Par cette réflexion parvenue à notre rédaction, Dr Pîiga Souleymane Yaméogo, chercheur à l’Université de Glasgow, Ecosse, Grande-Bretagne, fait une analyse comparative assortie de propositions, de la situation que vit le Burkina Faso avec celle de la Corée du Sud, où il réside depuis maintenant des années. En guise de bref rappel, Pîiga Souleymane Yaméogo, économiste et planificateur, a travaillé pendant plusieurs années au Centre national de presse Norbert Zongo. Membre-fondateur du mouvement « Balai citoyen », il fait partie de ces jeunes leaders qui ont, il y a une dizaine d’années, mis en place et animé des organisations de lutte et de veille citoyenne, à l’image de « Thé-batteurs » à Bobo-Dioulasso, concept qu’il a créé en 2013 (pour permettre une participation citoyenne de la jeunesse à tous les sujets qui touchent la société) et de « 10 mn pour convaincre » (dont il est l’un des concepteurs) dans le cadre du festival Ciné droit libre. Tribune !
Développement en période de crise sécuritaire : une approche pédagogique.
J’ai eu la chance de passer un temps considérable en Corée du Sud et d’étudier son économie. Ayant obtenu mon doctorat en politiques publiques à l’institut créé en 1971 pour soutenir le développement économique de la Corée du Sud, je pense être en mesure d’examiner l’économie du Burkina Faso à travers la grille de lecture du modèle de développement coréen.
Le sujet est très complexe, et je vais m’efforcer de proposer quelques points clés, non exhaustifs, sur les convergences et divergences entre les deux pays. Je formulerai également des suggestions sur la manière de poser le débat du développement en période de crise, notamment lorsqu’il faut faire un choix entre les besoins de développement économique à long terme et ceux de stabilisation urgente à court terme.
Analyse basée sur le Plan d’Action pour la Stabilisation et le Développement (PA-SD) du Burkina Faso 2023 et le premier Plan quinquennal de la Corée du Sud.
1. Contexte historique et socio-économique Burkina Faso (2023)
• Contexte sécuritaire : Crise terroriste prolongée affectant l’intégrité territoriale, les services publics, et occasionant des déplacements massifs de populations.
• Contexte institutionnel : Transition politique en cours après des crises institutionnelles récurrentes.
• Développement socio-économique : Dépendance significative à l’aide internationale et forte précarité économique.
• Contexte post-conflit : Sortie de la guerre de Corée (1950-1953), pays divisé, menaces sécuritaires venant de la Corée du Nord.
• Contexte politique : Régime autoritaire sous Park Chung-hee, axé sur des réformes économiques rapides et une centralisation forte.
• Développement socio-économique : Pays alors parmi les plus pauvres du monde, mais bénéficiant d’une aide américaine conséquente et d’un potentiel démographique.
• Les deux pays font face à des défis sécuritaires, bien que pour des raisons différentes. Le Burkina Faso lutte contre le terrorisme, tandis que la Corée du Sud faisait face à la menace existentielle de la guerre froide.
• Les contextes économiques partagent des points communs : dépendance initiale à l’aide étrangère et faibles capacités industrielles de départ.
2. Priorités stratégiques et choix politiques
• Sécurité : Priorité à la lutte contre le terrorisme (pilier 1) pour restaurer l’intégrité territoriale et garantir la sécurité des citoyens.
• Humanitaire : Réponse à une crise de déplacement interne majeure (pilier 2).
• Gouvernance et institutions : Refondation de l’État pour rétablir la confiance et consolider l’État de droit (pilier 3).
• Cohésion sociale : Réconciliation nationale et renforcement de la paix sociale (pilier 4).
• Industrialisation rapide : Orientation stratégique vers l’exportation, mise en place des Five-Year Economic Development Plans.
• Infrastructures : Développement massif des infrastructures de transport et d’énergie pour soutenir l’industrialisation.
• Education et formation : Investissements massifs dans l’éducation pour fournir une main-d’œuvre qualifiée.
• Réformes agraires : Redistribution des terres pour limiter les inégalités et stimuler la production agricole.
• La Corée du Sud a misé sur une croissance économique intensive à travers l’industrialisation et le commerce extérieur, tandis que le Burkina Faso est encore dans une phase de stabilisation et de réhabilitation.
