La Direction générale du trésor et de la comptabilité publique (DGTCP) a lancé officiellement les activités de la Banque des dépôts du trésor (BDT), ce vendredi 2 août 2024 à Ouagadougou. Sylvestre Ouédraogo, enseignant-chercheur à l’Université Thomas Sankara, dans cette analyse, nous dit ce qu’est cette nouvelle institution financière ; et ce qu’elle n’est pas.
La BDT apparait en septembre 2022 au nombre des directions de la DGTCP et a pour mission d’assurer la fonction bancaire du Trésor public au profit de sa clientèle. Elle offre une gamme complète de services bancaires, notamment l’ouverture de comptes, la collecte et la gestion des ressources, l’exécution des opérations. Elle met à la disposition de ses clients des moyens de paiements digitaux et promeut le développement des services bancaires innovants. Elle est ouverte aux institutions publiques, Sociétés d’État, Établissements Publics de l’État, Projets et Programmes, collectivités territoriales, organismes internationaux, entreprises privées, associations, ONG et particuliers.
La BDT vient élargir l’écosystème financier au Burkina Faso dominé par les banques privées et les institutions financières nationales et internationales.
A la date de fin décembre 2023, la BCEAO comptait 160 établissements financiers dont 21 % au Sénégal, 20 % en Côte d’Ivoire, 13 % au Burkina Faso, 13 % au Niger, 11 % au Mali, 11 % au Togo, 9 % au Bénin et 4 % an Guinée Bissau. Bien sûr que cet indicateur est simple. Ce qui compte c’est le volume des transactions par institution financière et non l’aspect numérique.
Quelle différence entre un établissement financier et une banque ?
La banque peut mobiliser l’épargne contrairement aux établissements financiers qui sont limités au service de crédit et autres tel que défini par la loi.
La BDT, une nécessité pour l’État Burkinabè en quête de performance
Il faut dire que la création de la BDT était une nécessité pour l’État et il manquait ce dispositif et des travaux ont été engagés depuis des années pour sa mise en place. Le Burkina Faso avait commencé la centralisation des comptes publics (institutions de l’État, collectivités publiques et privées, etc…) et le projet était en cours.
Par exemple, la Côte d’Ivoire possède sa BDT depuis les années 2000, soit près de 25 ans et est devenue le laboratoire pour les autres pays de la sous-région. En effet, on constate des visites fréquentes des autres TRÉSORS publics en Côte d’Ivoire : Sénégal en 2023 et Togo en 2022 pour la création de leur BDT…). Sur le site web de la BDT de la Côte d’Ivoire, il est dit que Le Trésor Public ivoirien est devenu un passage obligé pour la plupart des pays africains engagés sur la voie des réformes dans la gestion des finances publiques. Les avancées notables enregistrées par cette administration financière font d’elle, une école de formation à laquelle tous viennent prendre les enseignements.
La BDT du Burkina Faso est une institution financière qui viendra faciliter les opérations financières de l’État en la simplifiant et en générant en plus des revenus substantiels qui pourront être réinvestis dans l’économie.
Concurrence Banques privées et BDT ???
Pour beaucoup de citoyens, cette nouvelle banque va faire un ombrage aux banques privées en leur faisant une concurrence déloyale.
Non, à mon sens, c’est au contraire une bonne chose pour les banques privées parce que la BDT peut jouer grâce à sa notoriété et à la confiance de l’État un puissant levier de mobilisation de l’épargne publique et privée. Le Trésor est bien représenté au Burkina et comme l’État ne fait jamais faillite, la population déposera son argent dans cette banque. Le taux de thésaurisation est encore fort dans nos pays à cause du manque de confiance aux institutions bancaires classiques. Le taux de bancarisation au Burkina Faso est de 21% environ et les taux d’utilisation des services de microfinance et global sont respectivement de 20% et de 41,29% https://africanscientificjournal.com/index.php/AfricanScientificJournal/article/view/578 .
Si on s’en tient aux termes clés utilisés, la BDT est une banque de dépôt et non une banque d’investissement, les banques commerciales pourront toujours jouer leurs rôles de financer les investissements privés de la population. En passant donc par la BDT, les actifs seront plus solides ce qui garantira une meilleure santé aux banques privées.
Il faut savoir que l’État possède des actions dans les banques privées et n’a aucun intérêt à ce que ces dernières aient des problèmes.
CDC, CDI et enfin la BDT ?
Ces dernières années, nous avons connu la création d’autres institutions financières comme la Caisse des dépôts et consignations du Burkina Faso (CDC-BF) qui n’a pas fait long feu à cause de son mauvais montage juridique et institutionnel.
La Caisse des dépôts et Consignations (qui existe d’ailleurs dans plusieurs pays africains comme au Sénégal) devrait servir à mobiliser les ressources publiques et des institutions nationales afin de pouvoir mieux gérer et les faire fructifier.
