Economie

Burkina / Gestion des finances publiques : « Les choses ont changé. Ce qui se passait avant ne peut plus se faire aujourd’hui » (Latin Poda, premier président de la Cour des comptes)

Dans sa configuration actuelle, qui trouve sa source en avril 2000, avec les réformes de la justice impliquant l’éclatement de la Cour suprême en trois juridictions (la Cour de cassation, la Cour des comptes et le Conseil d’Etat), la Cour des comptes est, comme son nom l’indique, la juridiction supérieure de contrôle des finances publiques au Burkina. Ses attributions se déploient, en matière juridictionnelle, au contrôle juridictionnel qui consiste à juger les comptes de gestion des comptables publics chaque année ; au contrôle non-juridictionnel, qui consiste à s’assurer de la bonne gestion budgétaire des collectivités, de l’Etat, des entreprises publiques et des organismes qui bénéficient des subventions de l’Etat (la presse privée, les partis politiques, etc.).

La Cour des comptes a, enfin, une mission d’information et d’assistance à l’exécutif et à l’Assemblée nationale (l’exécutif pouvant lui demander des avis ou d’effectuer un contrôle dans un secteur donné tandis qu’auprès du pouvoir législatif, elle joue particulièrement un rôle de conseiller). Dans le contexte actuel de multiplication des initiatives de lutte contre la corruption et pour la réduction du train de vie de l’Etat, d’engagements supplémentaires des citoyens en soutien aux efforts contre la guerre…, tout est convoqué pour mettre en relief, le rôle crucial des structures dont le principal combat est d’œuvrer à la moralisation dans la gestion des ressources publiques, du patrimoine national. Et la Cour des comptes occupe une place stratégique dans l’arsenal institutionnel mis en place pour la cause.

Si la publication des rapports annuels reste pour une grande partie de citoyens burkinabè, l’action la plus connue de la Cour des comptes, la réalité est que cette haute juridiction de contrôle des finances publiques ‘’cache » autant d’attentes que de missions à elle assignées, essentiellement par l’article 3 de la loi organique et qui font d’elle, “la gardienne” de la chose publique.

En dehors donc de celles conférées par la loi organique, la Cour des comptes a été, au fil du temps, dotée d’attributions spécifiques, impulsées par l’évolution, à l’image de celle relative au contrôle des rapports des pouvoirs à chaque alternance à la tête de l’Etat. « Cela signifie qu’à chaque changement de régime politique, logiquement, ce rapport doit être transmis à la Cour pour que nous puissions auditer et le publier. Malheureusement, cette norme n’est pas respectée », apprend le premier président de la Cour des comptes, Latin Poda, dans une interview accordée au quotidien d’Etat, Sidwaya, parue courant de ce mois de novembre 2024.

L’atelier de formation des journalistes a été assuré par le conseiller à la Cour, Emmanuel Ouédraogo et Barkissa Ouédraogo, assistante de vérification.

De façon générale, le premier responsable de cette haute juridiction jauge les audits sur le terrain, malgré les difficultés soulevées plus loin. « Cela se passe bien et c’est à l’adresse des entités contrôlées, auditées jusqu’à présent, car nous n’avons pas eu un cas de résistance. Les gens acceptent de se soumettre aux contrôles, aux audits. C’est un point positif à souligner. Ce qui veut dire que les gens comprennent l’importance de la Cour des comptes. Mieux, il y a des localités qui nous réclament. La preuve, l’année passée, une équipe a été à Gaoua et à Gomblora dans la région du Sud-ouest pour des contrôles », relève M. Poda.

Il donne également une idée des fautes de gestion couramment rencontrées dans le cadre des missions qui sont effectuées. « L’article 79 de notre loi organique et l’article 104 de la loi 073/2015/CNT du 6 novembre 2015 donnent la liste des faits susceptibles d’être constitutifs de fautes de gestion. Il s’agit de la violation des règles relative à l’exécution des recettes et des dépenses de l’Etat et des autres organismes publics, la violation des règles relative à la gestion des biens qui appartiennent à l’Etat ou aux autres organismes publics. Ce sont essentiellement ces deux cas que nous rencontrons fréquemment, sinon, il y a tout un tas d’autres faits qui peuvent être qualifiés de faute de gestion. Les sanctions sont prévues aux articles 80, 81 et 82 de la loi organique. L’amende est au minimum de 20 000 FCFA et le maximum peut atteindre le double du montant du salaire brut annuel à la date de l’irrégularité ou de l’infraction Après analyse, cette sanction est tellement infime par rapport au dommage qui peut être causé à l’Etat.

L’article 82 dit que les auteurs des faits qui sont visés à l’article 80 ne sont passibles d’aucune sanction s’ils peuvent produire un ordre écrit préalablement donné à la suite d’un rapport particulier à chaque affaire par le supérieur hiérarchique ou par la personne légalement habilitée à donner un tel ordre dont la responsabilité se substituera dans ces cas. C’est-à-dire que si l’agent a agi sur ordre écrit de son supérieur hiérarchique bien sûr, il est disculpé et c’est son supérieur hiérarchique qui devient responsable. Les sanctions, prévues, sont assez faibles et dans le cas de la révision de notre loi organique, nous avons demandé que ces sanctions soient revues à la hausse de sorte à dissuader les gens et permettre à la Cour de condamner les auteurs de faute de gestion pour plus ou moins à réparer les préjudices causés à l’Etat », détaille-t-il dans l’interview.