• Le Burkina Faso, en raison de ses défis sécuritaires, accorde une priorité majeure à des mesures humanitaires et sécuritaires, contrairement à la Corée qui se concentrait sur des réformes économiques structurantes.
3. Mécanismes de mise en œuvre
• Approche multipartite : Implication de multiples parties prenantes (gouvernement, partenaires internationaux, communautés locales).
• Financement : Forte dépendance à l’aide internationale et recherche de financements supplémentaires.
• Suivi et évaluation : Inclusion d’indicateurs pour mesurer les progrès dans les quatre piliers.
• Centralisation autoritaire : Mise en œuvre dirigée par un État fort, concentrant les ressources et les décisions.
• Mobilisation nationale : Propagande et éducation civique pour mobiliser la population autour des objectifs de développement.
• Soutien étranger : Utilisation stratégique des aides américaines massives pour développer l’industrie et les infrastructures.
• La Corée du Sud a bénéficié d’une centralisation extrême, permettant une planification rapide et cohérente. En revanche, le Burkina Faso opte pour une approche plus participative (selon le PA-SD).
• La Corée a orienté l’aide étrangère vers le développement industriel, tandis que le Burkina Faso la dirige principalement vers des actions humanitaires et sécuritaires.
4. Résultats attendus et trajectoires
Burkina Faso
• Objectifs à court terme : Stabilisation sécuritaire, réponse humanitaire et relance des services publics.
• Objectifs à moyen terme : Refondation institutionnelle et renforcement des infrastructures de gouvernance.
• Défis : Manque de ressources internes, fragmentation politique et territoriale.
Corée du Sud
• Résultats obtenus : Augmentation rapide du PIB par habitant, émergence comme pays exportateur industriel majeur.
• Facteurs clés : Vision stratégique claire, discipline institutionnelle et mobilisation populaire.
• La Corée du Sud a mis en place des réformes visant une transformation économique rapide, en ciblant des secteurs clés (notamment l’industrie manufacturiere) pour des effets multiplicateurs. Le Burkina Faso, à cause de ses crises sécuritaires et humanitaires, n’a pas encore la capacité de se focaliser sur des transformations économiques ambitieuses.
• La Corée a bénéficié d’une stabilité relative (malgré l’autoritarisme), alors que l’instabilité sécuritaire du Burkina Faso constitue un frein majeur.
5. Analyse critique : Inspirations et limites
• Inspirations pour le Burkina Faso :
1. Prioriser des réformes économiques structurelles une fois la sécurité partiellement rétablie, comme l’a fait la Corée en orientant ses ressources vers l’éducation, les infrastructures et l’industrie.
2. Adopter une vision stratégique à long terme avec des mécanismes rigoureux de mise en œuvre et de suivi, tirant parti des financements internationaux.
3. Mobiliser davantage les populations locales à travers des initiatives de civisme et de cohésion sociale, comme l’a fait la Corée avec son engagement nationaliste.
• Limites d’une comparaison directe :
o Les contextes diffèrent : la Corée a misé sur l’exportation et l’industrialisation, tandis que le Burkina Faso est encore en phase de consolidation sécuritaire.
o Le modèle centralisé coréen serait difficilement applicable au Burkina Faso en raison de ses multiples acteurs, de sa structure institutionnelle en transition et des differences socio-culturelle entre les deux pays.
Conclusion
Si le Burkina Faso peut s’inspirer de la détermination et de la stratégie ciblée de la Corée du Sud, il doit adapter ces leçons à son contexte spécifique. Une fois la stabilisation partiellement assurée, le pays devra progressivement passer à une phase de transformation économique, en s’appuyant sur l’éducation, les infrastructures, ainsi que sur des secteurs porteurs tels que l’agriculture, les mines et surtout l’industrie. Le pays devra également produire et consolider des institutions solides pour pérenniser les acquis du développement. Le développement n’étant pas un état figé, la meilleure manière de le transmettre aux générations futures est à travers l’institutionnalisation du développement.
Souleymane Yameogo, PhD.
( Souleymane.yameogo@glasgow.ac.uk)
Chercheur a l’Universite de Glasgow, Ecosse, Grande Bretagne.
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