Dans ses échanges le 5 octobre 2024 sur la radio nationale avec le peuple, le président du Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, est revenu sur le cas des personnes impliquées dans les « tentatives de déstabilisation » du pays. L’ancien président vivant au Togo, Paul Henri Sandaogo Damiba, dont le nom a été cité dans le dernier complot en date, pourrait être extradé au Burkina, selon le chef de l’État. Il a répondu à un auditeur que les autorités burkinabè et togolaises échangeaient sur cette question. « Je ne vous promets rien, mais j’espère qu’il sera extradé », a-t-il laissé entendre. Nous vous proposons un extrait de cet entretien dans l’émission « Antenne directe » qui a duré plus d’une heure trente minutes.
Auditeur : Que répondez-vous à ceux qui pensent que vous ne devriez pas uniquement faire la guerre ?
Président du Faso : Il y a des gens qui connaissent trop. Je ne sais pas comment ils analysent la situation. Qu’est-ce qui a amené la guerre ? Il faut se poser beaucoup de questions. Certes, les puissances extérieurs manipulent les gens. Qu’est-ce qui fait qu’ils arrivent à manipuler ? On ne peut pas faire la guerre sans développer. Ce serait une erreur de penser que cela est possible.
Si nous nous mettons à faire uniquement la guerre, nous allons tuer tous les jeunes du pays. S’ils n’ont rien à faire, ils se feront enrôler soit par des individus extérieurs pour leur vendre des illusions, soit ils se mettent dans les braquages. Aujourd’hui, dans certaines zones, les braqueurs sont presque confondus aux terroristes.
On ne peut pas faire la guerre sans développer. Il faut créer de l’emploi, occuper la jeunesse. Les gens qui disent qu’il faut uniquement se focaliser sur la guerre, soit ils ne sont pas de bonne foi, soit ils ne comprennent pas ce que c’est que cette guerre. Il n’ y a pas ce genre de guerre dans les pays développés. Ce sont dans nos pays soi-disant pauvres. Il faut que nous reprenions nos richesses et donner du travail à notre jeunesse. Cela accompagne la sécurité.
Le gouvernement a-t-il prévu un plan d’équipement et de déploiement des Eaux et Forêts dans le cadre de la libération du territoire ?
Nous sommes là-dessus. Quand nous sommes arrivés, nous avons essayé d’évaluer la situation. C’était malheureusement un constat amer. Ils étaient dans leurs postes sans un armement suffisant. On pouvait trouver dix agents des Eaux et Forêts dans un poste avec une seule arme. Si vous faites des années sans toucher à une arme, c’est un peu compliqué.
Les forêts sont des champs de bataille des militaires actuellement, ce sont eux qui fouillent les forêts et ce seront eux qui vont libérer les forêts avant d’installer les Eaux et Forêts pour la consolidation. Nous continuons le recyclage des Eaux et Forêts. Il y a certaines unités que nous avons prises pour les recycler et les remettre à niveau.
Les militaires vont finir certaines portions pour qu’elles puissent s’installer. Cela a commencé. Il y a certaines forêts qui ont été libérées par les militaires et les Eaux et Forêts recyclés se sont réinstallés. Au fur et à mesure, nous continuons à faire monter leur puissance de feu pour qu’ils puissent consolider.
Malgré certains progrès, la situation sécuritaire reste difficile dans certaines régions. Quels sont les principaux obstacles ?
Tout de suite, je disais qu’on veut rendre les espaces complètement verts (libérés, reconquis, NDLR). On peut avoir reconquis le territoire et réinstallé les forces, mais l’ennemi peut toujours faire des incursions parce que c’est une guérilla. Cela peut arriver. Nous avons préparé une certaine logistique pour lancer dans les prochains jours, puisque la pluie est presque finie.
Cette phase va reverdir totalement certaines zones. Nous ne pouvons pas détailler cette phase ici, ce seront de grands travaux. Il faut que, pour l’instant, les zones que nous avons reconquises et qui connaissent toujours des incursions, nous allons les reverdir pour empêcher cela. Cela nous a amenés à réarticuler le dispositif de sécurité.
Lorsque nous allons mettre en place ce dispositif, chacun sera installé dans la zone où il doit être. Le renseignement et les VDP qui sont en place doivent permettre d’empêcher les incursions. C’est un processus et je pense que tout est fin prêt pour que certaines zones soient complètement vertes au fur et à mesure.
Que prévoit le gouvernement pour les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) engagés, dont l’âge est avancé et qui ne peuvent pas être recrutés ?
