Politique

Burkina : « Le président Ibrahim Traoré s’évertue à appliquer les options idéologiques de la RDP, son mentor c’est Thomas Sankara », traduit Dr Siaka Coulibaly

À la faveur du 41e anniversaire de la Révolution démocratique et populaire (RDP), 4 août 1983 – 4 août 2024, le Cadre d’action des mouvements et associations révolutionnaires pour l’accès au développement endogène (CAMARADE) a initié une série d’activités. Parmi celles-ci, un panel qui a eu lieu dans l’après-midi de ce dimanche 4 août 2024 au Mémorial Thomas-Sankara, à Ouagadougou, autour du thème : « Tumultes révolutionnaires au Burkina Faso du CNR au MPSR : mêmes maux sociétaux, quelle thérapie innovante à appliquer ? ».

Pour animer le panel, Dr Siaka Coulibaly, analyste politique, conseiller spécial chargé des questions juridiques auprès du Premier ministre, a développé le thème général, ouvrant une lucarne sur le sous-thème relatif à l’Alliance des États du Sahel (AES). Une communication qui devait être assurée par un leader politique nigérien, considéré comme un des porteurs et fidèle de l’idéal sakariste, en déplacement hors de son pays et dont la correspondance (vol) a connu des difficultés. La troisième communication a été livrée par le secrétaire général du Mémorial Thomas-Sankara, Luc Damiba, qui a fait une analyse contextuelle sur l’aspect géopolitique.

Dr Siaka Coulibaly a déployé sa communication autour des généralités de la révolution, des ressemblances des deux mouvements (le CNR et le MPSR), des dissemblances et les enjeux (sous forme de perspectives).
Ainsi, l’analyste politique a rappelé que la révolution est une rupture radicale dans une société en crise, dont le modèle politique est dépassé, pour aller vers un autre, qui est supposé apporter les réponses aux contradictions qui ont créé la crise. « De par le monde, le point culminant de tous les mouvements révolutionnaires, le moment de bascule, c’est ce qui est appelé une insurrection, soit la guerre civile qui se termine toujours par une prise du pouvoir d’État par les forces ou les organisations révolutionnaires », a soutenu le panéliste.

Le coordonnateur du mouvement CAMARADE, Samdpawendé Ouédraogo (à droite) et le secrétaire général du Mémorial Thomas Sankara, Luc Damiba, exécutant avec…

Le communicant a ensuite affirmé, appui pris sur son observation des deux années de fonctionnement du MPSR (II), qu’il y a plus de dissemblances entre le CNR ( Conseil national de la révolution) et le MPSR (Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration) que de ressemblances. « Il y a plus de dissemblances que de ressemblances entre le CNR et le MPSR. Mais, ces dissemblances peuvent permettre de construire le programme d’action révolutionnaire pour que le MPSR devienne un mouvement totalement révolutionnaire. Ça veut dire qu’il y a quelques réformes, ajustements, à faire », noue Dr Siaka Coulibaly.

Au titre donc des ressemblances, il cite l’existence d’une organisation à dominance militaire à orientation révolutionnaire dans les deux mouvements (le CNR et le MPSR II ; ces deux organisations ont la particularité d’avoir été éternelles, elles existent, mais n’ont jamais publié la liste des membres). La deuxième ressemblance réside en l’existence d’un leadership assumé par une personnalité, qui a des caractéristiques spéciales. L’autre ressemblance consiste en l’approche de rupture prônée par les deux mouvements (rupture d’avec un passé qui ne convient plus au peuple et qui nécessite un changement radical). L’internationalisme est l’autre aspect commun au CNR et au MPSR II. « Pour ceux qui ont milité dans les organisations de gauche, l’internationalisme est une caractéristique fondamentale du mouvement révolutionnaire ; on ne peut pas être révolutionnaire sans être internationaliste », souligne-t-il, précisant que cet élan est vérifié ici avec la création de l’AES.

