Le Conseil des ministres du 4 septembre 2024 a adopté un décret portant institution de quotas d’enlèvement à l’importation des produits similaires fabriqués ou produits au niveau national. Selon le ministre en charge de l’industrie, Serge Poda, l’adoption de ce décret s’inscrit dans la vision du président du Faso, qui veut que la production nationale et la transformation industrielle des matières premières nationales soient des priorités. La rédaction a recueilli l’avis du président en exercice du Conseil d’administration de la Confédération paysanne du Faso (CPF), Bassiaka Dao, qui a accepté de réagir, en attendant d’en savoir plus sur les contours de cette décision.
Lefaso.net : Comment avez-vous accueilli la décision du gouvernement concernant le quota pour l’importation des produits au Burkina Faso ?
Bassiaka Dao : Nous avons accueilli cette décision avec ferveur et enthousiasme parce que c’était une des préoccupations de la Confédération paysanne du Faso et c’est toujours une grande préoccupation. Cette décision nous ramène à une protection parce que ça nous permet de nous mettre au travail. Si tout doit nous venir de l’extérieur, en fin de compte, nous devenons paresseux. Nous devons importer du blé mais s’il y a un quota sur le blé par exemple, ça permet aux producteurs de blé du Burkina de mieux s’investir, d’investir sur leurs parcelles.
Mais s’il n’y a pas de quota, les gens trouveront que le blé importé est moins cher par rapport au blé produit au Burkina Faso, ce qui n’est pas une bonne chose. Les autres se sont d’abord protégés avant d’être ce qu’ils sont. Nous, nous avons ouvert nos marchés. Ce qui fait que tous les opérateurs économiques vont sur le marché international pour, par la suite, venir inonder nos marchés avec ce qui est produit ailleurs. Cela veut dire que, nous travaillons à enrichir les autres et nous nous appauvrissons.
Au niveau de la Confédération paysanne du Faso, nous apprécions positivement les mesures du gouvernement dans le domaine agricole. Parce que c’est une protection pour nous et cette protection nous permet de dire que nous avons un marché que nous devons être capables de fournir en céréales, en légumes, en légumineuses et en fruits.
Cette mesure va également nous permettre de pouvoir nous projeter dans le futur et voir comment nous allons travailler afin de rattraper le retard que nous avons pris par rapport aux autres.
Quand la Confédération paysanne du Faso dit qu’elle plaide pour la souveraineté nutritionnelle et alimentaire, c’est en termes de renforcement des capacités de la production. Nous ne pouvons pas comprendre que le Burkina Faso, un pays à vocation agricole, importe encore du riz. S’il y a un quota, ça permet à nos riziculteurs de se mettre à l’œuvre pour améliorer la qualité et produire en quantité suffisante.
Quand on prend l’offensive agricole du président, c’est pour atteindre la souveraineté alimentaire. Aujourd’hui, quand vous prenez les régions de l’Ouest telles que les Cascades, le Sud-ouest, les Hauts-Bassins, ce sont des zones rizicoles. Au lieu d’importer 100% de ce produit, nous allons importer par exemple 40% et les 60%, nous allons nous mettre à l’œuvre pour les produire. Cela va nous permettre de nous enrichir et être les différents exportateurs.
Pour la mise en œuvre effective de cette décision, qu’est-ce que la CPF souhaiterait voir pour une meilleure protection des paysans ?
La mise en œuvre doit se faire de façon harmonieuse et durable. Nous sommes un pays à vocation agricole où le fonctionnariat est plus développé que l’industrie. On dit qu’il y a à peu près 70 à 80% de la population qui vit du secteur agrosylvopastoral et halieutique. Pourtant, ces 70% n’ont pas de statut. Il faut reconnaître le statut de l’agriculteur. Parce que cela lui donne une responsabilité. Quand on demande aujourd’hui aux opérateurs économiques comment faire venir les engrais au Burkina, c’est leur activité. Mais si on reconnaît à quelqu’un le statut d’agriculteur et qu’on lui demande pourquoi il n’a pas pu produire du riz, il va pouvoir répondre.
Cependant, l’agriculture reste un secteur informel alors qu’on dit à chaque fois qu’il y a 80% de la population qui vit de ce secteur, sans pour autant que ce secteur n’ait un statut. Parce que c’est le statut qui va donner un certain nombre de droits et de devoirs. Un producteur qui produit sans savoir à quel coût il produit et à quel coût il va vendre, c’est là que la mise en œuvre entre en action. La mise en œuvre, c’est de voir les coûts de production et les prix de vente pour permettre à ces gens de sortir de la pauvreté. Mais à l’heure actuelle, ce sont les paysans qui subventionnent les consommateurs. Un sac d’engrais non subventionné coûte 25 000 francs CFA. A la récolte, le sac de maïs ne se vend pas à plus de 12 500 francs CFA. C’est à partir de ce moment que chacun se dit qu’il va garder son stock pour attendre la période de la soudure parce qu’on se dit que c’est à cette période que le prix va monter.