Nous avons notre plan pour leur reconversion. C’est comme les militaires qui arrivent à la retraite. Avec l’initiative présidentielle pour l’auto-suffisance alimentaire, nous avons lancé un programme dans l’armée. Il y a même eu des reportages sur ce sujet.
C’est juste pour la reconversion des militaires à la retraite vers l’agriculture, l’élevage ou encore aux métiers de leur choix. Cela sera la même chose pour les VDP. Une fois j’étais à Bagré, j’ai échangé avec des VDP là-bas.
J’ai vu beaucoup de personnes qui ne pouvaient pas être recrutées et qui avaient demandé à avoir des terres au bord des points d’eau pour faire de l’agriculture. Nous avons donné des instructions pour tout mettre en œuvre pour que ces personnes puissent vivre.
La dénonciation des accords avec la France a marqué un tournant décisif dans la politique étrangère du Burkina. Quel impact cette décision a-t-elle sur notre sécurité et nos alliances internationales ?
Je disais tantôt que notre action est intrinsèquement liée à beaucoup de personnes à l’étranger. La dénonciation de ces accords est une chose. Il y a d’autres choses qui ne sont pas visibles, que les gens n’ont pas perçues. Il y avait d’autres forces en plus des forces françaises.
Quand nous les avons fait partir, ils sont partis sans faire du bruit. Ils ne sont pas partis parce qu’ils sont contents ou qu’ils le veulent, mais ils continuent d’agir contre nous. Pour parler de la France par exemple, il y a avait des permis miniers qui a avaient été donnés à des gens et qui refusent de nous accompagner.
Aujourd’hui, il y a un bon nombre de permis qui ont été retirés et nous allons continuer de retirer. Tout cela va influencer, parce qu’ils ne sont pas contents. Donc, il faut qu’on s’apprête.
Vous avez entrepris la reconquête avec de nouvelles stratégies. Quels sont les résultats sur le terrain ?
Si nous n’avions pas réorganisé en mettant en place des unités organiques, cela n’allait pas être facile. Dès que nous avons pris notre virage, l’intensité des combat est monté d’un cran. Il fallait s’adapter automatiquement. Une unité, ce sont des gens qui vivent ensemble, combattent ensemble, prêts à mourir ensemble.
Depuis longtemps, nous ne combattons pas en unité. Chaque corps envoie quelques soldats et sont déposés quelque part. Et ce n’est toujours pas fini parce qu’il y a certaines positions qui sont toujours dans cette configuration. C’est difficile de combattre ainsi.
Conséquences, vous partez vous retrouver sur le terrain et vous ne vous connaissez pas bien. Si on se met à rassembler des gens qui ne se sont jamais vus et qui ne se connaissent pas, c’est très difficile de bien combattre. Moi même j’ai combattu avec des gens comme ça. Aujourd’hui, nous avons des unités organiques qui permettent de contenir la situation.
Il y a des BIR qui sont créées dans l’armée, des GUMI à la police, il y a également des unités à la gendarmerie ; je pense qu’il y a en trois. Nous allons continuer à créer des unités organiques pour avoir une armée bien structurée, organisée.
Comment se fait la coordination de la lutte contre le terrorisme au sein de l’espace Alliance des États du Sahel (AES), au regard de la multiplication des attaques ?
Il y a une bonne coordination. L’AES est une cible. Voir des Africains s’unir, ce n’est pas bon pour d’autres personnes. Donc, ils veulent tout faire pour casser cette alliance. Mais cela se comprend et nous nous préparons en conséquence.
C’est pourquoi nous avons commencé à mettre en place, dans chaque pays, des officiers de liaison. Il y a des Burkinabè qui sont au Mali et au Niger, et qui participent aux opérations. La même chose se passe ici aussi. Volet formation, nous avons eu beaucoup à faire ensemble. Nous faisons des entraînements ensemble, mais aussi les combats ensemble.
La coordination est parfaite à tous les niveaux, notamment terrestre et aérien. Actuellement, c’est la force sahélienne qui est en gestation que nous appelons force conjointe. C’est quelque chose qui peut prendre quelque mois et que nous nous attelons à faire.
Face à la situation humanitaire préoccupante, quelles sont les stratégies pour assurer la protection et le retour des déplacés dans leurs localités d’origine ?
Beaucoup de gens ont rejoint. Mais il y a aussi des localités qui sont libres mais nous disons aux populations d’attendre d’abord. Chaque localité n’est pas vue sous le même angle par les terroristes. Il y a certaines localités qui sont stratégiques géographiquement.
