Filières universitaires au Burkina Faso : Regards croisés sur le système éducatif burkinabè
Le Premier ministre Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo a comme jeté un pavé dans la mare le 27 décembre 2024 devant l’Assemblée législative de transition. L’adaptation des filières de formation à l’université aux réalités, ou à tout le moins, aux besoins du Burkina Faso en termes de développement. Depuis lors, le débat s’est invité.
Devant l’Assemblée législative de transition, le 27 décembre 2024, lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo est relancé par un député sur un point de son discours. L’adaptation des filières universitaires aux besoins endogènes. La réponse du patron de la Primature dans ce verbatim :
Verbatim : Ce que le Premier ministre a dit
« Vous avez indiqué dans votre discours que les offres de formation des universités seront fonction des potentialités économiques des régions. Or, à ce jour, plusieurs universités abritent presque les mêmes filières. Est-ce qu’il y a une perspective de fermeture de certaines filières dans certaines universités ?
Le dispositif actuel de l’enseignement supérieur montre clairement qu’il existe de nombreux chevauchements en termes de filières de formation entre les institutions d’enseignement supérieur et de recherche.
Malheureusement, cela n’est pas en adéquation avec les ressources humaines et financières disponibles, conséquence d’une absence de synergie.
Par ailleurs, avec la vision actuelle du gouvernement, qui est de promouvoir un développement socio-économique endogène, nous avons opté de spécialiser les structures de formation dans les différentes régions. Ce qui implique qu’il existera des filières communes entre les instituts et des filières spécifiques tenant compte des potentialités des régions.
Ainsi après évaluation des différentes contraintes et opportunités dans une optique d’optimisation des ressources, certaines filières peuvent être arrêtées dans certaines régions au profit de la création d’autres filières, le tout devant prendre en compte le référentiel sur les filières prioritaires de formation qui s’arrime parfaitement à la carte universitaire.
Alors à ce niveau, le constat qui se dégage, c’est qu’il nous faut véritablement réformer en profondeur les offres d’enseignement au supérieur.
Pour un pays comme le Burkina Faso, il est clair que si nous continuons de former chaque année, des dizaines de milliers de littéraires, des milliers de philosophes, de sociologues, pour ne citer que ces matières, (…), bien sûr ce n’est pas pour dire que la philosophie n’est pas importante (ou) que la sociologie n’est pas importante ou que la littérature n’est pas importante.
Mais il est clair que les proportions dans lesquelles aujourd’hui nos étudiants sont formés dans ces filières, posent problème. Ce qui signifie qu’il nous faut aujourd’hui une université qui mette à la disposition du Burkina Faso des ingénieurs et surtout des porteurs de solutions.
Et je pense que c’est ça la vision aujourd’hui, ce sont les orientations du Chef de l’Etat, et nous allons y travailler en collaboration avec l’ensemble des acteurs parce que les étudiants eux-mêmes sont conscients aujourd’hui que ce qui leur est offert à l’université, la plupart du temps ils y sont juste parce qu’ils ont eu le BAC.
Beaucoup qui ont eu le BAC, ils ont été orientés pas dans des filières qu’ils ont choisies, ils n’ont pas de véritables perspectives dans les filières dans lesquelles ils sont formés, ou à tout le moins, la seule perspective, c’est un concours de la fonction publique pour intégrer l’administration publique. Je pense que c’est une vision réductrice de l’Université et nous devons travailler à changer les choses ».
Quand les chiffres parlent
Ce verbatim permet de faire une précision relevée par Dr Boukary Nébié, enseignant-chercheur à l’université Yembila Abdoulaye Touguyeni de Fada N’Gourma. « Je note déjà que, contrairement à ce que certains tentent de véhiculer comme information, le Premier ministre n’a jamais dit qu’il faut supprimer les HUMANITÉS, c’est-à-dire les Sciences humaines et sociales dans lesquelles se trouvent la littérature, la sociologie, la philosophie, l’histoire, la communication, la psychologie, etc. Il a plutôt questionné le nombre d’étudiants qu’on forme chaque année de ces filières en mettant cela en rapport avec les besoins du marché et les priorités du pays », dit-il dans une déclaration faite à Faso7.
Cette précision permet de parler des faits révélés par des chiffres rendus publics par Campus Faso et relayés par l’Agence d’information du Burkina (AIB). Sur les 56 578 étudiants inscrits pour l’année académique 2024-2025, 29 536 sont orientés dans les filières lettres modernes, Linguistique, Langues, Sociologie, Philosophie, Anthropologie, Art, Communication, Histoire, Géographie, soit plus de 52% des effectifs des universités publiques.
18 392 sont orientés dans les filières sciences et techniques, soit un ratio de plus de 32%. Le ratio était respectivement de plus de 55% et de plus de 29% pendant l’année académique 2023-2024.
Propositions sur des modalités de mise en œuvre
La problématique est donc présente. Et elle n’est pas nouvelle. C’est ce que confirme Dr Nébié. « Ici au Burkina Faso comme dans d’autres pays africains, les autorités ont toujours posé cette inquiétude », dit-il.
Mais alors, quelle réforme et comment l’appliquer ? Dr Dramane Kaboré, enseignant-chercheur au Centre universitaire de Dori, dans une tribune parvenue à Faso7, pose les questions de l’avenir des acteurs déjà engagés dans ces différentes filières. « Supprimer certaines filières ou en réduire l’accès soulève des interrogations sur la gestion des transitions, l’accompagnement des étudiants et la redéfinition des priorités éducatives. Par ailleurs, on peut se demander quel avenir assister aux spécialistes de ces domaines », pose-t-il.
Les questions s’orientent ensuite sur les modalités de mise en œuvre. Dr Boukary Nébié estime qu’il revient à l’Etat de trouver une solution. « Si nos universités forment des milliers d’étudiants dans les filières relevant des HUMANITÉS, ce n’est pas à l’université qu’il faut demander des comptes. C’est bien l’Etat qui les oriente dans ces filières après le BAC. (…) Dans les conditions actuelles, si vous avez des dizaines de milliers d’élèves qui réussissent au baccalauréat, c’est normal et logique que les universités forment chaque année des dizaines de milliers de littéraires, de sociologues, de philosophes, d’historiens, de géographes, etc. Si on veut changer la donne, le travail doit être plusieurs profond et doit se faire depuis l’enseignement primaire et secondaire. C’est donc une problématique transversale qui mérite une approche holistique de notre système éducatif », propose-t-il.
« Nous pouvons d’ailleurs, nous s’inspirer des pratiques internationales, notamment celles de pays comme les États-Unis et le Canada, qui continue de promouvoir les sciences humaines et sociales dans des secteurs clés comme la diplomatie ou la communication interculturelle, il est possible d’adapter les contenus éducatifs aux réalités socioculturelles burkinabè tout en répondant aux exigences globales. Ces pays montrent qu’une approche équilibrée, où les sciences humaines jouent un rôle central dans le développement économique et social, peut être bénéfique », ajoute Dr Dramane Kaboré, qui conseille d’associer « les hommes de terrain à la prise de décision ».
La problématique est posée. Le débat est ouvert. Et le développement du Burkina Faso attend les conclusions.
Faso7
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