Consolider le caractère révolutionnaire

Pour ce qui est des dissemblances, elles se trouvent d’abord dans les aspects idéologiques. En effet, explique Dr Siaka Coulibaly, avant la RDP, la ligne était déjà clairement énoncée ; la RDP était déjà posée, ses caractéristiques connues de ceux qui participaient au mouvement, les options idéologiques étaient claires dans la tête de ceux qui ont pris le pouvoir et qui l’ont structurée. Ce qui n’est pas le cas avec le MPSR, où il n’y a pas eu ce travail idéologique (ou du moins, pas connu de la plupart des gens) qui définisse le type de révolution, les grandes options, etc. « On est en train de découvrir les caractéristiques du processus MPSR au fur et à mesure ; grand bien nous a fait le 11 juillet 2024 où le président du Faso a déclamé un discours, qui peut tenir lieu de discours d’orientation, dans lequel il a exprimé un certain nombre de raisonnements qui peuvent servir à caractériser le processus en cours actuellement », relativise Dr Coulibaly, pour qui, le travail de formalisation théorique du MPSR reste donc à faire.

…les participants, l’hymne national, le Ditanyè, donnant le ton du panel.

Sur le plan de l’organisation du pouvoir, le CNR s’était basé sur des structures révolutionnaires préexistantes (qui agissaient avant que la révolution ne soit un acquis), poursuit l’analyste politique.

Concernant l’administration de l’armée, il y a eu une structuration au niveau du CNR qui avait été faite, notamment avec l’existence des Comités de défense de la révolution (CDR) qui étaient chargés d’animer la vie politique et de veiller sur la RDP (les CDR étaient présents dans tous les segments de la vie nationale, y compris dans l’appareil d’État, l’administration publique et l’armée).

« Cela aidait d’une part à animer la vie socio-politique et d’autre part à assurer le relais de la décision politique afin de mettre en œuvre les grands principes révolutionnaires du centralisme démocratique. On voit que dans le processus actuel, on n’a pas encore atteint ce niveau-là », ajoute-t-il à la liste des dissemblances.
Sur le plan géo-politique, la RDP avait un alignement internationaliste clair, mais là où le MPSR semble avoir pris une avance sur le CNR, dit-il, c’est la matérialisation de cet élément internationaliste. De l’avis de Dr Coulibaly, cela est peut-être facilité par le contexte du terrorisme, qui fait qu’aujourd’hui, il y a le partenariat avec certains pays qui permet de gagner des victoires sur le terrain de l’insécurité.

« Que ça plaise ou pas, on sait que le Burkina Faso a pris la bonne direction », ont exprimé les leaders coutumiers présents au panel, faisant des bénédictions aux dirigeants.

Pour Dr Siaka Coulibaly, les enjeux qui se présentent sont donc ceux de la consolidation du caractère révolutionnaire du MPSR. « C’est vrai que les options du président ne sont plus cachées, il les a affirmées ouvertement ; son mentor est Thomas Sankara, il suivra sa ligne. Il l’a dit à plusieurs reprises, et il s’évertue à appliquer les options idéologiques et théoriques de la RDP. Il n’y a aucun doute à ce niveau. Mais, en l’absence de structure de révolutionnaires accompagnant et mettant en œuvre la vision du camarade président du Faso, on peut se dire qu’il y a encore du chemin à parcourir. C’est un principal domaine d’enjeu et c’est là où des révolutionnaires peuvent être interpellés : par rapport à l’histoire traversée (la RDP), qu’est-ce qu’il faut faire pour appuyer le président du Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, afin qu’il puisse approfondir son processus de révolution. C’est une question qui est lancée à tous les révolutionnaires. Faire en sorte qu’au haut niveau de l’État, au plus haut niveau des responsabilités de l’administration, il puisse avoir des relais de la vision et de l’idéologie adoptées par le président du Faso. Ce peut paraître banal de le dire, mais vu le fonctionnement de l’appareil d’Etat actuellement et le rythme auquel les reformes sont en train de se dérouler, il y a matière à se mobiliser sur cette question précise », motive le panéliste, insistant sur la nécessité de resserrer davantage les rangs autour du capitaine Ibrahim Traoré, pour décourager toute velléité de déstabilisation.

« Aujourd’hui comme hier, la dynamique, c’est de pouvoir s’auto-déterminer »

Sur le thème relatif à l’AES qui devait être développé par son co-panéliste nigérien, Oumarou Abdouraman, Dr Coulibaly soutient que la confédération est une matérialisation de la ligne révolutionnaire (la ligne internationaliste évoquée plus haut). Selon ses explications, le morcellement de l’Afrique est l’une des caractéristiques de la colonisation (ce qui ne permet d’aller au développement). Dès lors, rompre avec ce morcellement est un mouvement hautement révolutionnaire, et l’AES vise à compenser les lacunes de chacun des pays et à minimiser les risques, note-t-on.