Donc, pourquoi ne pas donner des prix rémunérateurs, des prix justes aux paysans qui vont leur permettre de faire des planifications avant de produire ? Si par exemple je sais que mon kilogramme de maïs va coûter 200 francs, je saurai quel investissement faire en fonction de ces 200 francs. Quand je sais que si j’investis 5 millions CFA, je vais récolter 8 millions, je vais m’investir. Mais si tu investis 5 millions et en retour tu ne gagnes que 3 millions CFA, tu as chuté. L’autre aspect, c’est le statut de l’agriculteur. On ne sait pas qui est agriculteur et qui ne l’est pas.
Quand on vous écoute, on voit que cette mesure, si elle est bien appliquée, va beaucoup vous aider. Maintenant, est-ce que vous avez des craintes pour des gens qui voudront peut-être frauder pour ne pas respecter la mesure ?
Tout ce qu’il y a en rapport avec les fraudes concernent l’État et ses démembrements (la douane, la police, la gendarmerie, la chambre de commerce, etc.). Nos craintes concernent les changements climatiques, qu’il ne pleuve pas suffisamment au moment opportun pour qu’on puisse semer nos céréales. S’il pleut en quantité et en permanence, nous pensons que nous allons pouvoir appliquer ces mesures et que nous allons nous en sortir. Le Maroc est certes un pays sahélien mais il inonde toute la planète avec sa production parce qu’il a su faire de la maîtrise de l’eau une activité concrète.
Dans chaque ferme où vous allez, vous y trouverez tout le temps de l’eau et ça travaille à tout moment. Notre unique crainte, c’est la pluviométrie. La solution est de construire de grandes infrastructures de stockage d’eau et de forages à haut débit pour nous permettre de produire douze mois sur douze. Parce qu’un agriculteur ne peut pas travailler quatre mois et vivre douze mois, quelle que soit sa performance. Il faut la maîtrise des eaux de surface et la maîtrise de la nappe phréatique pour permettre aux acteurs de ce secteur de produire.
Si les conditions pour réaliser tout ce que vous dites sont retenues, dans combien de temps pourra-t-on dire que le Burkina Faso est un pays souverain sur le plan alimentaire ?
Nous pouvons faire des projections. Un bon programme, s’il est bien ficelé, ira à trois ans pour la première phase. Les correctifs pendant une deuxième phase de trois ans et nous sommes auto-suffisants. On ne peut pas se lever aujourd’hui et vouloir des résultats demain. Dans tous les projets, il y a une première phase de trois ans. Aujourd’hui, nous sommes dans l’offensive agricole donc nous devons évaluer ça au bout de trois ans. Dans trois ans, nous verrons ce qui a marché ou n’a pas marché. La deuxième phase nous permettra donc d’apporter des corrections. En six ans maximum, nous pourrons être auto-suffisants afin de pouvoir remplir notre rôle, d’atteindre les quotas qui nous seront attribués, de les dépasser et d’arriver un jour à l’importation zéro, car c’est tout ce que nous souhaitons.
Nous sommes en mi-septembre, est-ce que vous avez bon espoir ou quel message vous avez pour les gens du monde de l’agriculture pour cette saison agricole ?
Quand nous parlons effectivement de la saison agricole, chacun se pose la question à son niveau. Si je ne suis pas à Gaoua, je ne saurai pas comment la pluviométrie s’y déroule. Il en est de même pour Dédougou. A mon niveau, chez nous en pays Bobo, on évalue la campagne à partir du 25 août. C’est à partir de cette date que vous saurez si vous allez oui ou non faire une bonne campagne, que ce soit au niveau de la production de céréales, de coton ou n’importe quelle production. Mais aujourd’hui, les gens ne respectent plus rien.
Sinon à partir du 25 août, tu dois pouvoir te dire qu’à ton niveau, tu n’as pas d’inquiétudes pour le maïs. Les inquiétudes que j’ai sont dirigées vers le sorgho parce qu’il y a eu trop de pluie ces derniers temps. Quand il pleut beaucoup, le sorgho ne peut pas produire de graines. Sinon à mon niveau, la campagne, j’espère qu’elle sera très bonne. Mais comme je ne suis pas sur l’ensemble des treize régions agricoles, je me prononce seulement à mon niveau.
Interview réalisée par Cryspin Laoundiki
Lefaso.net
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