La France a du plomb dans l’aile en Afrique depuis l’échec de son intervention militaire au Sahel contre les groupes terroristes. L’insécurité a conduit à des coups d’État militaires qui ont remis en cause la présence militaire et l’influence politique françaises au Sahel. La France a perdu de sa superbe en Afrique et le néocolonialisme français est confronté aux puissances impérialistes rivales comme la Chine, la Russie, la Turquie et même son allié atlantique américain qui, le voyant perdre du terrain, ne lui laisse plus le champ libre. Les associations et organisations souverainistes et panafricanistes ont poussé comme des champignons depuis que c’est le discours dominant et celui des pouvoirs régnants au Sahel.
Est-ce contexte qui fait que l’un des acteurs de la Françafrique, sentant le déclin prochain des affaires publie ses mémoires ? Robert Bourgi est en pleine promotion de son brûlot sur la pourriture des élites françaises et africaines bénéficiaires du pacte colonial : « Ils savent que je sais tout. Ma vie en Françafrique ». Qui est ce monsieur qui sent le soufre et se réclame sans vergogne de la Françafrique ? Selon les échos de la presse française, les révélations concerneraient les politiciens français visés par le titre de l’ouvrage. Ce n’est pas la première fois que Robert Bourgi, par ses révélations, brise la carrière politique d’un de ses anciens amis de la Françafrique. Dominique de Villepin en a fait les frais en 2011, François Fillon en 2017. Qui sera la prochaine victime ? Est-ce vers l’Afrique que le porteur de valises de la Françafrique a décidé de pointer son pistolet ?
La Françafrique est le système de la domination française sur ses anciennes colonies d’Afrique subsaharienne, fait de réseaux mafieux, de soutien aux autocrates et dictateurs africains d’une part et de financements des partis et politiciens français d’autre part. Il est derrière le maintien du franc CFA, les assassinats politiques et coups d’État… La Françafrique n’a pas bonne presse et depuis Mitterrand, tout le monde a voulu s’en éloigner.
Mais elle a la vie dure et les pratiques peu orthodoxes des réseaux de la Françafrique sont tolérées par les hommes politiques comme la face sombre de la politique qu’ils ne veulent pas voir de peur de se faire bouffer par ses actes condamnables. L’homme qui a eu cette ingénieuse idée serait le plus grand des présidents français, le général Charles de Gaule qui a libéré le pays et a toujours voulu que son pays ait une autonomie énergétique en faisant main basse sur les ressources qui existent en Afrique subsaharienne et en s’assurant d’un alignement diplomatique des nouveaux États pour compter au plan international. Le pétrole est la cause essentielle de l’existence de ce fléau.
Et c’est pourquoi en France-Afrique, des pays comme le Gabon et le Congo Brazzaville ne comptent pas pour des prunes. De Gaulle et Foccart ont inventé des méthodes pour avoir la haute main sur les ressources d’un pays tiers en plaçant à sa tête des dirigeants que l’on contrôle et en faisant des dirigeants de la société pétrolière Elf les financeurs occultes des campagnes électorales en France. Voilà le système de corruption politique, de détournements de fonds publics avec des hommes rassemblés dans un réseau qui ne voit qu’une seule chose, un seul intérêt : tout faire pour que le système perdure, se reproduise, s’éternise au bénéfice de la France et des membres du réseau.
On a beau préférer le secret, avoir des relations amicales, s’aimer comme dans les familles mafieuses, le moment vient où toute cette pourriture finit par déborder et quitter les caniveaux pour se déverser dans la rue, dans la presse et par se savoir, lors des élections. Car les élections sont des moments de rivalités, de guerre des égos et de haines des chefs. Les élections sont le temps où l’on fait feu de tout bois et on met sur la place publique les turpitudes de l’adversaire : les valises de cash, les guimbé remplis de dollars, quelques secrets bien gardés de la Françafrique. Les diamants de Bokassa, l’affaire Carrefour du développement (subventions détournées), l’affaire Elf (commissions pétrolières) et l’Angolagate (1990, vente d’armes interdite par l’homme d’affaires Pierre Falcone) sont des affaires phares de la politique officieuse de la France en Afrique.
Robert Bourgi, ce fils du Sénégal qui n’aime pas l’Afrique
Bourgi prétend être l’héritier de Jacques Foccart qui lui aurait transmis le carnet d’adresses de son réseau africain. Ainsi, il serait devenu le porteur de valises pleines de cash qu’il transmettait à Jacques Chirac, Dominique de Villepin et autres. Il a raconté pourquoi il a « tué » Dominique de Villepin quand celui-ci se battait contre Sarkozy pour prendre la tête du parti pour la course à la présidentielle. C’est en ce moment qu’il a parlé des guimbé remplis de dollars offerts par Blaise Compaoré qu’il lui aurait emmené. Et s’il a fait cela, ce serait parce que Villepin ne voulait plus le voir. Il avait choisi Sarkozy contre Villepin tout simplement.
Villepin et Fillon n’auraient pas été reconnaissants à son endroit, mais même son père spirituel Foccart ne lui aurait pas fait un sort de quelques lignes dans ses mémoires. Mais Robert Bourgi aime la France, Foccart, Charles de Gaule, Malraux et Napoléon. Ce qui lui plait le plus et qu’il veut que tous sachent c’est d’avoir « navigué pendant quatre décennies au niveau le plus élevé de l’État français ».
