Cleophas Adrien Dioma : « L’avenir de l’Afrique dépend de sa capacité à valoriser ses talents »
Cléophas Adrien Dioma, ce Burkinabè résident à Rome en Italie est le Président exécutif de Italia Africa Business Week, une plateforme réunissant entrepreneurs, investisseurs et décideurs africains et italiens. L’événement s’est tenu du 22 au 24 janvier dans la capitale italienne. Dans l’entretien qui suit, il revient sur son parcours avec un accent particulier sur l’une de ses plus grandes réalisations, le forum Italia Africa Business Week.
Faso : Présentez-vous à nos lecteurs ?
Cleophas Adrien Dioma : Je suis Cleophas Adrien Dioma, consultant international et expert en migration et développement. Résidant principalement à Parme depuis 2002, j’ai dû m’installer à Rome en 2016 en raison de l’intensification de mes activités professionnelles. Depuis le début de ma carrière, je me consacre aux enjeux liés à la présence des migrants en Italie et à leur rôle dans le développement. En 2016, le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale italien m’a désigné comme représentant des migrants au sein du Conseil National pour la Coopération au Développement, où j’ai occupé pendant six ans la fonction de coordinateur du groupe de travail migration et développement. En 2002, j’ai fondé l’association Le Réseau, qui organise des événements d’envergure comme le festival Ottobre Africano, le RomAfrica Film Festival et Italia Africa Business Week, une plateforme réunissant entrepreneurs, investisseurs et décideurs africains et italiens.
Faso7 : D’où est venue l’idée du forum Italia-Africa Business Week?
Cleophas Adrien Dioma : L’idée d’Italia Africa Business Week (IABW) est née d’un constat : l’Italie, malgré ses liens historiques et économiques avec plusieurs pays africains, était encore peu présente dans les grands échanges économiques avec le continent. En tant qu’expert en migration et développement, j’ai toujours été convaincu que la coopération entre l’Italie et l’Afrique ne devait pas se limiter aux aides au développement, mais devait également s’appuyer sur des relations économiques structurées et mutuellement bénéfiques.
C’est en partant de ce principe que nous avons imaginé un espace de dialogue direct entre les acteurs économiques des deux continents. L’objectif était de créer une plateforme permettant aux entrepreneurs, aux investisseurs, aux institutions et aux experts de se rencontrer, d’échanger et de développer des partenariats concrets dans divers secteurs stratégiques tels que l’agro-industrie, les énergies renouvelables, les infrastructures, la finance et l’innovation.
Dès sa première édition, IABW s’est affirmé comme le premier forum économique italo-africain, devenant un rendez-vous incontournable pour les acteurs souhaitant explorer de nouvelles opportunités d’affaires et de coopération. Grâce à un programme riche en conférences, en sessions B2B et en ateliers thématiques, le forum favorise un dialogue pragmatique et une approche durable du développement économique entre l’Italie et l’Afrique. Aujourd’hui, IABW continue d’évoluer, en consolidant son rôle de passerelle entre les marchés italiens et africains, avec l’ambition d’amplifier les échanges commerciaux, les investissements et les collaborations innovantes pour une croissance partagée et durable.
Faso7 : Qu’est-ce que IABW offre aux entreprises italiennes et africaines ?
Cleophas Adrien Dioma : Italia Africa Business Week (IABW) est une plateforme unique qui offre aux entreprises italiennes et africaines, un espace privilégié pour établir des relations d’affaires stratégiques, explorer de nouvelles opportunités de marché et développer des partenariats durables. Il rassemble chaque année des entrepreneurs, investisseurs, institutions publiques et privées, chambres de commerce et experts de divers secteurs stratégiques, tels que l’agriculture, l’énergie, les infrastructures, la finance, l’innovation technologique et l’industrie manufacturière.
Grâce aux sessions B2B et B2G (Business to Business et Business to Government), les entreprises peuvent identifier des partenaires commerciaux, accéder à des financements et établir des collaborations stratégiques avec des institutions clés. IABW aide les entreprises italiennes à mieux comprendre les dynamiques économiques africaines, en facilitant l’accès aux réseaux d’affaires locaux, aux opportunités d’investissement et aux mécanismes de financement disponibles. De même, il permet aux entreprises africaines de découvrir les opportunités offertes par le marché italien et européen.