Nous avons vu la décision de la CDC qui a été dissoute pour faire place à la CDI :
Depuis le 9 mai 2017, jour du vote de la loi n°023-2017/AN portant décision d’un établissement public dénommé Caisse des dépôts et consignations du Burkina Faso (CDC-BF), le travail sur le terrain se faisait toujours attendre. En sa séance du 17 août 2022, le Conseil des ministres a décidé de sa dissolution. Cette décision faisait suite à plusieurs difficultés qui n’ont pas permis l’opérationnalisation de la CDC-BF.( journal l’Evènement).
Après la CDC, la CDI
Créée par la loi n°039-2023/ALT du 05 octobre 2023 portant création, organisation, attributions et fonctionnement de la CDI BF, promulguée par le décret N° 2023-1335/PRES-TRANS du 17 octobre 2023, la Caisse des Dépôts et d’Investissements du Burkina Faso est une institution financière publique à caractère spécial, doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière.
La CDI-BF a pour mission de collecter, de recevoir ou de conserver les fonds publics et privés mis à sa disposition en sa qualité de tiers de confiance et les gérer à travers des placements sécurisés et rentables.
Elle est investie d’une mission d’intérêt général de développement structurant en tant qu’investisseur institutionnel de long terme, agissant en complémentarité des autres acteurs du secteur financier.
Nous pouvons dire que la différence entre la défunte CDC-BF et la CDI tient essentiellement au montage juridique qui ne permettait pas à la CDI d’aller recupérer les ressources de la CNSS, CARFO, La Poste et autres.
Pour la différence entre la CDI BF et la BDT, la BDT s’occupe des placements à court terme et la CDI, les placements à long terme notamment les investissements structurants dans le pays. La BDT va se concentrer sur les ressources de projets et programmes et des institutions et le reste sera géré par la CDI-BF. On verra si le volume sera suffisant ou si c’est le leadership des dirigeants qui va jouer dans les faits.
Toute cette dynamique n’est pas nouvelle au Burkina. En visitant le site web de la Société Générale des Banques, on voit qu’elle vient de loin et sa genèse est éloquente :
Septembre 1973 : Création de la Caisse Nationale des Dépôts et des Investissements (CNDI).
Août 1984 : Création de l’Union Révolutionnaire de Banques (UREBA).
Juin 1986 : Création de la Caisse Autonome d’Investissements (CAI).
Août 1986 : Transformation de la CNDI en banque commerciale sous la forme d’une société d’économie mixte.
Décembre 1987 : Changement de dénomination de la Caisse Nationale des Dépôts et des Investissements (CNDI) en Banque pour le Financement du Commerce et des Investissements au Burkina (BFCI-B).
Février 1991 à Décembre 1996 : Mise sous administration provisoire du Groupe BFCI-B/UREBA /CAI. Fusion-absorption de l’UREBA et de la CAI par la BFCI-B en mai 1995.
Février 1997 : Cession par l’Etat de 34% du capital à des privés nationaux.
Mai 1998 : Cession par l’Etat de 51% du capital à des partenaires étrangers. La BFCI-B devient la Société Générale de Banques au Burkina (SGBB).
14 Janvier 2012 : Déploiement de la nouvelle signature du groupe Société Générale : « Développons ensemble l’esprit d’équipe ».
08 février 2013 : Changement de dénomination sociale : Société Générale de Banques au Burkina devient Société Générale Burkina Faso.
12 novembre 2018 : Déploiement de la nouvelle signature du groupe Société Générale : « C’est Vous L’avenir » https://societegenerale.bf/fr/votre-banque/presentation/notre-histoire/ .
L’histoire de la SGB montre que le Burkina Faso était en avance dans le domaine financier mais l’Etat a été incapable de gérer les ressources financières et a préféré laisser le privé s’en occuper. Cette expérience devra être capitalisée pour ne plus retomber dans les mêmes erreurs.
La BDT peut-elle s’insérer dans l’UEMOA ?
Bien sur, elle respecte les textes et les problèmes ne se posent pas. Elle fonctionnait même avant la lettre et cela se passe bien.
Les fonctionnaires, devront-il obligatoirement ouvrir des comptes ?
Un proverbe en mooré dit que l’intérieur du ventre de la grenouille et elle-même appartiennent au serpent.
Pour le moment rien n’est précisé mais c’est quelque chose qui devra être progressif du moment où beaucoup de travailleurs ont des engagements au niveau des banques de second rang ( banques commerciales). Une obligation d’ouvrir des comptes de tous les travailleurs à la BDT est possible, mais le virement de tous les salaires posera des problèmes à court terme. Une solution peut être trouvée facilement en termes d’interopérabilité pour que toutes les banques acceptent les cartes de la BDT. Les encours dans les banques privées prendront un coup si on commence à virer d’un coup les salaires des travailleurs à la BDT. Très peu de travailleurs iront verser leurs dus dans les banques concernées.
Faire de la BDT un véritable instrument de développement du Burkina
Pour que la BDT soit un véritable levier de développement du Burkina, il faut trois choses :
1. Une stabilité politique du moins une stabilité des orientations afin d’éviter des guerres entre les structures nouvellement créées et les anciennes. C’est cette union qui permettra aux institutions de fonctionner normalement au lieu de faire des guerres de chapelle. Cette stabilité permettra d’instaurer la confiance et aux éventuels investisseurs d’y déposer leurs ressources. Ces dernières années, nous avons vu des bouleversements comme la naissance de la CDC et sa fermeture suivie de la création de la Banque Postale, de la CDI et enfin de la BDT. C’est vrai que ce sont des structures différentes mais cela montre une certaine émulation dans le système étatique. Pour le grand public, c’est presque pareil.