Né au Sénégal, Robert Bourgi est présenté comme un Franco-libanais. Il a fait son lycée à Dakar, parle même le wolof et a enseigné à l’université d’Abidjan. On aurait pu attendre de cet homme qu’il soit sensible au sort des populations africaines. Mais non, c’est lui qui aide les dirigeants africains à prendre l’argent public pour la classe politique française et il se fait payer en retour toujours sur les caisses publiques africaines. Il raconte comment ils ont tous apporté leur obole aux politiciens français : Omar Bongo, Denis Sassou Nguesso, Abdoulaye Wade, Blaise Compaoré, Laurent Gbagbo… Mais cet homme a vécu aux crochets de « Papa Bongo ». C’est ainsi qu’il appelait et appelle toujours, son généreux donateur, qui l’a « couvert d’or durant trente ans. » C’est la seule touche africaine du personnage : la reconnaissance du ventre, ou la flatterie pour avoir à manger. Si Bongo le payait grassement, Sassou aussi le faisait. Il ne travaillait pas gratuitement non plus pour les présidents de pays moins nantis comme le Sénégal qui avait l’avantage de l’avoir vu naître, ou le Burkina Faso.
L’influence des dirigeants africains sur la politique française
On doit reconnaître à Bourgi d’avoir révélé l’influence de Omar Bongo sur la politique française par son casting des ministres de la droite du temps de Chirac. Il faut l’écouter conter comment l’élite politique française faisait antichambre à l’hôtel Meurice à Paris quand Omar Bongo était de passage. On savait le poids des autocrates africains sur le choix des ministres de la coopération du gouvernement français. Et au moins deux socialistes ont perdu leurs portefeuilles parce que les présidents africains les ont récusés : Jean Pierre Cot sous Mitterrand et Jean Marie Bockel sous Sarkozy. Mais que Chirac se souciait du conseil de Omar Bongo pour la politique française est significatif.
Sarkozy serait Monsieur Propre selon Bourgi
Quel est le statut d’un tel livre ? C’est connu, les contes de chasseurs sont à la gloire des chasseurs et de leurs amis et pas des lions. La vérité historique ne fait pas son nid dans cette œuvre. Mais le récit de Bourgi n’est pas totalement une fiction non plus. C’est un témoignage avec tout ce que cela peut comporter de subjectivité. Selon Bourgi, Sarkozy serait clean. Comment comprendre que Sarkozy ait ses comptes de campagnes refusés et soit empêtré dans l’affaire Bigmalion avec la découverte de la double comptabilité de cette agence de communication ? Tout cet argent qui a coulé à flot lors de la campagne vient d’où ? Et pourquoi Sarkozy le décore lui, Bourgi, s’il ne lui a pas apporté de valises d’argent ?
Après son élection, Nicolas Sarkozy a remercié ses donateurs au rang desquels figuraient bien Pascaline Bongo et un représentant du président Sassou du Congo Brazzaville. C’est le même Sarkozy qu’un compatriote de Bourgi, du côté du Liban, Ziad Tiakédine, accuse d’avoir financé sa campagne par l’argent de Kadhafi, même s’il s’est rétracté après. Difficile de croire M Bourgi concernant Sarkozy. Alexandre Djourhi, autre homme de l’ombre qui exerçait le même métier que Bourgi, sera jugé avec Sarkozy en 2025.
Peut-être que l’héritier de Foccart ne veut pas vider son sac de révélations d’un coup et garde certaines sous le coude.
Bourgi donne un coup de fouet à la campagne en Côte d’Ivoire
Bourgi dit que Gbagbo est son ami et qu’il a gagné l’élection contre Alassane mais son autre ami Sarkozy lui a demandé de le convaincre d’accepter la défaite contre un poste international. Ce que le président ivoirien a refusé et Sarkozy a promis de le « vitrifier ». Laurent Gbagbo a donné une interview sur AFO Média et est revenu sur les propos de Robert Bourgi pour reconnaître qu’il a effectivement envoyé de l’argent public ivoirien à Jacques Chirac parce que celui-ci le lui a demandé. Toujours dans la conversation avec Alain Foka il dit que Chirac, après avoir reçu la somme de deux ou cinq milliards de francs CFA selon les sources, l’aurait appelé pour lui dire qu’il ne sera pas ingrat, ce qui confirme le pacte de corruption derrière ce détournement.
Cette interview de la chaîne AFO Media a montré un Laurent Gbagbo diminué et qui est tombé dans une souricière en reconnaissant ces pratiques de la Françafrique. On espère que ses actes ne sont plus poursuivis par la justice pour délais de prescription. Lui qui se présente comme souverainiste faisait comme les Blaise Compaoré, Bongo et Sassou. Durant ses dix ans au pouvoir en Côte d’Ivoire, malgré ses problèmes avec les politiciens de l’hexagone, les entreprises françaises Bouygues, Bolloré, Orange et autres, ont fait de très bonnes affaires dans son pays. Il est temps de passer la main car le poids des années et de la prison pèse sur le candidat Gbagbo.
La meilleure défense de Laurent Gbagbo est venue de Blé Goudé qui a refusé à Bourgi le droit de se présenter comme un ami de Laurent Gbagbo qui a fait dix ans à la Haye et n’a pas reçu de visite de celui qui se dit son ami. Il pense surtout qu’il ne faut pas réveiller les vieux démons. Il a condamné le fait de prendre de l’argent destiné aux populations pour le donner à Chirac.
Robert Bourgi dit qu’il s’amuse bien avec les bandits comme lui. Il dit que le Gabon le payait au temps de « papa Omar Bongo » 50 000 euros par mois soit 393 574 200 FCFA par an. Ce qui ne l’empêchait pas de faire le garibou pour les fêtes chez papa gâteau qui le « cadeautait » encore. C’est vraiment insupportable de voir un tel monsieur être impuni, publier un livre sur ses méfaits et faire le tour des télés françaises pour raconter sa vie de porteur de valises d’argent. Cet argent détourné est celui qui devrait servir à la construction de nos écoles et dispensaires.
Sana Guy
Lefaso.net
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