Le forum met également en relation les entreprises avec des institutions gouvernementales, des banques de développement et des organisations internationales afin de discuter des politiques économiques, des réglementations et des dispositifs de soutien à l’investissement.
Il propose aussi des conférences et des formations sectorielles animées par des experts de haut niveau, permettant aux participants d’accéder à des analyses de marché, des tendances sectorielles et des conseils stratégiques pour développer leur activité. IABW est ainsi un accélérateur de coopération économique qui facilite la mise en relation entre acteurs italiens et africains, encourage les investissements et accompagne les entreprises dans leur développement à l’international
Faso7 : Quel bilan établissez-vous à l’issue de la 8e ?
Cleophas Adrien Dioma : La 8ᵉ édition d’Italia Africa Business Week (IABW), qui s’est tenue du 22 au 24 janvier 2025, a marqué un tournant dans les relations économiques entre l’Italie et l’Afrique en mettant l’accent sur l’innovation, l’inclusion et le développement durable. L’événement a réuni des entrepreneurs, des investisseurs, des institutions et des représentants gouvernementaux, consolidant son rôle en tant que plateforme stratégique pour les échanges économiques et les partenariats.
Un des points clés de cette édition a été la co-organisation avec le ministère des Affaires étrangères italien et l’OIM, soulignant l’engagement accru de l’Italie envers l’Afrique à travers le Plan Mattei, qui vise une coopération basée sur la réciprocité et le développement mutuel. La conférence d’ouverture, qui s’est tenue à la Farnesina, a rassemblé des figures institutionnelles de premier plan, notamment Edmondo Cirielli, vice-ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Alioune Dione, ministre de la Microfinance et de l’Économie Sociale et Solidaire du Sénégal, et Ugochi Daniels, directrice générale adjointe chargée des opérations de l’OIM.
Leurs interventions ont mis en évidence la nécessité d’une coopération plus inclusive, intégrant les réalités locales et renforçant les synergies entre institutions, entreprises et diaspora africaine. Le forum a été l’occasion d’aborder des thèmes majeurs, notamment le rôle des diasporas africaines dans la promotion du secteur privé, la complémentarité entre les économies italiennes et africaines, et le potentiel du made in Africa. Les discussions ont mis en avant l’importance de l’entrepreneuriat féminin, l’innovation dans le secteur privé et les opportunités offertes par des modèles économiques plus inclusifs.
Des panels stratégiques ont exploré la coopération internationale, le financement du développement et la durabilité économique, avec la participation de speakers de haut niveau, aussi bien africains qu’italiens. La présence du styliste de renommée internationale Sidahmed Alphadi a également permis de mettre en lumière l’industrie de la mode africaine et ses opportunités sur le marché international.
En conclusion, cette 8ᵉ édition d’IABW a permis de renforcer les relations économiques entre l’Italie et l’Afrique, de créer de nouvelles synergies et d’ouvrir la voie à des collaborations plus structurées et équilibrées, tout en mettant l’accent sur l’innovation et la valorisation des talents africains. Le forum a confirmé son rôle clé dans la redéfinition du partenariat italo-africain et son orientation vers un modèle de coopération plus inclusif et durable.
Faso7 : Cette année, le ministère des Affaires étrangères italiennes a co-organisé avec vous cette édition. Est-ce qu’il faut croire que l’Italie s’engage dans des relations commerciales plus étroites avec les pays africains ?
Cleophas Adrien Dioma : La co-organisation de la 8ᵉ édition de l’Italia Africa Business Week (IABW) par le ministère des Affaires Étrangères italien marque un engagement accru de l’Italie envers des relations commerciales plus stratégiques avec l’Afrique. L’Italie prend de plus en plus conscience du potentiel africain, non seulement en termes de ressources, mais aussi comme partenaire économique de long terme.
Le Plan Mattei illustre cette volonté en renforçant la coopération à travers des initiatives économiques, énergétiques et de développement durable. L’implication directe du ministère dans IABW témoigne d’une approche institutionnelle et proactive qui dépasse les accords traditionnels pour favoriser les investissements, les échanges commerciaux et l’innovation dans des secteurs comme l’agro-industrie, les énergies renouvelables et les infrastructures. L’intérêt croissant des entreprises italiennes pour l’Afrique ainsi que l’engagement des institutions italiennes facilitent l’accès aux financements et à la coopération technologique.
