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Burkina : « Nous ne sommes pas héritiers de n’importe quelle histoire. Nous devons savoir » (Louis Armand Ouali, juillet 2006)

L’un des hommes politiques les plus expressifs s’en est allé, le 28 juin 2024. Louis Armand Ouali, cet homme politique qui a également su tirer profit des valeurs endogènes ; né d’un père Gourmantché (originaire de la région de l’Est), il ‘’bouffe » pleinement le “naam” (pouvoir) au Sud-ouest (sa mère est Birifor), chez ses oncles, surtout à un moment où des velléités politiques, dans nombre de zones, frôlaient le tribalisme. Louis Armand Ouali s’est éteint avec ses convictions et valeurs d’intégrité et de patriotisme, son altruisme, son tonus, sa capacité de dépassement de soi. Une immersion dans des propos qu’il a tenus, il y a environ deux décennies, mettent tout de suite en relief leur actualité et sollicitation par rapport au contexte actuel difficile du Burkina.

Conseiller spécial du président du Faso, Roch Kaboré, chargé des affaires politiques et diplomatiques (juillet 2018-janvier 2022), Louis Armand Ouali avait également la politique dans l’âme. Il a connu plusieurs partis et mouvements politiques, conviction et valeurs intrinsèques en main. Il va finir par mettre, lui-même, en place son mouvement politique, en juillet 2019 : le Rassemblement pour le Burkina (RPB). Dans un contexte national éprouvé par des attaques terroristes, Louis Armand Ouali présente le RPB comme un instrument qui a l’ambition « de rassembler les Burkinabè autour de l’essentiel ». Lancé à la lisière de la présidentielle, le RPB restera finalement sans suite, dira-t-on. Cet épisode politique précède son militantisme à l’Union pour le progrès et le changement (UPC) où il a occupé le poste de secrétaire général adjoint, chargé des affaires politiques. Quelques temps avant cette adhésion à l’UPC à sa création en 2010, M. Ouali s’était fait élire député sur la liste du Rassemblement pour le développement du Burkina (RDB) de la province du Poni (dont Gaoua est le chef-lieu) ; il sera déchu de son mandat sous l’emprise de la loi sur le nomadisme politique. Sa marche avec l’UPC va prendre un tournant en 2016, suite à une lettre ouverte qu’il a adressée au président, Zéphirin Diabré, où il reprochait au parti de ne pas faire le choix de rallier la majorité. La direction du parti le suspend en avril 2016, puis l’exclut. C’est la séparation du chemin. Mais en cet après-midi du 30 juin 2021, Louis Armand Ouali vient solliciter le pardon du président de l’UPC, Zéphirin Diabré, « pour les termes blessants dans ses écrits, de même que pour ses propos discourtois à son endroit ». En réalité, l’UPC venait (suite au scrutin couplé de novembre 2020) de rejoindre la majorité présidentielle et Zéphirin Diabré nommé en janvier 2021, ministre d’État auprès de la présidence chargé de la Réconciliation nationale et la Cohésion sociale.

Louis Armand Ouali (à gauche) et Zéphirin Diabré, fumant le calumet de la paix, le 30 juin 2021.

Louis Armand Ouali, c’est aussi ce candidat des Verts de Ram Ouédraogo et le membre-fondateur du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). « Beaucoup parlent du CDP sans le connaître véritablement. J’ai été militant de deux partis et pas plus : le Parti africain de l’indépendance (PAI) de Amirou Thiombiano, je m’incline devant sa mémoire, car tout ce que je fais, c’est pour rendre hommage à cet homme. C’est aussi pour rendre hommage au Pr Kamandini Sylvestre Ouali et à un troisième compagnon de Amirou, Hien Mamadou appelé affectueusement “Encart”. J’ai une admiration propre pour ces hommes que je viens de citer. Ce sont des hommes qui ont tracé des sillons que nous ne pourrons pas suivre. Nous avons fusionné avec le CDP », a-t-il confié au quotidien d’Etat, Sidwaya, dans sa rubrique, “Invité de la rédaction”, diffusée en juillet 2006.

