Politique

Burkina/Assises nationales : Vers le pire scénario pour un débat national, l’absence de certains protagonistes

On se demandait si le tropisme malien n’amènerait pas le pouvoir à oublier un engagement pris avec son peuple ? Mais il a choisi de ne pas suivre Bamako et de tracer sa propre voie en convoquant des assises prévues pour le week-end prochain, les 24 et 25 mai 2024. À part une annonce laconique disant qu’elle ressemblera à ce qui s’est passé en octobre 2022, on ne sait encore rien de ce grand rassemblement national dont les Burkinabè attendent beaucoup. Le MPSR2 va-t-il reconduire ceux-là qui ont participé aux premières assises alors que des voix s’élèvent pour dénoncer la trop forte représentation du pouvoir et des forces de défense et de sécurité ?

Ne faudrait-il pas faire une place plus importante aux femmes qui portent le plus lourd fardeau de cette guerre, se demandent d’autres ? De quoi va-t-on débattre ? Est-ce seulement pour prolonger le bail du MPSR2, sans discuter de son action, de ce qu’il a bien fait et moins bien fait ? Si discussion il y a, ne faudrait-il pas un bilan qui donne les chiffres et qui explique comment l’action a été conduite et la philosophie qui la sous-tend ? Voilà quelques-unes des questions encore sans réponse à la veille de l’ouverture des assises. Le camp de l’ancienne majorité présidentielle, l’Alliance des partis et formations politiques de la majorité présidentielle (APMP) qui a participé aux assises précédentes, a, dans un communiqué du 22 mai 2024, demandé le report des futures assises et la satisfaction de préalables qui conditionnent sa présence. À moins de 48 heures de l’ouverture des assises, le suspense est total sur leur tenue, la présence de certaines forces vives convoquées, etc. Que va-t-il se passer maintenant ?

Le syndrome du dialogue inter Malien plane sur les assises nationales. Si Bamako et Ouagadougou sont proches, c’est aussi par la peur et la détestation que ces deux juntes militaires éprouvent pour les partis politiques. Si on essaie d’y voir de près, des assises nationales ne peuvent pas ne pas être considérées comme une action politique. La preuve qu’elles touchent à la politique, qu’elles concernent la politique est qu’on y invite des partis politiques. Et là où cela coince, c’est qu’en même temps, les activités politiques sont interdites par le maître de céans. Quoi de plus normal pour les partis politiques qu’ils demandent une normalisation de leurs activités, la levée de la suspension des activités politiques pour se rendre à ce banquet républicain ? C’est une précaution qui n’est pas superfétatoire, car à l’élaboration de la charte de la transition et la désignation de son président, les activités politiques n’étaient pas suspendues. Et de l’eau a coulé sous les ponts faisant du pays un havre pour les meetings et marches des partisans du pouvoir et un enfer où les machettes s’aiguisent et la haine se répand sur les réseaux sociaux pour les autres s’ils veulent manifester, se réunir…

Se parler pour construire la paix entre nous et faire la guerre à nos ennemis

Les assises nationales sont une rencontre nationale où tout ce beau monde doit se parler, se mettre d’accord et prendre des décisions. Pour se parler vraiment, il faut une certaine reconnaissance de part et d’autre, un respect mutuel, pour écouter et entendre l’autre. Laisser l’autre s’exprimer par ses mots, reconnaître son droit d’opiner sur la manière de gérer le pays, c’est aussi se parler. Peut-on s’asseoir ensemble si on n’est pas tous égaux devant la loi, si l’on se suspecte respectivement d’être des apatrides, et des Wayignans ? Si nous échouons à nous parler pour s’entendre sur notre avenir, sur la guerre à laquelle nous sommes confrontés et comment la mener, nous aurons réussi à créer entre nous derrière les lignes de nos combattants, une autre guerre qui aura pour bénéficiaire les groupes terroristes.