Par ailleurs, cette collaboration met en avant l’importance grandissante de la diaspora afro-italienne comme acteur clé du développement des relations entre l’Italie et l’Afrique. Grâce à sa double appartenance culturelle, elle joue un rôle central dans la mise en réseau et la création d’opportunités économiques et sociales. Cette co-organisation n’est donc pas seulement symbolique, mais une réelle orientation stratégique pour des liens économiques plus durables et équilibrés entre l’Italie et l’Afrique.
Faso7 : Quel est le rôle de la diaspora dans la promotion du secteur privé au Burkina Faso ?
Cleophas Adrien Dioma : La diaspora burkinabè en Italie, forte de plus de 70 000 personnes, joue un rôle clé dans le développement du secteur privé au Burkina Faso à travers les transferts de fonds, l’investissement et la promotion des échanges commerciaux. Au-delà du soutien aux familles, elle oriente de plus en plus ses ressources vers des projets économiques structurants dans l’agriculture, l’élevage, le commerce et l’immobilier. Son rôle de pont entre les marchés burkinabè et italiens facilite l’accès aux technologies et aux financements, favorisant ainsi l’émergence de nouvelles opportunités d’affaires.
Elle participe également à des initiatives collectives comme le financement de l’Agence pour la promotion de l’entrepreneuriat communautaire (APEC) et l’effort de paix du pays. Par le biais d’entreprises d’import-export et de partenariats, elle valorise les produits locaux burkinabè en Italie et en Europe. Acteur stratégique, elle contribue à un secteur privé plus structuré et à un développement durable et inclusif du Burkina Faso.
Faso7 : Quelles sont vos projections à court et à long terme pour IABW ?
Cleophas Adrien Dioma : À court terme, Italia Africa Business Week (IABW) vise à renforcer son rôle de plateforme de référence pour les échanges économiques entre l’Italie et l’Afrique en augmentant les rencontres B2B et B2G, en facilitant des partenariats stratégiques et en mettant en place un accompagnement post-forum pour assurer un suivi des opportunités créées. Une attention particulière sera portée à la diversification sectorielle, notamment dans l’innovation, le numérique, les énergies renouvelables et l’industrialisation.
À moyen et long terme, l’objectif est d’étendre l’impact d’IABW au-delà de l’événement annuel en développant un réseau actif d’acteurs économiques qui interagissent tout au long de l’année. Cela passera par la création d’une plateforme digitale interactive, l’organisation de missions économiques en Afrique et en Italie et le renforcement des partenariats avec des institutions financières et des agences de développement pour faciliter l’accès aux financements et aux investissements.
Sur le long terme, IABW ambitionne de devenir une plateforme permanente d’échanges et de coopération en structurant des programmes de formation, d’incubation et d’accélération d’entreprises. L’objectif est de créer une dynamique économique durable entre les deux continents, en intégrant pleinement la diaspora afro-italienne comme un acteur clé et en positionnant l’Italie comme un partenaire stratégique majeur pour l’Afrique.
Faso7 : Croyez-vous en l’avenir de l’Afrique ?
Cleophas Adrien Dioma : Oui, je crois fermement en l’avenir de l’Afrique. Le continent possède un immense potentiel avec une population jeune, dynamique et entreprenante, ainsi que des ressources naturelles et une diversité culturelle qui en font un acteur clé du futur. L’Afrique est en pleine transformation, avec une croissance économique soutenue, des innovations technologiques et un développement accru des infrastructures.
Cependant, cet avenir repose sur une coopération équilibrée et des investissements stratégiques dans l’éducation, l’industrialisation, les énergies renouvelables et l’entrepreneuriat. L’Afrique doit être perçue non pas comme un simple marché, mais comme un partenaire économique et politique de premier plan.
Je suis convaincu que les Africains, y compris ceux de la diaspora, ont un rôle majeur à jouer dans cette évolution en contribuant au transfert de compétences, à l’innovation et à la construction de modèles économiques durables. L’avenir de l’Afrique dépend de sa capacité à valoriser ses talents, renforcer ses institutions et bâtir des relations internationales basées sur le respect et la réciprocité.
Faso7
L’article Cleophas Adrien Dioma : « L’avenir de l’Afrique dépend de sa capacité à valoriser ses talents » est apparu en premier sur Faso7.