et le matériel m’ont coûté 1,8 million FCFA. Je n’ai pas encore pu rentabiliser cet investissement à cause de l’exiguïté de mon exploitation et surtout le manque de forage. Mais je reste confiante », soutient avec détermination Mme Nikiéma, surtout qu’elle a fait le choix de ne produire que des légumes bio.
La présidente de Bark Zaka affirme que si elle bénéficie de soutien pour implanter des forages sur les différents sites de production, l’association pourrait répondre aux sollicitations d’emplois des femmes PDI qui souhaitent y travailler. « Nous avons des sites de production d’1 ha sur lesquels nous pouvons employer un plus grand nombre de femmes PDI. Elles pourraient y travailler dans la journée et repartir le soir avec des condiments. Cela leur permettra aussi d’avoir un revenu en vendant leurs productions au lieu de mendier dans la ville, mais hélas », s’exclame-t-elle.
Nadège YE
Kouwanou Eric Pascal Adanabou, directeur régional de l’agriculture des Hauts- Bassins, ingénieur agronome « L’avantage est que l’on produit à tout moment »
Sidwaya (S) : Quel est l’intérêt de l’agriculture hydroponique?
Kouwanou Eric Pascal Adanabou(K.E.P.A.) : Avec la pression foncière et la crise sécuritaire qui obligent les populations à fuir leurs villages sans compter que la population augmente chaque année, il est impératif de développer des initiatives. Il faut de plus en plus s’orienter vers la culture hydroponique. L’avantage est que l‘on produit à tout moment, plus de limites par rapport aux caprices pluviométriques et l’eau est mieux maitrisée. Cependant, l’agriculture hors sol n’est pas de l’agriculture bio. Mais Si l’on veut faire du bio c’est plus facile, car on a une meilleure maitrise des paramètres. Essentiellement ce sont les cultures maraichères qui sont plus adaptées, mais il est possible de tout produire en hors sol. On peut aussi la pratiquer sous serre ou à l’air libre, pour vous dire que ce n’est pas une nouvelle activité. c’est juste que maintenant les acteurs ont innové avec la mise en place de serre. En ce moment, il y a des sachets spécifiques, des substrats également comme les fibres de coco, l’herbe, les coques d’arachides. Le bémol actuellement c’est l’absence de statistiques sur les productions hors sol.
S : Est-ce une solution fiable pour atteindre l’autosuffisance alimentaire et nutritionnelle?
K.E.P.A.: Oui totalement, si c’est bien fait ! C’est une bonne alternative et il faut même que l’on passe par elle si l’on veut atteindre l’autosuffisance alimentaire et nutritionnelle. On peut pratiquer la culture hydroponique en milieu naturel ou sous serre. Les rendements des cultures sous serre sont souvent très élevés. Car tous les paramètres sont contrôlés. Nous sommes déjà dans ce processus et cela apparait dans nos lettres de mission. Il n’y a pas ce lopin de terre qu’on ne peut pas mettre en valeur. Je voudrais souligner que le ministère dote les PDI qui ont réussi à avoir des terres en intrants. Pour celles qui n’ont pas de terre, la promotion de la culture hydroponique me parait une bonne solution.
S : Quelles sont les conditions à réunir pour transformer le potentiel en résultat ?
K.E.P.A. : La culture hors sol reste peu connue, donc il faut la promouvoir. Il faut donc bien former les acteurs de l’agriculture hors sol.
N.Y.