Si rencontre il y a, il faudrait qu’elle serve à quelque chose, sinon nous jouerons nous-mêmes avec notre destin. Nous aurons rassemblé pendant cette guerre des responsables, des pères et mères de familles qui n’auront rien apporté au pays pendant deux jours. Les autorités ont annoncé leur désir de l’organiser, ce qui est une bonne chose qui ne sera d’autant meilleure que si elle parvient à emmener de la cohésion sociale dans le pays et un peu de paix dans les cœurs. Pour cela, il faudrait que le pouvoir écoute ce qui se dit, s’écrit et se commente sur ces assises.

Les attentes sur les questions à débattre

Les observateurs et analystes politiques sont unanimes sur la situation du pays qui est à un niveau des plus bas au plan de la cohésion sociale. Des inquiétudes sérieuses existent sur la gouvernance démocratique et les libertés. Le pays est gouverné par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration, deuxième du nom, depuis le 30 septembre 2022. Le MPSR2 a remplacé une junte qui avait pris le pouvoir 8 mois plus tôt en renversant le président Roch Marc Christian Kaboré jugé incapable de lutter contre les groupes terroristes. La question de la lutte contre le terrorisme est toujours au centre des préoccupations du pays et a été donnée comme mission première aux autorités de la transition à l’issue des assises nationales du 14 octobre 2022. Cette transition qui s’est placée dans la continuité de la première a accepté le délai contractuel que celui-ci avait pris pour l’organisation des élections en juillet 2024. Cette mission était la dernière des priorités contenues dans la charte.

A l’orée de l’échéance de cette transition, le pays n’est pas préoccupé, comme certains veulent le faire croire, par des élections ou le remplacement du capitaine Ibrahim Traoré, mais par son avenir. Où allons-nous dans cette guerre ? Quel est le point de la reconquête du territoire ? Combien de personnes déplacées internes compte le pays ? Combien d’elles sont retournées chez elles ? Que faire contre les massacres de populations civiles que cette guerre occasionne ? Concernant la guerre, y a-t-il dans la stratégie du MPSR2 une petite place à la négociation et avec qui ? La cohésion sociale et la réconciliation nationale font partie des missions de la charte, où en sommes-nous ? Peut-on considérer comme des ennemis tous ceux qui ont des points de vue critique et qui ne partagent pas les opinions des partisans du pouvoir ? Ne peut-on pas abandonner cette guerre contre les personnes non armées, la presse, la justice et les syndicats ? Ce faisant a-t-on besoin de créer des citoyens qui ont tous les droits de marcher, d’organiser des meetings parce qu’ils soutiennent le pouvoir de la transition et ceux qui ne les ont pas parce qu’ils pensent autrement ?

Les attentes étaient que les assises nationales soient le lieu de discussions de ces multiples préoccupations entre Burkinabè de toutes tendances et de tous bords politiques et idéologiques. Est-ce possible que des Burkinabè s’asseyent et discutent sans violence des questions touchant à l’avenir de leur pays ? La réponse est pour le 25 et 26 mai 2024.

Si ces assises devraient ressembler à celles de 2022, est-ce qu’elles auront un sens et une portée cathartique sur la situation que nous vivons ? Il y a plus important que la prolongation de la transition et du mandat du président de la transition, c’est de discuter ensemble entre Burkinabè de manière inclusive sur tous les sujets qui nous concernent. C’est cela prendre la responsabilité de notre destin et de notre vivre ensemble. Si nous échouons, de grâce ne cherchons pas de boucs émissaires faciles du genre c’est la faute aux impérialistes, à leurs valets locaux et aux esclaves. C’est la faute à nous Burkinabè qui n’aimons pas nos frères. Nous serons tous coupables, incapables de nous unir face au danger de désintégration du pays et qui passons notre temps à nous battre entre nous, pendant que la pluie nous bat.

Sana Guy
Lefaso.net

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