L’un des défenseurs, dès l’avènement de la communalisation intégrale, de l’idée de “maire-résident”, M. Ouali a aussi, et au même moment, prôné l’élection du maire par suffrage direct. « Le maire doit forcement résider dans sa commune et les partis politiques doivent pleinement jouer leur rôle auprès des populations pour l’appropriation de l’esprit de la décentralisation. (…). A mon avis, si l’on veut que la décentralisation marche réellement, les maires doivent être des élus résidents aux côtés de ceux qui les ont votés. J’ai beaucoup voyagé. J’ai connu les décalages horaires. Je me suis dit que tout cela était bien, mais que retourner au village était encore meilleur. Contribuer et revenir s’asseoir. La trilogie du mouvement étudiant de mon âge (j’ai 53 ans), c’est d’être un cadre techniquement compétent, politiquement conscient et intégré aux masses. Techniquement compétent, beaucoup de cadres le sont. Politiquement conscients, il y en a très peu. Intégrés aux masses, on en cherche. Personne ne veut retourner au village. Les leçons que j’ai pu tirer des cinq années au village m’ont permis de catégoriser en trois, les hommes de la scène politique du Burkina. Il y a d’abord les politiciens. Ils sont les plus nombreux. Ils ne croient en rien. Ce sont des gens qui ne craignent ni diable ni Dieu. Ils ne croient qu’en leurs intérêts. Tout ce qu’ils disent est enrobé dans le discours. Ensuite, il y a les politiques. Eux, ce sont les archéologues du savoir. Ceux qui, lorsqu’ils parlent, il faut les écouter religieusement. Enfin, il y a les acteurs politiques du développement. Moi, je suis de ceux-là. Des femmes et des hommes, peut-être pas très intelligents, qui font l’effort de réfléchir et qui ont surtout un passé sur le terrain », avait-il défendu.

Le courage de la responsabilité,… l’idéologue, le stoïque

Face aux questions de développement, Louis Armand Ouali était de ceux-là qui n’ont de cesse rappeler aux Burkinabè qu’ils sont les seuls maîtres de leur destin. « Nous ne devons pas en toute conscience jeter la pierre aux autres. Nous devons faire une introspection individuelle. Ai-je fait ce que le devoir m’impose ? Ai-je été jusqu’au bout des capacités que Dieu m’a données ? Telles sont, parmi tant d’autres, les questions que chaque intellectuel devrait se poser. (…). Moi, je suis d’abord responsable de la citoyenneté d’ignorance (au plan politique) dans laquelle se trouve mon pays. Et avec moi, j’engage la responsabilité des autres intellectuels. En réalité, beaucoup d’entre eux ont des diplômes dont ils n’ont pas quelque fois les connaissances », peut-on lire dans ladite interview, dans laquelle Louis Armand Ouali met en exergue son idéologie, voire sa vision : « Je suis un communiste, entendu au sens de quelqu’un qui pense que si chacun de nous concède un peu de son confort, si chacun de nous se met au service des populations, nous pouvons faire avancer les choses. Je suis profondément croyant sans être un rat d’église. Je suis un catholique croyant, enraciné dans ses traditions (interrogé par rapport à ses mouvements politiques). En 2000, je me suis présenté, conformément à ma vision du monde, sous la bannière des Verts en réalité.(…). Je n’ai pas d’argent, mais je sais réfléchir. Je suis quelqu’un qui pense que le développement, ce n’est pas des milliards, c’est d’abord des idées. Je prendrai pour exemple Assita Nagbila. Elle n’a aucun diplôme d’aucune université, mais elle a eu un prix prestigieux. Ce sont les idées qui transforment le monde ».

Louis Armand Ouali, c’est aussi ce député qui, selon des témoignages d’ex-collaborateurs, se contentait de sa mobylette comme pour principal moyen de locomotion. A la question d’ailleurs de Sidwaya de savoir comment le haut cadre de l’administration burkinabè qu’il est roule en P50, Louis Armand Ouali s’est défendu : « Effectivement, je suis un haut fonctionnaire de ce pays. Mon salaire mensuel net est de 212 752 F CFA. Avec ce salaire, si vous n’avez pas l’aide d’un ami vous ne pourrez pas posséder de voiture. Le litre d’essence coûte 700 F CFA. Très honnêtement si un ami me donne un véhicule, je serai tenté de le prendre mais je ne le ferai pas parce que je n’ai pas d’argent pour mettre le carburant. Avec mon salaire, je m’occupe de mon frère qui a perdu son emploi de cadre des chemins de fer, j’ai sa famille à ma charge. J’ai aussi ma propre famille, la sœur de ma mère, mes frères et mes sœurs. Et, j’ai en plus, dans la maison de Gaoua où repose ma mère, des parents à ma charge. Pour couronner le tout, j’habite en location à Ouagadougou. Je ne suis pas un populiste. Certains me critiquaient d’être un communiste, un avare parce que des plantons avaient des Yamaha et moi pas. J’avais un vélo Peugeot. Aujourd’hui, vous avez des douaniers de rang qui ont des étages alors que Amirou a été directeur général des douanes sans avoir achevé sa maison, est décédé en 1973. L’exemple de Philippe Ouédraogo est éloquent. Il a fait Polytechnique. C’est de cette école que sortent les savants du monde. Cependant, au lieu de rester en France ou d’aller dans un pays où il aurait pu gagner le quintuple de son salaire, il est venu au Burkina Faso. J’ai du respect pour ce monsieur. Du Burkina, il y a des archéologues de la politique qui, lorsqu’ils écrivent je les lis attentivement. Je citerai trois exemples. Il y a un qui n’écrit plus. Et je lui demande solennellement de reprendre sa plume. Il s’agit de Ernest Nongma Ouédraogo. Le deuxième est Basile L. Guissou et le troisième est Laurent Bado. J’ai du respect pour ce dernier. Il est l’Africain qui, ni l’Est ni l’Ouest ne pourront contredire son tercérisme. J’ai été heureux qu’il soit dans le trio gagnant lors de l’élection présidentielle de 2005. Je ne suis pas un populiste. On ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. J’ai eu à utiliser des véhicules de fonction mais après je les ai rendus. Lorsque j’étais maire de Gaoua, j’avais une voiture fond rouge. Quand il y avait le carburant je l’utilisais. Dans le cas contraire, j’empruntais le transport en commun comme tout le monde. Mais si on me donne une voiture et des bons d’essence, je roule, sinon je n’ai pas les moyens pour m’en offrir ».