A la question de savoir sa lecture sur la gestion globale des finances publiques au Burkina, le premier président de la Cour des comptes relève que « tout commence à aller, parce que les gens ont pris conscience que les choses ont changé. Ce qui se passait avant ne peut plus se faire aujourd’hui. Les gens se méfient de plus en plus quand ils manipulent les biens de l’Etat. Ils savent désormais que la Cour des comptes ou l’ASCE-LC est là pour contrôler en plus des dénonciations faites par les populations. Si cet élan est maintenu et si les moyens sont donnés aux organes de contrôle pour faire réellement leur travail, d’ici quelques années, nous allons récolter les bénéfices de ces actions et nous pourrons avoir une gestion des finances publiques assez assainie ».

Nonobstant les acquis, qui fait d’elle un exemple pour des pays de l’Afrique qui y effectuent des immersions, la Cour des comptes traîne de nombreuses insuffisances et difficultés, visiblement les unes aussi urgentes que les autres à combler. C’est qu’on peut également retenir de cet atelier de formation initiée du 14 au 18 octobre 2024 par la Cour des comptes, à l’intention d’une dizaine de journalistes, aux fins de faire connaître davantage ses missions, activités, son organisation et fonctionnement.

Ici, le premier président, remettant officiellement le rapport public 2022 au président du Faso, le 16 février 2024.

Nécessité de décentraliser la Cour des comptes au niveau région

Sur ce point, et outre l’insuffisance des ressources humaines, matérielles et logistiques ainsi que financières, on peut rapporter que la Cour des comptes est confrontée à des problèmes de locaux adéquats (ce d’autant qu’elle est appelée à travailler avec de nombreux documents et ensuite à les archiver). « En termes de ressources humaines, nous avons un nombre de magistrats, de conseillers très limités. Cela fait qu’on ne peut pas faire plusieurs choses à la fois. Pour ce qui concerne les ressources financières, notre budget est arbitré par le ministère de l’Economie et des Finances.

C’est environ 500 000 000 F CFA par an. Depuis 2023, nous avons en plus, le fonds d’intervention qui est d’environ 200 000 000 F CFA. C’est pour nous permettre de fonctionner, mais ce n’est pas assez au regard de l’ampleur des attributions qui nous sont confiées. L’idéal serait d’avoir suffisamment de personnel, de réorganiser la Cour des comptes, en créant des chambres régionales dans les 13 régions. Ainsi, chaque année, on devrait pouvoir réussir à faire le maximum de contrôles et d’audits », soulève Latin Poda, faisant observer qu’au regard des ressources limitées, la Cour ne peut couvrir tout le territoire.

Partant à la fois des propos du premier président dans son interview et des éléments de la formation sus-référée, on retient que l’un des défis majeurs, pour ne pas dire le principal défi, c’est la révision de la loi organique, qui comporte plusieurs enjeux.

« Pour améliorer cette situation, nous pensons qu’il faut d’abord commencer par la révision de la loi organique. Elle va nous permettre de résoudre pas mal de difficultés. Dans cette loi, il est prévu par exemple le jugement des fautes de gestion mais, il n’est pas prévu de chambre pour ce jugement. Il a fallu que par ordonnance du Premier président, on crée cette chambre ad’hoc et un Secrétaire général pour notre fonctionnement, ce que la loi n’avait pas non plus prévu.

C’est le Président de la Chambre de discipline budgétaire qui joue en même temps le rôle de Secrétaire général ad hoc. L’autre problème assez sérieux, est le mandat des conseillers financiers qui nous viennent du ministère de l’Economie et des Finances. Selon la loi actuelle, ces conseillers ont un mandat de cinq ans et renouvelable une fois. Donc, ils font au maximum dix ans à la Cour des comptes. C’est au moment où le conseiller commence à être expérimenté, à comprendre le travail, que son mandat prend fin. Nous ne capitalisons pas ces expériences acquises et tout le temps, il faut recruter de nouvelles personnes qu’il faut encore former.

Pourtant, le travail qui se fait ici nécessite du temps pour apprendre mais nous n’arrivons pas à maîtriser notre effectif, car, il varie en fonction des arrivées et des départs. En plus, nous avons la question de l’autonomie financière et de gestion afin de pouvoir recruter notre personnel selon nos besoins. C’est le ministère de la Fonction publique et le Conseil supérieur de la magistrature qui mettent à notre disposition du personnel. L’autonomie de gestion permettra d’avoir un budget qui ne sera plus arbitré par le ministère de l’Economie et des Finances, mais directement voté par l’Assemblée nationale parce que le ministère des Finances, normalement, est un de nos justiciables qu’on devrait pouvoir contrôler chaque année.

Il y a aussi le problème de la gestion des carrières des magistrats de la Cour des comptes par le Conseil supérieur de la magistrature. Actuellement, dans le cadre de l’UEMOA, un statut-type des magistrats financiers des Cours des comptes de l’espace a été élaboré et transmis au Conseil des ministres au mois de juillet 2024. S’il est adopté et appliqué, nous aurons un Conseil supérieur autonome différent du Conseil supérieur de la magistrature, parce que nous n’avons pas les mêmes règles de fonctionnement. On avait repris le processus de révision de la loi et on s’était accordé sur un avant-projet de loi que nous avons transmis au gouvernement via le ministère en charge de la Justice pour suite à donner. Avec le changement à la tête du ministère, les choses sont restées en l’état », décèle Latin Poda sous fond de plaidoyer.

Dans la dynamique actuelle de coup de tournevis à la lutte contre la corruption et la gabegie dans la gestion des finances publiques, il sera de bon ton de combler conséquemment les insuffisances de ces structures de lutte, dont l’action s’avère impérative en tout temps. Cela y va de l’intérêt de tous et de l’avenir même du pays.

Oumar L. Ouédraogo

Lefaso.net

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