Il faut donc une confiance en ces institutions pour que le système fonctionne. Le passé du Burkina est jalonné d’initiatives qui n’ont pas fait leurs preuves parce que beaucoup d’opérateurs se sont servis dans les caisses sans avoir à rembourser. Nous pouvons citer entre autres la BND, UREBA, la CNDI, la FIB etc… qui n’ont pas résisté aux injonctions des politiques en accordant des crédits douteux, ce qui a occasionné la fermeture de toutes ces banques. Comment démander à un opérateur privé aujourd’hui à qui l’Etat doit des ressources d’aller ouvrir son compte à la BDT ? et pourtant ils devront y aller parce que cela pourra faciliter les paiements.
Une simple analyse de la genèse de la SGB, ex SGBB montre que l’Etat rencontre souvent des difficultés en matière de gestion financière à cause du manque du sérieux dans les octrois de crédit. Si le sérieux n’est pas instauré, l’objectif premier de la BDT sera faussé parce que l’on pense que le fait de déposer des ressources publiques dans des banques privées occasionne des mauvais usages.
Nous retombons à la case départ : que ce soit la CDI ou la BDT, les ressources déposées doivent travailler pour créer de la valeur. Soit la CDI et la BDT donnent ces ressources au privé qui va gérer soit elles risquent de tomber dans les mêmes abimes. Le fait d’avoir des portefeuilles fragiles ou à l’amiable créeront les mêmes problèmes que les autres structures. C’est mathématique. Tant que les effets bancaires ne sont pas solides, le risque devient élevé et la catastrophe va s’en suivre.
En attendant, l’Etat doit honorer dans des délais courts ses engagements vis-à-vis des opérateurs privés pour leur permettre de bien fonctionner et créer plus d’emplois et de la valeur.
2. Le besoin de renforcer l’éducation financière à la population parce que comme je disais plus haut, le taux de thésaurisation est encore élevé dans nos pays.
Avec l’association Yam Pukri, Nous avons expérimenté avec une organisation de micro finance de la place qui a assuré le travail de formation sur l’éducation financière et la distribution de micro crédits avec la collaboration du Fonds national de solidarité et de résilience sociale et le soutien financier de ECOBANK Burkina sur un groupe de PDI dont personne ne pensait qu’il était possible de travailler sur l’inclusion financière avec eux. A notre grande surprise, le taux de remboursement des crédits fut appréciable et avoisine même les crédits classiques.
Cette éducation financière doit être faite à tous les niveaux (écoles, centres de formation, universités et même au niveau des administrations publiques. Beaucoup pensent que ce sont les riches qui doivent épargner et investir alors que tout le monde doit le faire, les petits montants ont de la valeur dans le système financier.
Combien de travailleurs arrivent à la retraite et se souviennent qu’ils auraient pu mettre de côté 5000 FCFA par mois pour préparer un projet à leur retraite ? La plupart pense que c’est négligeable et pense qu’ils feront une grosse affaire qui va les sauver, en se référant aux 0,0001 personnes qui a eu de la chance. La différence entre le capital et la marge bénéficiaire est parfois difficile pour beaucoup de personnes qui se laissent prendre au piège
3 – Oser voir grand. Je pense que la BDT doit aller vers une création de monnaie locale. Elle peut commencer par un système de règlement et de compensation inter institutions publiques en utilisant une unité monétaire propre qui sera un papier de monnaie (FCFA, dollar, euros, etc.). Cette monnaie qui va ressembler au DTS ( droits de tirages spéciaux du FMI), si elle montre des signes de solidité, pourra évoluer vers des échanges avec les particuliers. Ce qui fait la force d’une monnaie, c’est la confiance de pouvoir l’utiliser partout sans inquiétudes. Pour garantir cette confiance, les autorités doivent travailler sérieusement et éviter de jouer avec la monnaie.
Il faut que les Burkinabès sachent qu’en Occident, ils utilisent plusieurs monnaies simultanément et que cela ne pose pas de problèmes. C’est la solidité d’une monnaie et sa capacité à faciliter des échanges avec d’autres partenaires qui va assurer sa crédibilité.
Pour conclure, le sérieux et la confiance du système permettront aux nouveaux acteurs financiers de jouer pleinement leurs rôles dans le paysage économique du Burkina Faso déjà riche en initiatives locales (systèmes financiers décentralisés et Banques appartenant à des Burkinabè).
Merci au Pr Seglaro Abel SOME, Ancien Ministre des Finances du Burkina Faso et Enseignant Chercheur à UTS pour la lecture et commentaires et d’autres collègues pour les échanges sur le sujet, bien que nous ne soyons pas d’accord sur certains points.
Par Sylvestre Ouédraogo
Enseignant Chercheur Université Thomas Sankara
Directeur Régional Institut Panafricain pour le Développement Afrique de l’Ouest et du Sahel
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