Il y a un travail qui se fait avant de les réinstaller. Des zones seront réinstallées à la sortie de la saison. N’ayant pas pu cultiver, des mesures sont prises pour les accompagner jusqu’à la saison prochaine. Si on peut aussi faire certaines choses avant la saison comme les forages pour leur permettre d’avoir des activités, on le fera.
Le ministère de l’Action humanitaire fait permanemment le point et me l’envoie chaque semaine. Le point sur le nombre de retours, de réinstallés et autres. Il y a des moments où je peux intervenir et réajuster par rapport aux zones.
Pourquoi l’ancien président de la transition, Paul Henri Sandaogo Damiba, n’est toujours pas extradé au Burkina Faso ?
Il y a eu ses implications avérées dans les projets de déstabilisation. Le dernier projet où c’était en lien avec les terroristes, nous avons repris les discussions avec les autorités togolaises. On devrait se voir aujourd’hui même, mais à cause de cet échange avec mon peuple, j’ai décidé de sursoir à cette réunion.
En toute honnêteté, nous n’avions pas voulu, aux premières heures, nous comporter de manière désagréable avec un ancien président. Nous avions dit aux autorités togolaises qu’il peut y rester. Nous communiquons très bien avec les autorités togolaises de tout ce qui se passe.
Je pense qu’elles aussi doivent être choquées et surprises de découvrir ce qui a été mis sur la place publique. Nous nous sommes déjà parlé au téléphone. Mais nous allons nous voir pour échanger encore. Je ne promets pas, mais j’espère qu’il sera extradé au Burkina.
Comment combler le gap de la mobilisation des ressources pour l’effort de paix ?
Le défi sécuritaire est énorme. La mobilisation est insuffisante mais elle permet de faire certaines choses. Il y a certains partenaires qui ont accepté de nous accompagner aussi. Nous espérons réunir un certain nombre d’arguments pour les porter au peuple.
Ce sera au peuple de décider si on peut faire autre chose pour mobiliser ou pas. Nous avons effacé la question de crédit, de prêt dans nos questions d’équipements militaires. C’est le peuple qui contribue. Nous attendons certains équipements.
À quand la remise à plat des salaires ?
Beaucoup de gens réclament cela. C’est une question qu’on va devoir attaquer tôt ou tard. Il y aura des grincements de dents mais nous sommes obligés de nous attaquer à cela pour que chacun puisse vivre dignement.
Avant cette question, nous avons voulu étudier un certain nombre de lignes pour voir ce qui peut être fait en général. C’est ce que nous sommes en train de faire dans le secteur minier aujourd’hui. Nous nous rendons compte que si nous reprenons possession de nos mines et baissons la température de cette guerre, peut-être qu’on n’aura pas besoin de remise à plat ou de diminuer des salaires.
Nous allons voir comment remettre à niveau certains salaires. Mais pour l’instant, nous continuons d’observer la situation. Nous espérons faire une évaluation au cours de l’année 2025 de nos dépenses militaires, voir s’il faut accroître les dépenses militaires en 2026 ou pas. Et aussi les mines que nous allons exploiter au cours de l’année 2025, voir ce qu’elles nous ont rapporté.
On verra si cela permet de rehausser le niveau des salaires ou pas. Sinon, c’est vraiment disparate. Il y a des gens qui sont dans des salaires incommensurables par rapport à d’autres. Nous comptons équilibrer la balance.
Quelles sont les mesures prises pour rendre la libre circulation dans l’espace AES sans racket ?
Des instructions fermes ont été données aux ministres de la Sécurité pour sévir contre cette question de racket. Il y a des dossiers qui sont actuellement en justice concernant certaines personnes. J’ai instruit d’accélérer le processus. Ils m’ont aussi rassuré qu’ils sont dans les enquêtes.
Ce ne sont pas de bons comportements et quand ce sont aussi les forces de sécurité qui le font, ce n’est pas bien. Ce n’est pas bien pour nous si nous voulons aller dans l’union et la confédération. Cette semaine, des experts des identifications se sont réunis à Bamako, au Mali, pour harmoniser un certain nombre de documents de voyage mais aussi d’identité. Il y a aura une carte d’identité AES qui va voir le jour.
Avec ces documents, nous devrons pouvoir circuler librement sans racket. Nos mettrons aussi, dans chaque pays, un certain nombre de dispositions qui permettront aux usagers de dénoncer les cas de rackets.
Propos retranscrits par Serge Ika Ki
Lefaso.net
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