Economie

Crise sécuritaire et vie des entreprises : « Les opportunités sont indissociables des difficultés » (Lassina Ouattara, homme d’affaires burkinabè au Congo)

Arrivé au Congo (Brazzaville) en novembre 2001, en provenance de la « cité de Sya », Bobo-Dioulasso, d’où il est natif, Lassina Ouattara est actuellement une des grandes figures du monde des affaires au pays de Denis Sassou-Nguesso, en Afrique centrale et dans bien d’autres contrées. Jeune, discret et très dynamique, l’homme d’affaires est également nanti de plusieurs spécialités, dont celle liée à la prospective stratégique et au management des PME. C’est d’ailleurs sous cette casquette que Lassina Ouattara, dont le début pénible fut un cas d’école, a bien voulu se prononcer sur la vie des entreprises, voire l’entrepreneuriat, dans le contexte sécuritaire actuel du pays.

Lefaso.net : Quel est le rôle d’un spécialiste en prospective stratégique et management des PME (petites et moyennes entreprises) ?

Lassina Ouattara : Un spécialiste en prospective stratégique et management des PME diagnostique, analyse, interprète les facteurs endogènes et exogènes de l’environnement dans lequel évolue une entreprise, afin d’identifier les menaces et les opportunités présentes dans son écosystème. Les variables sont réparties en deux grands groupes, les variables motrices et les variables dépendantes.

Que représente le volet prospective stratégique et management pour une entreprise et à quel moment doit-il intégrer la vie de l’entreprise ?

La prospective stratégique et management est un volet capital pour l’entreprise, qui intervient sciemment ou inconsciemment dès la création même de l’entreprise, car c’est un outil de pilotage opérationnel et stratégique qui contribue énormément à bâtir l’avenir de l’entreprise.

A quelles entités s’adresse l’action du spécialiste en prospective stratégique et management, et comment se font les interventions ?

Le spécialiste en prospective stratégique et management peut, de façon globale, s’adresser à toute organisation sociale (les entreprises, les collectivités locales, les écoles et universités, et même les départements ministériels et leurs directions générales). L’intervention du spécialiste est fonction du besoin de l’entité, et elle diffère d’une entité à une autre, selon qu’il s’agit d’apporter une solution à un problème patent ou de définir des approches de solutions permettant au développement futur de l’entreprise.

Dans une entreprise, à qui incombe la démarche prospective … ; aux responsables ou à l’ensemble du personnel ?

La démarche prospective est transversale, elle incombe principalement aux responsables d’entreprises et aux cadres supérieurs qui veillent sur la mise en œuvre de la démarche prospective dans une entreprise. Ces acteurs qui peuvent être qualifiés d’acteurs-moteurs.

Vous qui suivez, bien que de loin, l’actualité socio-politique et économique du Burkina, peut-on dire que les entreprises réussissent à s’adapter à la crise ?

Effectivement, à l’instar de bien d’autres Burkinabè patriotes, malgré la distance qui me sépare du Faso, je suis de très près la vie socio-politique et économique de la mère-patrie. Les entreprises sont très résilientes. Malgré le contexte sécuritaire très difficile, elles ont continué à créer de la richesse, classant notre PIB (produit intérieur brut) au rang 4 du classement du FMI des 14 pays de l’espace CFA, juste derrière le Sénégal, le Cameroun et la Côte d’Ivoire.

Comment les entreprises burkinabè doivent-elles davantage se positionner pour ne pas sombrer sous l’impact de la crise que le pays traverse depuis bientôt une décennie et mieux, pour envisager de la performance ?

Elles ne sont pas affectées au même degré par les conséquences de l’insécurité, et pour diverses raisons. Mais, en conseil, je peux dire que les entreprises doivent considérer le phénomène de l’insécurité comme partie intégrante de leur vie, et surtout être de véritables observatrices de leur environnement, car les opportunités sont indissociables des difficultés.

Les Burkinabè sont les premiers investisseurs en Côte d’Ivoire, un pays que vous connaissez bien également. Au-delà de tout ce que cela peut paraître à première vue, dans quelles conditions ce positionnement des hommes d’affaires burkinabè dans la sous-région peut efficacement profiter au Burkina Faso, surtout dans son contexte difficile actuel ?

Le positionnement des hommes d’affaires en Côte d’Ivoire est à féliciter, il peut constituer un pôle d’influence à l’extérieur à moyen et long termes. Et ce positionnement doit bénéficier du soutien des pouvoirs publics, car une diaspora contributrice au développement socio-économique de la mère-patrie doit être économiquement stable et financièrement prospère.

Dans ce contexte de crise, quelle doit être la partition des pouvoirs publics pour des entreprises plus résilientes, voire performantes ?

Les autorités sont conscientes de leur rôle de catalyseur dans ce contexte de défi sécuritaire pour renforcer la résilience des entreprises, voire leur performance. Ce rôle de catalyseur s’est traduit par les mesures d’allègement fiscal accordé à certaines catégories d’entreprises et le règlement partiel de la dette intérieure commerciale de l’Etat. Cette dynamique doit être renforcée et surtout maintenue dans la durée. Les autorités doivent travailler à l’amélioration constante du climat des affaires pour plus d’attractivité de notre pays.

L’Etat a décidé de promouvoir l’actionnariat populaire, encourager l’industrialisation, en étant plus présent maintenant dans des entreprises (reprise en main d’entreprises semi-publiques ou privées). Est-ce une démarche qui est favorable à la création et à l’épanouissement des entreprises privées ?

L’actionnariat populaire pour l’industrialisation du pays et la reprise (sauvetage) de certaines entreprises par l’Etat sont deux démarches complémentaires ; l’une consiste à mobiliser les ressources financières nécessaires aux investissements industriels, (les employés actionnaires se sentiront plus concernés par les résultats et les consommateurs actionnaires donnent de la priorité aux services ou aux produits de l’entreprise dans laquelle ils ont des actions), l’autre consiste à sauver les entreprises en difficulté afin de les redresser. Ces démarches, si elles sont ciblées à des cas spécifiques et stratégiques, ne constituent pas une menace à la création et à l’épanouissement des entreprises privées.

Vous étiez, il y a quelques années, dans une dynamique de prospection du secteur des industries agro-alimentaires au Burkina, précisément à Bobo-Dioulasso. Qu’est-ce qui vous a motivé à poser le regard sur ce secteur de l’agro-alimentaire et où en êtes-vous avec le projet ?

Je suis intéressé par le secteur agro-alimentaire, au regard des opportunités dont il regorge. Le projet n’a pas été abandonné ; après l’acquisition du domaine industriel dans la zone industrielle de Bobo, les travaux de construction ont connu leur début.

De quelle manière, et dès à présent, l’après-crise peut-elle être envisagée, tant pour les entreprises qui existent déjà que pour les citoyens qui rêvent de se lancer dans l’entrepreneuriat ?

J’ai pu constater, lors de mon dernier séjour au Faso en mai 2024, que certaines entreprises ont annoncé la vie de l’après-crise sécuritaire. Ce qui leur donne un avantage psychologique non négligeable en la matière. Pour les personnes qui souhaitent se lancer en entrepreneuriat, elles doivent s’armer d’un engagement réel, de persévérance, en acceptant de payer le prix du sacrifice nécessaire et indispensable à la création et au développement d’une entreprise.

Interview réalisée en ligne par Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net

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