Certains ont ajouté une touche d’accoutrement à leur journée de commémoration, à l’image de ce « révolutionnaire » qui n’est pas passé inaperçu.

Le panéliste Luc Damiba a, lui, mis en exergue l’aspect géopolitique. « Tumultes révolutionnaires », parce que le Burkina n’a pas encore stabilisé une révolution qui va durer dans le temps comme à Cuba, au Nicaragua, au Venezuela ; des révolutions durables qui, malgré la perte du leader, doivent pouvoir continuer, présente M. Damiba.

Pour lui, le Burkina, au stade de tumultes révolutionnaires, est la quête de révolution qui va durer dans le temps. Le premier élément du tumulte révolutionnaire, c’est le soubresaut de notre armée. Avant la révolution, il y a eu deux coups d’État en moins de cinq ; un coup d’État de Saye Zerbo avec quelques camarades révolutionnaires comme Thomas Sankara qui y étaient. Ensuite, le coup d’État de Jean-Baptiste Ouédraogo où était encore Thomas Sankara comme Premier ministre et des camarades. Puis, leur propre coup d’État, qu’ils ont appelé de coup d’État révolutionnaire. Le coup d’État du 4 août n’a pas commencé le 4 août, ça a commencé le 17 mai : arrestation de Thomas Sankara, branlebas pour le libérer… et le rôle du commando de Pô », a-t-il livré.

Pour revenir au contexte, le communicant a rappelé que Roch Kaboré a échappé à environ trois coups d’État. « Donc, les coups d’État étaient de retour dès 2017. Roch (Kaboré) n’a eu que deux ans d’État de grâce. Donc, retour de tentative de récupérer le pouvoir par l’armée », situe le secrétaire général du Mémorial Thomas-Sankara. Pour lui, c’est là où se situe le problème, car « si on n’a pas une armée révolutionnaire, des militaires sont à la proie de l’impérialisme qui peuvent les récupérer et faire un coup d’État. » À tous ces éléments, s’ajoute l’action des puissances extérieures à prendre en compte dans les contextes.

Sur un tout autre aspect, Luc Damiba relève que les enjeux communs aux trois pays de l’AES sont notamment la libération totale avec le refus de la soumission, le libre choix de la politique et de la diplomatie, le choix économique (dont celui de la monnaie).

Il fait observer également qu’aujourd’hui comme hier, la dynamique, c’est de pouvoir s’auto-déterminer (et toutes les initiatives lancées sous le CNR sont en train de revenir : ONBAH : Office national des barrages et des aménagements hydroagricoles, actionnariat populaire…).

Les communications ont suscité de nombreux commentaires et questions. Ainsi, on peut retenir entre autres que le CNR était une structure portée par des organisations déjà existantes (militaire, politique…) et la différence, c’est qu’au CNR, Thomas Sankara était un leader politique, idéologique et militaire. La révolution a été interrompue par trahison, pas par une différence idéologique, apprend-on aussi. Pour des participants, le MPSR II gagnerait donc à se structurer.

Toujours selon des intervenants, il faut aussi tenir compte du rôle joué par les civils dans l’histoire de l’avènement de la RDP (ne pas se limiter aux commandos).

Le panel, qui a été placé sous le patronage de l’ancien président du Faso, ancien Premier ministre, Yacouba Isaac Zida et le co-parrainage de l’avocat Me Bénéwendé Stanislas Sankara et du colonel-major Daouda Traoré, a démarré par un témoignage-portrait du journaliste à la retraite, Sita Tarbagdo sur Thomas Sankara. Il l’a côtoyé dans le cadre de sa profession à la Direction générale de la presse écrite, devenue aujourd’hui le quotidien d’État Sidwaya. Il confie que chacune des apparitions de Thomas Sankara était un évènement porteur d’espoir. On retient de M. Tarbagdo, auteur également de l’œuvre « Capitaine Sankara : La chevauchée inachevée d’un “fou” », que le père de la révolution burkinabè avait le sens élevé du travail bien fait, l’esprit de rigueur, l’amour affiché pour son peuple et pour les autres peuples, le sens élevé de l’humilité et de la franchise, de l’honneur, de la responsabilité et du patriotisme.

Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net

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