Louis Armand Ouali, pendant la séance d’adoption du programme de travail du IXème Traité d’Amitié et de coopération (TAC) Burkina-Côte d’Ivoire, à Abidjan, du 24 au 27 juillet 2021.

Il se voulait également un produit de la révolution !

Lorsqu’on ouvre avec lui la page de la Révolution démocratique et populaire, Louis Armand Ouali fait d’abord noter que nombreux de ceux qui se sont embarqués sur le bateau de la Révolution n’avaient rien de révolutionnaire. « Ils ne croyaient ni en Dieu, ni au diable. Ils n’avaient jamais lu une seule ligne de Max à fortiori de Vladimir O. Ilianov dit Lénine. Ils n’ont jamais été pendant leur cursus universitaire dans une cellule quelconque d’un quelconque parti communiste. Nous sommes aujourd’hui ce que nous sommes, parce que des fondations ont été posées par la Révolution démocratique et populaire. Nous sommes différents des autres. Lorsqu’on disait que la délégation du Burkina va prendre la parole, ceux qui dorment se réveillent. Ils se réveillent parce que des bombes seront dites.

Des médiocres se sont trompés et sont allés dans des conférences. Lorsqu’on leur a donné la parole, ils ont bégayé et cafouillé. Des Africains leur ont dit “vous n’êtes pas des Burkinabè, vous êtes des pauvres types”. Le chef de l’Etat vient d’entrer de l’Assemblée générale de la CEDEAO. Il est un des leaders de la Révolution. Nous avons obtenu la vice-présidence de la Commission de la CEDEAO qui sera créée en janvier 2007. Ce sont des résultats extraordinaires et dans cinq ans, nous pourrons être président de la Commission du fait que nous avons apporté une contribution hors du commun dans la résolution des conflits en Afrique. Malgré tout ce que des gens qui n’aiment pas notre pays racontent. Je n’accepte pas qu’on porte des jugements erronés sur mon pays.

Les fondations de la renaissance de l’homme nouveau au Burkina datent de la Révolution. Une amie sénégalaise interprétant “Burkina Faso : la patrie des hommes intègres” a dit “vous allez un peu fort”. C’est un nom que nous portons avec beaucoup de difficultés. Nous ne sommes pas héritiers de n’importe quelle histoire. Nous devons savoir. Nous sommes héritiers de la Haute-Volta, du Burkina Faso. Ce n’est pas parce que nous avons quelques compatriotes médiocres que les excellents vont se laisser faire. Mes frères, mes sœurs, ne laissez jamais le terrain libre aux médiocres. Le monde de compétition dans lequel nous vivons est un monde féroce. Dans ce monde- là, seuls les meilleurs vont s’imposer, les médiocres n’ont pas de place », s’était ‘’vidé » celui-là même qui se présente comme héritier d’Amirou Thiombiano.

Ancien ministre de l’Environnement et du Tourisme dans le gouvernement de transition (1991/1992), ancien Premier conseiller de la Mission permanente du Burkina Faso auprès des Nations-Unies, ancien maire de Gaoua, ancien député (il fut également député sous la Transition de 2014-2015), Louis Armand Ouali avait confié que sa philosophie tient en quatre mots : « être utile aux autres ».
Au moment où il s’apprête à rejoindre sa demeure, sa vie, les valeurs qu’il a défendues et ses nombreux propos sur la vie nationale et l’avenir son pays, le Burkina, ne sont pas seulement d’actualité, ils sont ardemment interpellateurs.

Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net

Sources documentaires : « Invité de la rédaction » de Sidwaya et autres articles sur Louis Armand Ouali ou faisant cas de lui.

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